Cartel, la suite de La Griffe du chien, paraît le 8 septembre, l’occasion d’exhumer une ancienne rencontre avec Don Winslow, qui nous expliquait la genèse de cette première partie que vous devez ABSOLUMENT lire avant Cartel.
Lorsqu’on lit votre biographie, votre succession de métiers exercés fait “très américain“ et on se dit que ça vous faisait de la matière pour écrire des romans, mais quel a été le déclic ?
J’ai toujours voulu écrire des romans. Déjà quand j’étais gamin, mes héros étaient des romanciers : Robert Ruark, Leon Uris, Hemingway et Fitzgerald, avec tous ces bouquins que mon père me faisait lire. J’ai toujours pensé que si les choses tournaient comme je le souhaitais, ce serait la meilleure des vies. Comme vous le mentionnez dans votre question, il m’a fallu un certain temps pour y parvenir et j’ai dû faire d’autres choses pour gagner ma vie. Mais j’ai essayé de faire des choses différentes, et intéressantes, – qui m’ont permis de voyager, de pénétrer dans d’autres univers, d’autres cultures (sous-cultures?). Pendant tout ce temps, je n’ai pas cessé d’écrire, mais je n’ai commencé à y penser sérieusement qu’au bout de quelques années. Je crois que la crainte de l’échec m’a empêché longtemps de me livrer sérieusement à l’exercice.
La Griffe du chien… face à un tel ouvrage, dense, documenté, on se demande ce qui pousse un auteur à s’attaquer à un livre aussi fort (la folie ?) et ensuite : combien de temps de travail ? Combien de livres épluchés, de rapports lus, de gens rencontrés ? Et pensiez-vous que ce serait un si gros ouvrage ?
Folie est le bon mot. Non, je n’avais aucune idée de l’odyssée que cela allait devenir. Je continuais juste à faire des recherches, encore des recherches, et plus j’apprenais de choses, plus ma colère augmentait et plus je me rendais compte que pour vraiment rendre justice à l’histoire, il allait falloir que ce soit un GROS LIVRE. J’ai mis cinq ans à l’écrire, puis à le réécrire car j’ai dû couper le manuscrit d’origine en deux. En réalité, je ne saurais vous dire combien de livres, d’articles, de rapports d’audiences du Sénat, de minutes de tribunaux, de rapports de police et des services de renseignements j’ai épluchés. Combien de gens j’ai rencontrés? Trop! Honnêtement, je n’avais pas conscience de ce dans quoi je m’embarquais.
On réfléchît beaucoup actuellement à la légalisation des drogues dures. Ne pensez-vous pas que cela soit la seule solution pour arrêter tout ce trafic et mettre fin à cette guerre contre la drogue ?
Oui. La solution pénale n’a tout simplement pas fonctionné. Cela fait maintenant 40 ans que nous menons ici, aux Etats-Unis, cette prétendue guerre contre la drogue, et pourtant, il y a toujours plein de drogues en circulation, et on peut se les procurer facilement. L’ampleur des ressources consacrées à financer l’application de cette interdiction vous donne le tournis, et ces fortunes pourraient être consacrées à autre chose. Rien que le coût de la prison pour tous ces gens est dément. L’aspect le pire, c’est que la solution pénale met le commerce de la drogue entre les mains des éléments les plus violents. Les bénéfices, à cause de l’interdiction, sont tels que cela vaut la peine de tuer. Les nouvelles qui arrivent du Mexique empirent chaque jour, et cela est vrai depuis que j’ai écrit La Griffe. En comparaison, la violence que j’ai montrée dans le livre en devient presque pâle. La politique actuelle, c’est de la folie. Le moment est venu d’essayer autre chose.
Il y a des tonnes de choses dans ce livre, et il faudrait 15 pages d’interviews pour tout aborder… comme nous manquons de temps, j’aimerais que vous nous parliez de la très belle scène de tremblement de terre dont le rendu est « saisissant » !
Eh bien, d’abord, merci. Résidant en Californie, j’ai connu quelques tremblements de terre, mais aucun d’une amplitude comparable à celui de Mexico qui est décrit dans le livre. Mais j’avais une petite idée de ce qu’on éprouvait. J’ai essayé de me brancher sur la réaction émotionnelle que peut provoquer ce genre de phénomène — ce que l’on peut éprouver—, et de sélectionner des images spécifiques qui donneraient aux lecteurs l’impression de vivre l’expérience. J’ai été particulièrement sensible à l’image des statues qui tremblent dans l’église, par exemple.
En arrière plan on y voit San Diego, ville où vous vous êtes installé depuis quelques années et dont vous commencez pleinement la saga avec L’Hiver de Frankie Machine… et ville qui prend de plus en plus d’importance dans vos romans. Alors, qu’est-ce qui vous pousse à en faire la chronique ? C’est un phénomène qui n’est pas nouveau dans le roman noir américain mais qui se développe beaucoup aujourd’hui, chaque auteur faisant la chronique de “sa“ ville (vous et San Diego, Ellroy et Los Angeles, Pelecanos et Washington, Lehane et Boston… )… échangez-vous entre auteurs parfois sur ces chroniques de ville…
C’est vrai, San Diego est un lieu fascinant— de nombreux quartiers très différents, avec leurs décors et leurs cultures propres, dans un espace relativement restreint, ce qui offre un terrain très riche à un écrivain. Quant aux conversations avec les autres auteurs, non, je ne pense pas que nous ayons jamais parlé de nos villes respectives avec George ou Dennis. Avec Jeff Parker, oui, mais nous vivons au même endroit!
Il y a-t-il un Don Winslow “avant“ La Griffe du chien et un Don Winslow “après“ ?
Je pense avoir changé à partir de La Griffe. Cela a rempli cinq ans de ma vie, durant lesquelles j’ai appris des choses que je n’avais peut-être pas envie de savoir. Mais une fois que l’on a cueilli les fruits de l’Arbre de la Connaissance, on ne peut pas les y remettre, n’est-ce pas? Le résultat est que l’on est toujours expulsé d’un Paradis ou d’un autre.
Traduction et médiation Marie-Caroline Aubert – un grand merci à elle
Pour aller plus loin
Le site de Don Winslow
Le site du film Savages