The Night manager c’est, au départ, un roman daté de 1993 de John le Carré, Le Directeur de nuit, la série est une adaptation actualisée, se déroulant en 2011 et 2015. Brillamment interprétée par un casting remarquable, la série de 2016, produite par la BBC, est savamment mise en scène par Susanne Bier.
L’histoire
The Night manager commence au Caire dans un hôtel de luxe, en plein Printemps arabe. Jonathan Pine (joué par Tom Hiddleston), directeur de nuit dans cet hôtel, est abordé par Sophie Alekan, une cliente, maîtresse de Freddie Hamid, LE trafiquant du pays, qui lui demande de faire des photocopies et de les mettre à l’abri dans un coffre.
Son rôle et son tact lui imposeraient de s’exécuter sans rien voir, mais il ne peut s’empêcher de regarder les documents : les preuves d’une vente d’armes pour écraser le soulèvement égyptien, le tout au nom d’une société de Richard Roper (interprété par Hugh Laurie), magnat notoire, que les services secrets surveillent, mais n’ont jamais réussi à inquiéter.
Jonathan Pine, ancien soldat britannique, contacte une de ses connaissances à l’ambassade de Grande-Bretagne, mais rien ne se passe comme prévu. Sophie Alekan est assassinée et ni Freddie Hamid ni Richard Roper ne sont arrêtés – comment aurait-il pu en être autrement ?
On retrouve Pine quelques années plus tard, il mène une existence monastique à Zermatt, où il est… night manager. Sa routine vole en éclat lorsqu’un soir, débarque en hélicoptère Richard Roper, accompagné de sa garde rapprochée. Pine téléphone à Angela Burr (intrépide Olivia Colman), des services secrets britanniques, qui avait déjà tenté de l’approcher au Caire, quatre ans plus tôt. Ça sonne, décroche, elle est toujours là…
L’adaptation
Le moins que l’on puisse dire qu’on c’est que l’adaptation par David Farr du roman de John Le Carré est excellente. En six heures et six épisodes, le scénariste a pris le temps d’actualiser le roman et de conserver la patte de John le Carré. En témoigne ce qu’en dit Le Maître en bas d’article.
On ne va pas revenir sur la carrière brillante de l’auteur mais, pour faire simple, c’est l’homme qui a donné ses lettres de noblesses au roman d’espionnage et qui, surtout, quand le Mur s’est effondré et que tous ceux qui n’écrivaient que des histoires du type « les gentils occidentaux versus les méchants communistes avec un sous-marin au milieu de l’Atlantique » ont vu leur fonds de commerce péricliter, a intelligemment – une marque de fabrique – fait remarquer que l’ennemi était toujours là, mais dans une forme différente : laboratoire pharmaceutique, trafiquants d’armes… Bref, sa perte est immense.
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Susanne Bier à la réalisation
La réalisation de Susanne Bier est impériale. On oscille entre des paysages et lieux magnifiques (le train à Zermatt…), ce qui paraît facile – mais il faut savoir le filmer – et une tension des plus angoissantes. Cette tension est particulièrement liée à Hugh Laurie qui joue Richard Roper et qui excelle à mettre mal à l’aise ses interlocuteurs, qui ne savent jamais sur quel pied danser avec lui. Susanne Bier est parfaite pour coller au plus près de ses personnages, et filmer des grands écarts, des lieux luxueux aux zones de guerre. Déçus par sa dernière série, The Undoing, réalisée pour HBO, sa réalisation est pour The Night manager des plus convaincantes.
Le casting
Nous avouons n’avoir jamais regardé Docteur House et ne connaissions en rien, pas même musicalement, Hugh Laurie. Il est ici monstrueux en Richard Roper, dans tous les sens du terme. Angoissant, au regard perçant, l’acteur est aussi convaincant dans un hôtel cinq étoiles qu’au milieu de mercenaires en Turquie. Une véritable prouesse.
À ses côtés, Corky (Tom Hollander) excelle en bras droit, homme des basses œuvres. Et face à eux, Tom Hiddleston (Jonathan Pine) est digne d’un Daniel Craig en James Bond. La classe britannique, l’amour du pays, le sang-froid, le charme…
Charme qui nous amène à Elizabeth Debicki. Nous l’avions découverte dans Les Veuves, de Steve McQueen, où elle nous avait marqués. Comme dans Tenet de Christopher Nolan, elle excelle en femme si grande et si fragile. Olivia Colman joue Angela Burr, femme déclassée et opiniâtre d’une officine des services secrets de Sa Majesté. À ses côtés, David Harewood, découvert dans Criminal Justice, au sourire toujours aussi désarmant, en franc-tireur américain. Le très bon Antonio de la Torre fait une brève apparition, remarquable avec son mauvais bouc.
John Le Carré à propos de l’adaptation de The Night manager :
« C’est l’un des miracles tout à fait inespérés de ma vie d’écrivain : un roman que j’ai écrit il y a plus de vingt ans, perdu au fond des archives d’un grand producteur de films qui en avait acquis les droits sans le réaliser, est soudain ressuscité et adapté pour un public contemporain. Et de quelle manière ! Dans le roman, mon chef espion britannique est un homme, Burr, un type lourd, mal dégrossi, dénué de fantaisie, un personnage qui rendait hommage à mon passé dans le monde du renseignement où les femmes officiers étaient pour le moins rares. Mais avions-nous vraiment envie d’un tel personnage en 2015 ? Un homme blanc entre deux âges aux côtés d’un autre homme blanc entre deux âges qui se sert d’un troisième, plus jeune, comme arme de choix. Pas du tout ! C’est ainsi qu’apparut — sous mes plus vifs applaudissements — la délicieuse Mrs Burr, de son prénom Angela, courageuse, futée, tour à tour austère ou pétillante et, dans la vie comme dans le scénario, magnifiquement enceinte.
Et après, comme dirait Hemingway, il y avait l’histoire. Pour le roman, j’avais choisi comme cadre de l’intrigue le yacht luxueux de Richard Roper, trafiquant d’armes et surtout super méchant extraordinaire. Mais les yachts de luxe coûtent un bras et, dans les films, à moins de les couler par la suite, cela devient rapidement répétitif et peut rendre claustrophobe. Mieux valait lui offrir une île de milliardaire au soleil qui rappellerait le palais de Gatsby, ajouter quelques cottages pour ses sous-fifres et hommes de main. C’est sur la côte nord de l’île de Majorque que nous avons découvert ce joyau. Mais il y avait toujours une histoire à raconter. Et nous étions toujours décidés à la raconter au présent. Vingt-cinq ans auparavant, l’intrigue du roman m’avait emporté, moi et mon protagoniste de fiction Jonathan Pine, de l’ouest des Cornouailles à la ville minière du Val-d’Or au nord du Québec, pour contrecarrer la vente d’une cargaison d’armes aux barons de la drogue. Mais, en 2015, la lutte contre la drogue était devenue un sujet rebattu, et la vente illégale d’armes avait migré entre-temps vers les contrées sanglantes du Moyen-Orient, de Syrie, de Libye et surtout d’Égypte, où la démocratie est abattue dès qu’elle fait mine de prendre son essor. Je souhaitais seulement conserver le cœur de l’intrigue, à savoir les relations entre les protagonistes, et l’arc narratif de l’histoire d’origine, peu m’importait où ça se passait. Je voulais que l’on explore les mêmes tensions et appétits humains et que l’on résolve le conflit dramatique dans les mêmes termes. Grâce aux performances d’Hugh Laurie, Tom Hiddleston, Olivia Colman, Tom Hollander, Elizabeth Debicki et de tous les autres, avec une mention spéciale pour la superbe mise en scène, sans compromis, de Susanne Bier, les six heures de The Night Manager composent une symphonie complète ! »
Pour aller plus loin
La série The Night manager sur le site de la BBC
Les propos de John le Carré sont rapportés sur le site de France 3
Le Directeur de nuit est publié chez Points, comme le reste de l’œuvre de John le Carré
Pour en apprendre plus sur John le Carré, lire le Cahier John le Carré des éditions de L’Herne