La rentrée des auteurs en Auvergne-Rhône-Alpes nous a permis de rencontrer Jacky Schwartzmann et son éditeur Pierre-Jean Balzan. Voici une brève interview à l’occasion de la sortie de Le Coffre, un polar écrit à quatre mains avec Lucian-Dragos Bogdan, édité à La Fosse aux ours.
Messieurs, première question, classique, quelle a été la genèse de ce roman, Le Coffre ?
J.S. : C’est Quais du Polar qui, dans le cadre de l’année culturelle franco-roumaine, a eu l’idée lumineuse de faire écrire un roman par deux auteurs : un Roumain, un Français. Je suis Lyonnais, je ne sais pas si c’est cela qui a pesé dans la balance, mais cela m’est tombé dessus. J’aime bien écrire avec des contraintes, là, j’ai été servi. Lucian-Dragos Bogdan parle bien français mais c’était compliqué à l’écriture, nous n’étions pas dans le même pays, nous ne nous connaissions pas, nous avions carte blanche et peu de temps.
C’est-à-dire ?
J.S. : Un mois pour se décider, savoir quoi faire de ce livre, et deux mois pour l’écrire.
Pierre-Jean, comment La Fosse aux ours est entrée dans la danse ?
P.-J.B. : Quais du Polar est venu me chercher. J’avais déjà travaillé avec Jacky pour Mauvais coûts, et l’idée était très séduisante. C’était une commande et j’avais la possibilité de ne pas éditer le livre dans le réseau national, juste le sortir pour la manifestation. À la lecture du rendu, je me suis fait un plaisir de lui assurer une édition dans les librairies françaises.
Nous avions quand même une grande angoisse, il fallait absolument que les livres soient prêts pour le salon « Bucarest Noir ». Sinon, on aurait pu imaginer une situation à la Blow up d’Antonioni où à la fin il y a une partie de tennis sans balles ni raquettes.
Je suis très peu intervenu sur le texte. Ils avaient leur histoire et j’ai plutôt assuré un travail d’éditeur classique, de fabricant de livres. Il y a une version en France et une autre sortie par un éditeur roumain. Deux livres-objets tout à fait différents.
En parlant de livre-objet, la couverture rompt assez avec votre lignée habituelle.
P.-J.B. : La Fosse aux ours est un éditeur de littérature plus classique, à dominante italienne, et les couvertures ne correspondent pas forcément au genre polar. Pour ce livre, nous avons un peu repris la couverture de Mauvais coûts et nous l’avons déclinée d’une nouvelle façon avec cette fois des visages de femmes que Jacky a adoré (rires). Cette version n’a rien à voir avec l’édition roumaine.
J.S. : Oui, ils n’ont pas les mêmes codes.
P.-J.B. : C’est cash, c’est noir.
J.S. : C’est un coffre.
P.-J.B. : Oui, on sait directement où on est. Nous, nous sommes un peu dans la poésie, enfin presque.
En parlant du coffre, merci pour la transition, d’où est venue cette idée de départ ?
J.S. : C’est un fait divers, mais je ne peux pas le raconter en entier, sinon je dévoile la chute. Au départ, avec mon homologue roumain, nous ne savions pas quoi raconter. Il m’a donc rapporté ce fait divers d’une vieille dame retrouvée morte dans un coffre de toit de voiture. Je lui ai dit « c’est génial », nous avons trouvé notre point de départ. Nous avons assez vite choisi de faire un chapitre chacun. J’ai fait le gendarme français et lui le policier roumain, avec une double enquête, car dès le départ l’autopsie révèle qu’il y a des implants dentaires qui viennent de Roumanie. Donc, chacun nos chapitres, avec des styles très différents. Je ne saurais qualifier mon style mais Lucian-Dragos…
… a un côté assez intimiste et social…
J.S. : Oui, c’est marrant, cela part dans tous les sens, il parle de plein de choses, en retombant sur ses pattes, bien sûr.
P.-J.B. : il donne des éléments culturels et historiques sur la Roumanie, ce que Jacky ne fait pas. Pour les Roumains, la partie française ne doit pas être si intéressante que ça. Il y a un côté name dropping qui ne doit pas bien les toucher. Alors que le lecteur français a une vision de la Roumanie actuelle.
J.S. : Je me suis attaché à décrire la vie des gens dans une caserne de gendarmerie. Mon enquêteur est gendarme et j’ai pris comme modèle la gendarmerie Delfosse dans le quartier Confluence à Lyon, que je connais un peu pour y faire du foot en salle chaque semaine.
Du coup, vous vous êtes fait des amis…
J.S. : Oui, un auteur de polar qui n’est pas pote avec des gendarmes, c’est une faute professionnelle. Je suis tenu d’entretenir ces relations-là. Mais, plus sérieusement, ce qui m’intéressait était de raconter le quotidien d’une caserne, que je connais par ailleurs. C’est assez particulier, ils ne vivent qu’entre eux, les femmes se connaissent, la plupart sont nounous. Et je me suis amusé à donner à tous mes personnages le nom d’écrivains et d’éditeurs de polar.
Vous disiez avoir écrit un chapitre sur deux, mais comment faisiez-vous pour lire le chapitre de votre collègue roumain ?
J.S. : Il me l’envoyait traduit par Google. J’avais les événements, je savais où on en était, mais en revanche, aucune notion du style. J’ai vraiment découvert son texte lorsque la traduction (par Jean-Louis Courriol, ndlr) a été faite. Ce n’était pas évident, mais cela me suffisait pour savoir où on allait et où je devais aller. Mais nous avions toute l’histoire, la chute, donc c’était balisé. Le fait divers nous a suffi. Nous l’avons modifié et fait évoluer pour que cela se passe en Roumanie et en France. Il nous a sauvé la vie. Car sinon, en trois mois, c’est impossible d’écrire un livre à deux. Et même tout seul, c’est compliqué.
Est-ce le fait qu’il y ait eu des contraintes pour que votre roman ne soit pas dans votre registre humoristique habituel ?
J.S. : J’ai voulu faire un polar plus classique, avec enquête, procédures. Il y a un légiste et même un juge, qui s’appelle Pierre-Jean Balzan, et qui est « aussi sympathique que Ivan Ledl » comme je l’ai écrit (rires). Cela m’a bien plu et je me suis même dit que je tenais un personnage qui pourrait un jour faire un autre livre. Et le name dropping avec le nom des auteurs est un clin d’œil à Quais du Polar qui est l’instigateur du projet.
En trois mois, c’est impossible d’écrire un livre à deux. Et même tout seul, c’est compliqué.
Quel a été l’accueil au festival roumain ?
J.S. : Je n’y ai pas participé. Mais j’y suis allé plus tard pour rencontrer Lucian-Dragos Bogdan. Le premier soir quand nous sommes allés boire un verre, il a pris une eau minérale. Je suis tombé sur le seul Roumain qui ne buvait pas d’alcool (rires). C’est marrant car quand nous avions réfléchi au livre, nous avions décidé de mettre dedans les clichés que nous avions les uns sur les autres. Il n’arrête pas d’écrire que nous sommes arrogants et moi qu’ils sont alcooliques.
P.-J.B. : J’y suis allé. « Bucarest Noir » était leur premier festival. Il se déroulait à la maison des littératures de Bucarest, un endroit magnifique qui rend hommage à tous les grands auteurs roumains. C’était un beau partenariat et les Roumains sont très demandeurs de ce genre de projets. Ils ont envie d’avoir des partenariats avec d’autres pays car ils sont très isolés et ils sont heureux que des livres d’auteurs contemporains roumains puissent arriver en France.
Et pour finir, actualité toujours, vous sortez un récit de voyage chez Paulsen.
J.S. : Il m’a pris l’idée d’aller faire le marathon de Pyongyang en Corée du Nord au mois d’avril dernier. C’était mon premier marathon. J’y suis resté dix jours. Le livre raconte l’entrainement, pourquoi j’y vais, et les dix jours de visites fantastiques de tout ce qu’il y a à voir là-bas, c’est à dire pas grand-chose (rires). Non, il y a plein de choses, mais ils nous ont surtout fait visiter tout ce qui à trait au régime, à Kim Il Song le grand-père, Président Éternel… on s’est prosterné des dizaines de fois devant des statues en essayant de ne pas rire. En revanche, nous n’avons jamais parlé à un Coréen du Nord. Nous n’avons jamais pu ne serait-ce que marcher seuls en ville. Tout était hyper cadré, hyper rigide. Du coup c’est très compliqué d’essayer d’avoir une prise de température dans ces conditions-là.
Pour aller plus loin
Jacky Schwartzmann chez La Fosse aux ours
Le site de Lucian-Dragos Bogdan
Pyongyang 1071, à paraître le 3 octobre 2019 chez Paulsen.