Nous avons fêté les 25 ans de la collection noire de Viviane Hamy et s’il y a bien une auteure qui la personnalise, c’est Dominique Sylvain. L’occasion pour nous de vous donner envie de lire et relire son œuvre en 5 raisons.
Depuis son premier titre, Dominique Sylvain est une fidèle des éditions Viviane Hamy. Elle a su se renouveler, essayer différents registres, changer de personnages et de territoires… Bref des risques, toujours, mais une qualité au rendez-vous.
Nous ne saurions que trop vous conseiller, si ce n’est déjà fait, de jeter un œil à la saga Louise Morvan (Strad, au hasard), de vous détendre avec Ingrid et Lola, ou d’essayer d’autres romans « hors séries » (Les Infidèles, par exemple).
Cette année Une femme de rêve, son nouveau roman, le dix-huitième, met en scène de nouveaux personnages, l’occasion pour nous de faire un point avec elle en « 5 raisons de ».
Le noir
« Je sais que les spécialistes se bagarrent parfois pour définir ce qu’est un roman noir, mais qu’ils s’accordent tous pour attribuer à cette catégorie les plus belles lettres de noblesse dans le domaine du polar. Moi, le noir, je vois ça un peu comme une esthétique, la couleur que je veux donner à mes écrits, d’autant que je ne compte pas oublier toutes les déclinaisons de gris possibles. Pas plus que je ne veux me passer des silences, ces petits aplats blancs, qui laissent respirer et s’ébrouer le lecteur, qui rythment le récit.
Le noir évoque la mort, qui est l’obsession constitutive du romancier de polar, mais également la puissance du mystère. C’est une couleur qui flanque la frousse, mais qui attire, hypnotise. C’est à la fois la pâte originelle et le trou dans lequel tout finit mal.
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Dans mon dernier roman, Une femme de rêve, j’évoque même le Vantablack, le noir ultime. « Un noir si noir qu’il écrase la réalité. Une petite merveille des nanotechnologies. Il est créé à partir d’une forêt de nanotubes en carbone, qui se renvoient les photons de lumière dans une sorte de match permanent. Résultat, ces tubes absorbent, 99, 96% de la lumière ». C’est la couleur menaçante dont un type, qui ressemble furieusement au patron des Enfers, a parlé à une amnésique. Prisonnière d’une île ensoleillée, cette femme ne comprend pas un mot de ce que racontent les habitants. Elle veut savoir qui elle est, et fuir. Elle pense qu’une piscine est le sas vers la liberté et la redécouverte de son identité.
Oui, mais dans la réalité, quelquefois, trop de noir nuit. Les attentats du 11 septembre 2001 sont la raison pour laquelle j’ai voulu échapper un peu au noir charbon et proposer des histoires qui nous remontent à tous le moral. La question était alors : quand on frise la Troisième Guerre mondiale, à quoi bon continuer à écrire des histoires très sombres ? Ma série Ingrid et Lola est née de là. Pour autant, c’était aussi une aubaine pour jouer sur les contrastes. Continuer à raconter des histoires tragiques, mais en leur insufflant une bonne dose de comédie, et donc de couleurs. De toute façon, me contenter des jolies couleurs de la comédie ne m’aurait pas suffi. Ces couleurs, je ne les trouvais attrayantes que parce qu’elles étaient soutenues, comme les vitraux, par le châssis du noir. C’est le principe de la comédie à l’anglaise. Tu rigoles parce que ça part du vrai, et donc du tragique. Je n’aime pas les comédies absurdes (et poétiques) à la Amélie Poulain. L’absurde, c’est pas marrant.
Disons, que les histoires qui me viennent naturellement sont noires, mais que j’aime y injecter de la lumière.
Ensuite, c’est une question de dosage. Disons que j’ai rajouté progressivement de la sauce soja dans le ragoût Ingrid et Lola, et la série est devenue de plus en plus tragique au fil des six romans. Et puis un jour, je me suis dit que j’avais passé plus de vingt ans à écrire des séries et que j’en avais assez. J’étais comme la fille paumée citée plus haut, qui plonge dans la piscine pour quitter cette île où le temps s’est arrêté. Et je me suis pris le Vantablack dans la figure. Bon, allez, je divague un peu. Disons, que les histoires qui me viennent naturellement sont noires, mais que j’aime y injecter de la lumière.
Depuis L’Archange du chaos, qui était probablement l’un de mes textes les plus noirs (et pas forcément le meilleur), je n’écris plus que des romans qui n’auront pas de second opus. Ça me donne une grande liberté, ça me permet de faire à chaque fois de nouvelles expériences et ça m’évite de rater le roman numéro 2. Dans une série, le numéro 2 est généralement assez périlleux, voire fatal. Paf ! J’ai évacué le problème. Et si je veux, je peux tuer tous les personnages (je n’ai encore jamais essayé, même le gars de Game of Thrones n’est pas allé jusque-là, mais ça pourrait être un concept). Mais au-delà du noir, je crois surtout que je carbure à l’obsession. Si une idée me travaille, aussi bizarre soit-elle, et qu’elle ne veut pas me lâcher (comme le sparadrap du capitaine Haddock), c’est qu’il faut que je m’y attelle. C’est même là que ça devient franchement jouissif. »
Les femmes
« Je me suis souvenue de ce film de George Cukor qui m’avait frappée il y a longtemps, The Women. Dans la distribution, il n’y a que des femmes. Pour une œuvre de 1939, c’était un concept très moderne. La distribution dans Une femme de rêve n’est pas exclusivement féminine, mais disons que les héroïnes mènent la danse. Chacune d’entre elles cherche à se réaliser, certaines en sont empêchées. Elles n’ont pas le même âge, pas les mêmes rêves, mais elles se bagarrent pour exister. Et ce que je trouvais en prime très amusant, c’était de mettre une inconnue au centre du roman. La victime. L’idée étant dès le départ : plutôt que de chercher le coupable, pourquoi ne pas chercher la victime.
En fait, il y a toujours eu pas mal de femmes dans mes romans. De Louise Morvan à Ingrid et Lola en passant par Franka, la scientifique devenue flic, aux deux hôtesses de Kabukicho ou à la froide Alice du précédent roman Les Infidèles. Leur propos est toujours de savoir comment elles vont se réaliser. Exister. C’est un problème universel, mais concernant une femme c’est peut-être juste un peu plus compliqué que pour un homme. Parce que les possibilités (et je ne parle même pas des obstacles) sont vastes. Une femme peut-elle se réaliser dans la maternité, dans l’amour, dans le sexe, dans la passion artistique, dans la connaissance, dans le pouvoir ? (J’évacue volontairement la religion, parce que je trouve que c’est un peu du gâchis.) Dans un seul de ces éléments ou forcément dans plusieurs ? Je n’ai pas de réponses, mais mes héroïnes passent leur vie à en chercher. »
En fait, pour rêver, et écrire, j’ai besoin d’avoir les pieds bien plantés dans le réel.
Le territoire : la France
« En matière d’écriture, j’ai eu le déclic en arrivant au Japon. L’envie d’écrire de la fiction avait commencé à me travailler au début des années 90. Et c’est en débarquant à Tokyo que j’ai trouvé le sujet de mon premier roman, Baka ! D’emblée, mon héroïne parcourait cette ville comme un territoire à découvrir, un terrain de jeu, une possibilité d’aventure. Elle était mon double puisque je venais de débarquer dans cette ville fascinante et cette culture qui me faisait rêver, mais que je ne connaissais pas bien. En fait, pour rêver, et écrire, j’ai besoin d’avoir les pieds bien plantés dans le réel. Et ça démarre dans le territoire géographique. Il m’est arrivé d’écrire sur des endroits où je n’avais jamais mis les pieds, mais rarement. Je préfère avoir senti les choses, expérimenté un peu avant.
Ceci étant dit, j’ai rarement évoqué ma région natale, la Lorraine. Je ne suis pas très terroir. J’aime les grandes villes. Ce sont elles qui excitent mon imagination. »
Le territoire : le Japon
« Ce pays ne me quittera jamais mentalement. Il y a eu des jours où je m’y suis sentie mal. Une étrangère. Mais c’est un pays qui m’a révélée à moi-même. Sans le Japon, je ne sais pas comment j’aurais écrit. Si j’aurais écrit. J’élargirais même à l’Asie. J’aime Singapour, la Corée, l’Indonésie… C’est un sentiment étrange. J’ai l’impression de comprendre émotionnellement ce qui se passe en Asie. En revanche, aux États-Unis ou même en Argentine, par exemple, je me suis sentie complètement différente des « autochtones ». Il fallait que je me force. Esthétiquement, ça ne fonctionnait pas.
Et depuis que Frank et moi avons créé Atelier Akatombo, je suis de retour au Japon grâce aux romans que nous publions. J’ai participé à la traduction de pas mal d’entre eux. Et c’est franchement génial de pouvoir observer de l’intérieur un auteur japonais en pleine création. C’est ça la traduction. Tu te tais et tu écoutes l’autre. Longtemps, attentivement, et au bout d’un moment, il te murmure des choses. »
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Le fantastique
« Il y en a une forte dose dans Une femme de rêve, avec cette fameuse victime qui flotte entre deux eaux (et dans son étrange piscine pleine de Vantablack).
Il y a toujours eu une dose de fantastique dans mes histoires. Je me servais même de l’occasion qui m’était donnée lors de commande de nouvelles pour expérimenter dans ce domaine. En matière de polar, l’hybridation avec le fantastique est rare. Thierry Jonquet, qui était très « plastique », avait tenté le coup.
En fait, au milieu des années 90, j’ai été médusée par les premiers romans d’Haruki Murakami. Notamment La fin des temps et Danse, danse, danse. Il y avait là une créativité qui mêlait des genres et qui était extrêmement stimulante. Il y a cette scène superbe où le héros prend un ascenseur et débarque dans une autre dimension. C’est l’idée que la réalité n’est peut-être pas si évidente que cela. Ce que les scientifiques savent déjà, mais bon. Pour autant, je ne suis pas une grande lectrice de fantastique.
Pour mon prochain roman, en cours d’écriture, je continue d’explorer la veine fantastique. En y allant en douceur. Bien sûr, je ne peux rien dévoiler, mais disons que je me suis souvenue de ce merveilleux roman de Natsume Sôseki, Je suis un chat. »
Pour aller plus loin
Dominique Sylvain chez Viviane Hamy
Le Facebook des éditions Atelier Akatombo