Nous avons eu l’occasion de rencontrer Dominik Moll à l’occasion de la sortie du film Seules les bêtes, tiré du roman de Colin Niel, publié au Rouergue en 2017.
Du livre au film
En général, il faut du temps pour qu’un livre devienne un film. L’option est posée, parfois ça ne se fait pas et quelqu’un d’autre pose une option et… Pour Seules les bêtes, tout a été très rapide.
Dominik Moll : « C’est une amie qui m’a rapporté le livre du festival Quais du polar à Lyon. D’autres productions s’intéressaient aux droits du livre, mais plus pour une série qu’un long-métrage, et Colin Niel avait le choix de voir vers qui se tourner. Lorsque Haut et Court [société indépendante de production et de distribution de films] a mis une option sur le livre, Colin ne savait pas que cela allait être moi le réalisateur. Haut et Court avait posé une option sans savoir que j’étais très intéressé par le livre. Et moi, je ne savais pas qu’ils avaient posé une option…
Nous avons fini par nous rencontrer et Colin se sentait à l’aise avec Haut et Court, ainsi qu’avec l’idée que ce soit un long-métrage, et non une série. C’est vrai que cela s’est fait relativement vite. »
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Un défi de scénario
Seules les bêtes de Colin Niel est un roman choral en cinq parties. Un personnage par partie, qui, à travers ses actions et pensées, donne un éclairage de l’histoire globale. Chaque personnage parle à la première personne.
D.M. : « C’est vrai que dans le livre les gens n’arrêtent pas de parler dans leur tête, c’était le défi principal de l’adaptation. Il fallait trouver des situations sans voix off, construire le mystère avec un regard extérieur – même si à chaque fois on est dans le point de vue d’un personnage, mais cela se traduit plus par la façon de filmer ce qu’on montre, ou ce qu’on ne montre pas.
Souvent on se rend compte qu’on est trop explicatif dans le scénario, que ce soit dans les dialogues ou dans les scènes, car c’est juste un support écrit. Et, une fois que c’est incarné par les acteurs, il y a tellement de choses qui passent toutes seules, qu’on coupe dans les dialogues pour se concentrer sur l’essentiel. »
Un calendrier chargé
Lorsqu’on regarde la filmographie de Dominik Moll, on voit en 2019, en plus de Seules les bêtes, la série Eden, que nous ne saurions trop vous recommander.
D.M. : « Au moment où nous avons commencé l’écriture de Seules les bêtes, Arte m’a contacté pour Eden. Cela m’intéressait beaucoup de faire cette série-là. Nous avons fini le scénario avec Gilles Marchand, j’ai enchaîné avec la série et pendant la postproduction d’Eden, nous avons commencé la préparation du film. C’est la première fois que j’enchainais aussi vite deux projets, mais cela a été très excitant. Ce télescopage était vraiment le fruit du hasard. Je n’ai pas ressenti trop de différence entre tourner la série et tourner le film, il n’y a pas eu de différence marquante du style « ah oui, on fait du cinéma, c’est très confortable, tandis qu’à la télé… ». Au cinéma, sauf pour certains films, ça se resserre beaucoup et pour les films comme Seules les bêtes, on ne croule pas sous l’argent et le plan de travail est aussi très serré. Dans les deux cas, il faut bosser [rires] et de manière assez intensive. »
De l’art du casting
Seules les bêtes est servi par un excellent casting. Ce que confirme Dominik Moll, le réalisateur : « J’étais très content du casting et du travail avec les acteurs. Ils sont tous très généreux dans le jeu, dans ce qu’ils proposent et c’est très agréable pour un réalisateur. »
Denis Ménochet
« Son rôle est venu pendant l’écriture. Je l’avais déjà vu dans Jusqu’à la garde, il m’avait impressionné, je l’ai revu et j’avais très envie qu’il interprète Michel », nous dit Dominik Moll. Nous aussi, après l’avoir vu dans Jusqu’à la garde nous pensions que Denis Ménochet serait parfait en paysan bourru. Il l’est, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais son rôle est loin de se limiter à son physique, tout son talent revient, une fois de plus à son jeu, à l’exposition de ses fêlures, comme il l’avait magnifiquement fait dans Grâce à Dieu, le dernier film d’Ozon. Il est aussi particulièrement brillant dans les scènes de chat sur internet.
D.M. : « C’est ce qui m’a fait le plus peur. Car dans un livre, on lit les chats sur internet et ça passe. Dans un film, on se demande vite à quel moment les gens vont se lasser de voir un acteur seul devant un écran d’ordinateur. C’est une des choses dont je suis presque le plus fier dans le film, c’est que ça marche très bien. Et c’est surtout lié aux comédiens. Nous avons d’abord tourné les parties en Lozère et fait tous les gros plans de Denis Ménochet face à son écran. Il faisait passer tellement de choses dans son visage, il vivait tellement ses conversations avec l’ordinateur que je me disais “c’est bon, ça va marcher”. »
Laure Calamy
Nous l’adorons exubérante dans la série Dix pour cent. Elle est ici marquante dans son rôle d’assistante sociale, toute en sensibilité, comme elle l’était récemment dans Temps de chien ! d’Édouard Deluc.
Damien Bonnard
Nous l’avions quitté en amoureux transi dans En liberté ! de Pierre Salvadori, nous le retrouvons mutique et inquiétant. C’est une belle composition, que ce soit dans sa démarche, dans son regard inquiétant ou ses mains puissantes de travailleur.
Nadia Tereszkiewicz et Valeria Bruni Tedeschi
Nadia Tereszkiewicz est la révélation de ce film. Elle est parfaite dans le rôle d’une jeune femme qui découvre l’amour et qui pense tout savoir malgré son jeune âge. Elle tire toute son épingle du jeu face à une Valeria Bruni Tedeschi à contre-courant de ses rôles habituels.
D.M. : « Elle sort des personnages qu’elle joue, notamment ceux dans ses propres films, où elle est superbe, mais qui sont souvent des personnages très névrosés. Là elle est beaucoup plus dans le contrôle, dans le refus de se laisser envahir par une relation amoureuse. Elle joue un rôle de femme plus forte, même si elle a aussi ses failles qui transparaissent. »
Guy Roger « Bibisse » N’drin et les brouteurs d’Abidjan
D.M. : « Lorsque nous avons fait le casting à Abidjan, il y avait très peu de comédiens professionnels – surtout de cet âge-là. Nous nous sommes très vite rendu compte qu’il fallait passer par un casting sauvage. Pour la préparation du film, j’avais vu un documentaire sur les brouteurs : Vivre riche de Joël Akafou, un jeune réalisateur abidjanais. C’est lui qui nous a ouvert les portes de ce milieu-là et nous avons fait le casting auprès de jeunes gens qui pratiquent ces arnaques internet. Nous avons eu la chance de tomber sur Bibisse, qui joue Armand.
Ce qui m’a plu dès les premiers essais, c’est que même s’il n’était pas forcément très bon, on sentait qu’il était malin, qu’il avait un côté filou et charmeur en même temps. C’est ce qu’il fallait pour rendre le personnage attachant. Ensuite, il s’est avéré qu’il avait un vrai talent de comédien, inné. Et il a très vite compris ce que ça voulait dire de jouer et surtout de prendre plaisir à jouer, et c’est ce qu’on sent chez lui. C’était important pour nous de se documenter, de parler avec eux pour que ce ne soit pas le regard extérieur d’un blanc qui débarque et qui projette ses propres fantasmes de l’Afrique là-dessus. Nous avions un réel souci d’authenticité. »
Cet article a été rendu possible grâce à la rencontre de Dominik Moll au cinéma le Comœdia le 13 novembre 2019, qu’ils soient aussi remerciés.
Pour aller plus loin
Colin Niel, l’auteur de Seules les bêtes chez son éditeur Le Rouergue, et en poche chez Babel
Pour acheter, et donc voir, la série Eden de Domink Moll, c’est sur le site d’Arte
Une interview de Joël Akafou, réalisateur du documentaire Vivre riche