En 2016, 38 ans après sa publication aux États-Unis, Sonatine publiait Zigzag, le premier volet de la trilogie que Ross Thomas consacra à ces si particuliers personnages que sont Artie Wu et Quincy Durant, sur lesquels nous allons faire un bref retour.
Nous pourrions largement nous demander pourquoi, lorsque nous tapons Ross Thomas sur un moteur de recherche, quasiment aucune occurrence ne sort. Et pourquoi lorsque nous faisons le tour d’un rayon polar en librairie, nous ne trouvons aucun de ses livres. Alors que, si on y regarde de plus près, et même de loin d’ailleurs, il y a une œuvre sacrément cohérente et consistante comme le rappelle Jérôme Dupuis dans un article publié lors de la sortie de Zigzag. Mais nous n’avons ni la réponse à ces questions, ni la prétention, à notre humble niveau, de réhabiliter l’auteur, juste celle de vous présenter brièvement cette excellente trilogie que vous devez absolument lire – aucune exception ne sera tolérée.
Tout commence donc en 1978 lorsque Ross Thomas publie Chinaman’s Chance, Zigzag en français, et nous pose le duo qui fera le sel de ces trois romans : Artie Wu et Quincy Durant. Nous sommes aux alentours de 1973, ils ont 37 ans sont associés en affaires diverses et variées depuis qu’ils se sont évadés d’un orphelinat de San Francisco lorsqu’ils en avaient 14. Wu, un mètre quatre-vingt-six et environ 115 kilos avec juste 6% de graisse, est le dernier prétendant au trône de Chine, Durant, plus connu sous le nom de « ce fumier de Durant », est un poil plus grand, très sec, a le dos constellé de cicatrices et parle peu. Zigzag déborde de détails sur leur tumultueuse vie, habilement amenés grâce à une enquête faite sur leur personne. Nous vous ferons grâce de les recopier, mais sachez que l’auteur leur a donné une sacrée consistance. C’est d’ailleurs un des traits marquants de ces romans : le sens du détail prononcé de Ross Thomas. Pour lui, pas question de placer un quidam dans une histoire sans raconter son histoire. Et ce qui chez de nombreux romanciers serait long, rébarbatif et casserait le rythme, coule naturellement chez Ross Thomas tant sa plume est enjouée et ses descriptions limpides.
ZIGZAG
Wu et Durant, ouvrent le premier roman en piégeant à l’aide d’un pélican mort – ça ne s’invente pas -, Randall Piers un milliardaire séjournant en Californie. La suite ? Une histoire de gros sous après laquelle Wu, Durant et une palanquée d’hommes et de femmes attirés par l’argent, vont courir. C’est une des constantes des romans : courir après le gros paquet. De façon subtile et structurée pour le duo – même si les plans d’Artie Wu ont parfois plus de 50 niveaux -, et de façon plus grossière pour les suiveurs, ce qui donne tout le tempo des livres. A lire ce pitch, vous pourriez croire à des mystifications menées par les fameux John Dortmunder et Andy Kelp de Donald Westlake, il n’en est rien. Ross Thomas, se sert de son passé de conseiller politique dans différents pays, pour donner une trame d’espionnage et de géopolitique à ses romans.
LES FAISANS DES ÎLES
Il est justement question d’espionnage et de géopolitique dans ce deuxième opus sorti en 1987 et remis à l’honneur par Rivages au mois de juin dernier. L’histoire se passe aux Philippines dans les années 1980, pays que l’auteur connaît bien après avoir y avoir combattu durant la Seconde Guerre mondiale. Dans ce roman qui se concentre autour de cinq millions de dollars et d’un coup d’état, on retrouve, outre le duo principal, le personnage de Maurice Ottermeck, déjà croisé dans Zigzag. Aussi appelé Overby (vous lirez pourquoi et vous apprécierez la différence de nom liée aux différents traducteurs que sont Jean-Patrick Manchette et Patrick Raynal), Overby ou Ottermeck, ce qui compte, c’est le surnom : Otherguy ou Autremec car « il se tenait toujours à deux pas de la loi, mais quand les flics l’attrapaient, il s’arrangeait pour faire porter le chapeau à un autre gars. Les flics de San Francisco lui ont donné le surnom d’Otherguy – l’autre gars – et depuis, c’est à peine s’il répond quand on l’appelle autrement ». C’est une intelligence rare, un sens du déguisement et, reflet de l’époque, un homme pour qui les fringues sont importantes, un homme qui sait quoi mettre pour rencontrer qui et qui sait reconnaître quand il est battu à son propre jeu.
VOODOO, LTD
« – Voilà comment ça marche : chaque fois que je négocie quelque chose, je prononce mal soit le nom du type avec qui je négocie, soit le nom de sa société. […]
– Pourquoi ?
– Parce que si le type me corrige tout de suite, je sais qu’il n’a pas faim. Si ça lui prend dix ou quinze minutes, il a moyennement faim. Mais s’il ne me corrige jamais, je sais qu’il est quasiment mort de faim, et je peux négocier à mes propres conditions. »
Ansi parle Enno Glimm à Durant. Ce dernier le corrige après douze minutes, preuve que Wu et Durant on faim. Les voici donc partis à la recherche d’un couple d’hypnotiseurs pour le compte de Glimmm. Ils seront épaulés par Ottermeck, Booth Stallings, expert en terrorisme et la divine Georgia Blue, agent secret de son état tous deux croisés dans Les faisans des îles. Bien évidemment chez Ross Thomas rien n’est aussi simple que ça en a l’air et il y aura bien plus qu’une simple recherche d’un couple d’hypnotiseurs…
A lire cette trilogie, on se demande pourquoi Ross Thomas n’a pas fait une série régulière autour de ce quintet. Oui, quintet, car à l’arrivée, on ne peut réduire les livres au duo Wu et Durant tant les trois autres protagonistes sont particulièrement bien développés. Leurs interactions sont très fortes, et l’intérêt réside dans le fait que si Wu et Durant forment un véritable duo, les relations avec les trois autres ne sont pas forcément évidentes, leurs liens sont distendus par moment ce qui donne quelques répliques et faits épiques. A travers eux cinq, ce que chacun dit, ce que chacun pense, ce que chacun croit que l’autre pense, Ross Thomas joue avec les déductions psychologiques, donne du corps à ses personnages et du mordant à ses histoires, c’est du grand art.
Jusqu’à l’arrivée d’Oliver Gallmeister, Trevanian était condamné aux oubliettes, espérons qu’il arrivera un jour un phénomène éditorial similaire qui sortira Ross Thomas du seul cercle d’initiés qui l’apprécie.
Pour aller plus loin
Zigzag, traduit par Patrick Raynal, Sonatine.
Les Faisans des îles, traduit par Jean-Patrick Manchette, Rivages.
Voodoo, Ltd., traduit par Jean-Patrick Manchette, Rivages.