Avec Honorer la fureur, Rodolphe Barry retrace la vie de James Agee (1909-1955), auteur, scénariste et journaliste américain, ami de John Huston et de Charlie Chaplin, et méconnu du grand public. Un roman biographique d’une rare puissance.
Dans les premières pages d’Honorer la fureur, James Agee a vingt-six ans, un poste de rédacteur dans un journal new-yorkais, il est sorti il y a quelques années de Harvard et pourtant il se tient debout sur le rebord de la fenêtre de son bureau, à cinquante étages du sol. Ce qui pourrait s’apparenter à un acte de désespoir n’en est pas un. Pour James Agee, se jucher sur cette fenêtre alors que son corps pourrait basculer dans le vide à tout moment, c’est simplement un besoin de respirer, de prendre du recul sur son quotidien harassant, sur le journalisme qui l’use, de pouvoir se rappeler qu’il est maître de son destin.
En débutant son roman par cette image très forte de James Agee, Rodolphe Barry montre d’emblée à son lectorat tout ce qui fait le sel de ce personnage : sa furieuse envie de liberté et son indépendance.
Un homme pluriel
En mélangeant souvenirs d’enfance et cours de sa vie, Honorer la fureur fait le portrait complet de l’auteur, à la fois journaliste malheureux, pionnier du gonzo avec son reportage sur les métayers en Alabama, Louons maintenant les grands hommes, scénariste de La Nuit du chasseur et de The African Queen pour son ami John Huston, mais aussi écrivain incompris – trop long, trop lyrique, trop poétique pour une époque qui ne demande déjà que du calibré.
Mais c’est surtout l’homme que Rodolphe Barry décrit et qui ne cesse de toucher et bouleverser le lecteur. Un homme en proie à ses démons, en perpétuelle lutte avec lui-même contre ses furieuses addictions. Alcoolisme, tabagisme, manque de sommeil, travail, Honorer la fureur rend compte du style de vie effréné de James Agee, usant et mortel.
La vie sentimentale de ce dernier est tout aussi passionnée, fiévreuse des rencontres, du sexe, des sentiments, et dont la conjugaison avec sa paternité, une vie de famille rangée et une épouse aimée est difficile. Rodolphe Barry montre aussi un homme sage, à l’image de sa correspondance avec le Père Flye, le confident et protecteur, réfléchie, philosophique et pleine de recul sur lui-même et sa vie.
Enfin, c’est un homme trop subversif pour son époque que présente Rodolphe Barry, un homme qui toute sa vie a lutté pour être libre dans une société moderne et libérale qui ne lui a jamais laissé de répit. Un homme dont les réflexions et les actes résonnent curieusement dans le monde toujours plus libéral de 2020.
Évoquer par l’écriture
La force d’Honorer la fureur est d’avoir une langue à la hauteur de son personnage, habitée, lancée à pleine vitesse par instants, dans la folie du moment ou le flot des souvenirs, mais qui sait se faire plus calme, au fil des retraites provisoires d’Agee, solitaires ou en famille, de ses retrouvailles avec ses amis… Ces moments apparaissent comme une respiration, une pause dans l’agitation que fut cette vie.
Roman, biographie, roman biographique, on ne sait comment caractériser Honorer la fureur… À la fois un roman, presque une pure fiction, tant James Agee semble être un personnage type tout droit sorti d’un grand roman américain, mais nécessairement une biographie, et l’on remerciera longtemps Rodolphe Barry d’avoir mis en lumière cette trajectoire de vie.
Il y aura dorénavant un morceau de James Agee en nous, de cette vie sans concessions, de cette recherche de liberté, de ses démons et tourments. Et dans le même mouvement, Honorer la fureur continuera à nous habiter, comme seules les grandes lectures savent le faire.
Pour aller plus loin
Les romans de Rodolphe Barry sont publiés chez Finitude et Honorer la fureur est en poche chez Points
Rodolphe Barry parle de son livre et de James Agee en vidéo par la librairie Mollat
Les livres de James Agee sont publiés chez Plon, Christian Bourgois éditeur, les Cahiers du cinéma et Capricci
Une interview d’un autre auteur que l’on aime et suit chez Finitude : Joseph Incardona