Personnage en quête de vengeance, avocats et sans papier livreur à vélo, le premier roman de Nathalie Gauthereau, Dans l’œil de la vengeance, paru au Rouergue, nous a marqués. Nous avons voulu en savoir plus sur ce texte et son autrice.
Nathalie Gauthereau, on ne vous connaît pas et sur le web, il n’est pas indiqué grand-chose, pourriez-vous vous présenter ?
Oui, bien sûr. J’ai 54 ans. J’exerce la profession d’assistante juridique dans un cabinet d’avocats à Grenoble. Quand je ne travaille pas et que je n’écris pas, j’aime randonner. Avec les trois massifs (Chartreuse, Belledonne, Vercors) qui entourent la région grenobloise, nous sommes vraiment gâtés. Les paysages sont magnifiques. Et la marche est vraiment propice à la réflexion. Beaucoup d’idées me viennent en me baladant. J’aime beaucoup lire aussi. Des romans policiers/noirs bien sûr, mais j’aime la littérature en général. Je n’ai malheureusement pas assez de temps pour lire tout ce que je voudrais.
On peut lire que vous avez commencé par écrire des nouvelles – de nombreuses fois primées – quel a été le déclic ? Un pari fou, comme vous le dites dans les remerciements ?
Le pari fou était de reprendre l’écriture que j’avais abandonnée dix ans plus tôt, faute de temps. Et d’écrire une nouvelle noire/policière. Plus longue que tout ce que j’avais écrit jusque-là ! Ce n’était pas gagné d’avance, mais à mon grand étonnement, j’y suis arrivée. Ma nouvelle n’a pas été primée, mais le désir de continuer à écrire était bien là, lui. Ensuite, les choses se sont accélérées. J’ai participé à plusieurs concours en 2018 et j’en ai remporté quelques-uns, dont celui de la micronouvelle Radio France et celui de Quais du Polar en 2019. C’est à partir de là que je me suis dit qu’il fallait que j’essaye d’écrire quelque chose de beaucoup, beaucoup plus long !
Et comment s’est fait ce passage au roman, on peut lire en fin du livre de nombreux remerciements, dont à Nathalie Démoulin, votre éditrice.
Ça s’est fait par étapes. Le fait d’avoir remporté des concours de nouvelles m’a rassurée sur mon écriture et j’ai eu envie d’aller plus loin. En cela, les concours de nouvelles sont vraiment très formateurs, parce que vous soumettez votre texte à des personnes que vous ne connaissez pas et vous n’êtes jugé que sur la qualité de vos écrits. Il n’y a pas d’affect.
Pendant ces deux années où j’ai participé à des concours, il m’a fallu travailler mon écriture, trouver le genre qui me convenait. Je passais mon temps à alterner des textes noirs et d’autres plus blancs et sociétaux. Avec le recul, je me rends compte que mon roman est noir, mais empreint de ce qu’est notre société, avec ses bons et ses mauvais côtés.
Quand mon roman a été terminé, je l’ai envoyé à une vingtaine de maisons d’édition. Seule Nathalie Démoulin m’a répondu positivement. Elle a cru en moi. Elle m’a aussi fait travailler mon texte. Je la remercie d’y avoir cru.
Ce premier polar met en scène un duo d’avocats. Pour quelqu’un qui écrit le soir après le travail, n’aviez-vous pas l’impression de replonger dans votre quotidien ?
Oui et non. Oui, parce que je suis forcément imprégnée de ce que je vis dans mon travail et que j’avais envie de raconter certains aspects de mon quotidien. Mais, non dans le sens où mes personnages d’avocats sont fictifs, ils ne ressemblent pas à ceux que je côtoie au quotidien. Je leur ai construit une identité propre et un environnement très éloigné du mien.
Interview de Nathalie Gauthereau sur le monde des avocats dans son roman Dans l’œil de la vengeance
Avec Louise Pariset et Jordan son associé, un excellent duo au passage, vous mettez en avant leur métier, les divergences qu’il peut y avoir (« les flics et les avocats pénalistes ne s’aimaient pas beaucoup »), les amours à la cour et vous expliquez aussi la machine judiciaire (« même quand on a rien à se reprocher, la machine judiciaire peut vous broyer »). Le tout, en finesse, sans manichéisme ou parti-pris. Comment avez-vous fait ?
Je suis très contente que ce duo vous plaise. J’y suis très attachée. Il y a Louise, l’avocate droite, rigoureuse, qui a une grande estime pour sa profession, et Jordan qui fait partie d’une nouvelle génération que j’ai vue émerger avec le temps. Il s’affranchit des règles quand il l’estime nécessaire. Il adore les réseaux sociaux et s’en sert comme vitrine. Je l’aime beaucoup, même si parfois son peu de morale m’insupporte. Pour le punir, j’envisage de lui supprimer son petit carnet noir ! Mais Jordan a aussi un côté très humain et il est un soutien pour Louise.
J’ai essayé de ne pas être manichéiste. Au travers de mes personnages, je voulais montrer certaines choses qui me semblent dysfonctionner dans notre société, des situations qui sont parfois injustes ou des situations qui expliquent sans les justifier certains comportements. Je ne voulais pas porter de jugement tranché sur les uns ou les autres. Parce que rien n’est jamais blanc ou noir. Le manichéisme est excluant et crée les clivages que l’on constate aujourd’hui dans nos sociétés. Il faut être d’un camp ou d’un autre. La nuance n’est plus permise. Malheureusement, dans ce mode de fonctionnement binaire, on ne s’écoute plus, on s’oppose.
Vos personnages sont particulièrement bien travaillés, en particulier Le Borgne qui dit très bien « on ne nait pas méchant, on le devient », comment les avez-vous construits ?
Cela peut paraître bizarre mais je « vis » un peu chacun de mes personnages. J’essaie de me mettre à leur place, de ressentir les choses comme eux, d’agir comme eux, avec leur regard sur la société. Leur manière de s’exprimer doit être différente, puisqu’ils ne viennent pas du même milieu, et parfois pas du même pays. Leur capacité à la résilience n’est pas la même non plus, certains ont vécu des événements traumatiques qui ont irrémédiablement changé leur regard sur la société.
Je me documente aussi beaucoup. Je lis tout ce qui peut m’aider à mieux cerner mes personnages.
Vous brossez aussi un très beau portrait de Kofi Diallo. À son sujet nous avons une belle phrase de Mamadou Kebe, travailleur régularisé en 2010 après plus d’un an de grève : « Vous n’êtes pas des travailleurs sans papiers ! Après tout, vous possédez un passeport, un acte de naissance. Vous êtes des travailleurs sans droits, contraints d’accepter ce que d’autres n’acceptent pas. Vous ne volez le travail à personne, vous faites le travail dont personne ne veut. »[1]
Kofi est le personnage préféré de mon éditrice ! J’y suis aussi très attachée. C’est un jeune homme qui se bat pour s’en sortir. Il travaille pour vivre, mais aussi pour faire vivre sa famille au pays. Il fait tout pour régulariser sa situation mais n’y arrive pas puisqu’il est entré en France de manière illégale. Aujourd’hui, si l’on regarde autour de nous, on remarque que beaucoup de ces migrants clandestins travaillent. Ils participent à notre économie, mais aussi à celle de leur pays d’origine puisque les flux d’argent vers leurs pays d’origine sont en perpétuelle croissance. Et pourtant, ils sont déclassés. Ils sont victimes de tous les trafics sur la route de l’exil. Et si, par chance, ils arrivent en Europe et ne meurent pas noyés ou assassinés, leur calvaire continue. Ils ne sont rien. Cela interroge vraiment notre humanité.
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À travers lui, on voit la livraison à vélo, ce nouvel esclavage moderne et nous avons pensé à Tous complices ! le roman de Benoit Marchisio paru aux Arènes. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Oui, il y a de l’esclavage moderne derrière tout ça. Il y a des plateformes qui s’enrichissent en faisant travailler des migrants dont elles savent pertinemment qu’ils sont sans papiers et précaires. Il me semble avoir entendu encore récemment que le paiement des livraisons allait encore baisser pour les livreurs. Il y a aussi de personnes qui sous-louent des comptes et prennent une commission sur le travail des livreurs clandestins.
D’un autre côté, ces emplois précaires permettent à des gens en situation illégale d’avoir un revenu et de pouvoir survivre.
Je me suis beaucoup inspirée de ce que je vois au quotidien, puisque dans la ville où je vis, dans la rue où je travaille, je croise chaque jour des livreurs de repas. Ils sont invisibles si on ne prête pas attention à eux.
Votre roman revient aussi sur le confinement : c’était important pour vous de l’ancrer dans cette période ?
Quand j’ai commencé à écrire ce roman, nous étions en pleine crise de la Covid. On se disait que ce serait un passage et puis, vague après vague, cela a modifié notre façon de vivre, de penser et d’agir. Au premier confinement, les rues de nos villes ont été désertées. Nous n’avons plus eu la possibilité de sortir de chez nous, d’aller travailler, de faire nos courses librement, comme nous l’avions toujours fait. Beaucoup de gens ont été infectés et ont perdu la vie. Cette pandémie a par ailleurs véritablement fait exploser la demande de livraisons de repas à domicile. Ce sont donc ces livreurs, clandestins pour beaucoup, qui se sont retrouvés à travailler pour nous et à prendre des risques. C’était donc important pour moi d’ouvrir le roman sur cette période difficile.
Et pour finir, Lyon, place centrale du roman, on vous croyait y vivre, mais non… Alors pourquoi plus Lyon que Grenoble, par exemple ?
Pour écrire, j’ai besoin de m’imprégner des lieux où je situe mon intrigue. Le décor est aussi important pour moi que les personnages. La ville est même un personnage à part entière. Je fais beaucoup de recherches, je me déplace quand je le peux. Il faut que je ressente l’endroit et que je puisse y projeter mes personnages. Je m’attache à la ville, comme à certains de mes personnages.
Pourquoi Lyon et pas Grenoble ? Pour plusieurs raisons. Parce que je connais trop bien Grenoble pour arriver à m’en détacher et laisser mon imaginaire construire une histoire sans que le réel ne s’invite à mon insu. Je voulais vraiment me sentir libre. Alors, je me suis dit que je pourrais aller semer quelques cadavres chez mes voisins Lyonnais pour qui j’ai beaucoup d’affection. Lyon est une très belle ville, et par certains aspects, elle ressemble à Grenoble. Il y a des quais, chez nous aussi. Il y a Fourvière, nous avons la Bastille. Donc, je m’y sens un peu comme chez moi. J’aime la chaleur des bouchons lyonnais et le festival Quais du Polar est une vitrine exceptionnelle pour tous les auteurs de polars.
Et puis en plaçant mon roman à Lyon, je reviens aux origines, puisque la nouvelle que j’ai écrite et qui a été lauréate du concours Quais du polar en 2019 se situait à Lyon. La capitale des Gaules méritait donc bien d’être au cœur de mon roman.
Dans mon prochain roman, j’évoquerai sans doute un peu plus ma ville, Grenoble, mais Lyon sera toujours là.
Pour aller plus loin
Dans l’œil de la vengeance de Nathalie Gautherau est disponible aux éditions du Rouergue.
[1]Sarah Delattre, « Sans papiers et mobilisés ! », La Vie Ouvrière, no19, p. 24-25.