5 raisons de… Étincelles rebelles de Macodou Attolodé

Etincelles rebelles - Macodou Attolode - Série noire - Milieu Hostile

En ce début d’année paraissait à la Série Noire Étincelles rebelles, premier roman de l’auteur sénégalais Macodou Attolodé. Ce livre se passe pour la plupart en Casamance, dont nous nous apercevons ne pas connaître grand-chose, un peu comme l’inspecteur du roman qui y est muté, alors nous avons voulu en savoir plus…

Nous avons certainement dû en manquer, mais pour nous, les derniers « bons » polars sénégalais remontent à Abasse Ndione, publié chez Gallimard : La Vie en spirale et Ramata, et le très fort Mbëkë mi, à l’assaut des vagues de l’Atlantique, racontant le triste parcours de Sénégalais tentant la traversée en pirogue entre le Sénégal et Les Canaries.

Étincelles rebelles est une excellente découverte. Il met en scène l’inspecteur Gabriel Latyr Faye qui, ayant osé critiquer des décisions hiérarchiques et politiques, se retrouve muté en Casamance. Pour faire vite, nous dirons que, sorti de Dakar, l’inspecteur ne connaît pas son pays. La situation en Casamance est particulièrement complexe, ce qu’il va découvrir, aidé en cela par une jeune journaliste locale. C’est un roman vivant, instructif sans être pontifiant, aux personnages bien sentis. L’occasion pour nous de demander à Macodou Attolodé de se prêter à un « 5 raisons de… » pour en savoir plus sur la situation actuelle en Casamance.

Le roman noir

« Voici une définition du roman noir à laquelle je souscris : examiner une société au-delà de l’image de façade projetée pour en faire ressortir les travers. Le choix de ce genre est donc venu plutôt naturellement, en raison des enjeux d’ordre socio-politique abordés par l’intrigue. Malgré tout, il ne s’agit pas non plus de s’embourber dans la fange du vice sans aucun espoir de s’en libérer. D’où la mise en scène de personnages intègres avec de solides principes moraux et ayant une haute opinion de leur devoir envers leur pays comme Latyr et Aguène. »

Macodou Attolodé - Etincelles rebelles - Série noire - Milieu Hostile

Le Sénégal

« Pays en Afrique de l’Ouest où je suis né et ai grandi. Sur le plan politique, il fait figure de modèle démocratique en Afrique. Dans la réalité, la situation est évidemment plus complexe, et cela a été démontrée par la grave crise qui l’a secoué de 2021 à 2024.
C’est surtout un territoire riche de sa culture qui est malheureusement réduite à du folklore, voire délaissée. Au-delà des plats, des danses ou des cérémonies festives traditionnelles, qui en sont des expressions flamboyantes, cette culture c’est d’abord une vision du monde axée sur une certaine conception de l’humain que le carcan d’un certain rationalisme ne pourra jamais endiguer. C’est aussi cela que j’ai tenté de mettre en exergue. »

La Casamance

« C’est la région la plus verte du Sénégal. Le contraste est saisissant entre la savane du climat sahélien au nord du pays, et la forêt dense tropicale de la Basse Casamance. L’écosystème des mangroves bordant les bras fluviaux apporte, au-delà de sa beauté pittoresque, son lot de ressources halieutiques vitales pour des populations qui, malgré la pauvreté, arrivent quand même à se nourrir. Dans le livre, une place de choix est réservée à la description de ces paysages qui m’ont fait tomber sous le charme.
C’est aussi et surtout une région où les traditions ancestrales font l’objet d’une fierté et d’une attention particulière malgré les vicissitudes ainsi que la négligence maquillée en intérêt de façade de l’essentiel des autorités politiques. »

Dans le roman, j’ai imaginé un troisième groupe en dehors des militaires et des rebelles : les chasseurs. J’ai voulu, à travers eux, exprimer le ras-le-bol d’une population révoltée d’être prise en otage par des belligérants prétendant se battre pour son bien-être alors qu’en réalité ils n’œuvrent désormais, consciemment ou non, que pour les intérêts d’une petite élite.

Drogues, rebelles, zircon

« La rébellion armée de Atika, la branche armée du MFDC, a débuté en 1983, suite à une altercation mortelle entre des gendarmes et des sympathisants de la cause de l’indépendance de la Casamance dans un bois sacré. Les affrontements ont connu leur pic de violence dans les années 1990. Depuis 2006 à peu près, on est dans une situation confuse appelée « ni paix ni guerre ». La rébellion avec le temps s’est affaiblie en raison de querelles internes qui l’ont divisée, et l’État y trouve son compte.
Il n’empêche que cette situation confuse qui perdure frappe la région d’un marasme économique. Le danger persiste dans certaines zones qui sont les fiefs de rebelles décidés à ne pas déposer les armes, sans compter leurs tentatives de sabotages d’infrastructures et les déchaînements de violence sporadiques. Cette instabilité rend naturellement inévitable toutes sortes de trafics. Sachant que la Guinée Bissau, pays frontalier de la région, est une plaque tournante du narcotrafic international, il me paraît assez illusoire de penser que la Casamance en soit épargnée, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler.
Dans le roman, j’ai imaginé un troisième groupe en dehors des militaires et des rebelles : les chasseurs. J’ai voulu, à travers eux, exprimer le ras-le-bol d’une population révoltée d’être prise en otage par des belligérants prétendant se battre pour son bien-être alors qu’en réalité ils n’œuvrent désormais, consciemment ou non, que pour les intérêts d’une petite élite.
Le projet d’implantation d’une mine de zircon à Niafrang est dans une impasse à l’heure où je vous parle puisqu’il a rencontré une forte opposition de la part de la population locale, et également de rebelles du MFDC. J’étais tombé sur une théorie stipulant que l’opposition des rebelles ne tenait pas tant des conséquences environnementales, voire du simple soutien à la population, mais plutôt du fait que la zone faisait l’objet d’un trafic de contrebande juteux en raison de son positionnement géographique. J’ai repris cette théorie à mon compte dans le scénario du roman. »

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Les abeilles (et oui, on ne peut pas faire abstraction de cet excellent épisode)

« Cet épisode avec Kagoundia, le grand-père d’Aguène la journaliste, est le parfait exemple de la vision du monde qu’on ne peut enfermer dans le carcan rationaliste que j’évoquais plus haut. J’ai adoré l’écrire.
Il existe un certain nombre d’histoires dans l’imaginaire sénégalais où des abeilles sont intervenues en aidant des personnages royaux à vaincre des ennemis voire des armées entières. J’ai lu des histoires de ce type ancrées dans l’imaginaire seereer et lébou. Elles ne sont d’ailleurs pas relatées comme de simples mythes, mais plutôt comme des faits historiques. L’une d’elles qui concerne la lutte victorieuse de Lébous menés par un Jaaraf insoumis contre un royaume voisin, qui avait l’ambition de les conquérir, a fait l’objet d’une parenthèse historique dans le roman Ramata d’Abasse Ndione que j’ai relu cet été. En Casamance aussi, ces histoires existent, au vu des liens étroits qui unissent les ethnies du Sénégal, ce n’est guère étonnant. »

Pour aller plus loin

Étincelles rebelles de Macodou Attolodé est disponible à la Série noire
Les ouvrages d’Abasse Ndione chez Gallimard