Adieu Lili Marleen de Christian Roux

Christian Roux

Juste avant la sortie de l’excellent Que la guerre est jolie, revenons en cinq points sur Adieu Lili Marleen. Christian Roux se confie, longuement, profitons-en….

LE PIANO

A sept ans, mes parents m’ont collé au solfège. J’ai détesté et j’ai fini l’année avec un zéro pointé. Deux ans plus tard, un piano entrait dans la maison pour mon frère aîné, qui s’était accroché. En ce temps-là, on te faisait faire deux ans de solfège avant de toucher à un instrument. Quand le piano a trouvé sa place dans la maison, j’ai dit « ça, je veux en jouer ! ». On m’a répondu qu’en ce cas-là, je devais me remettre au solfège. J’ai dit pas de problème, et à la fin de cette nouvelle année de solfège, j’avais 10/10 à l’examen. Et le piano est devenu mon meilleur ami. Quand je rentrais de l’école je n’allais pas retrouver mes copains, je me ruais sur les touches noires et blanches. Entretemps – je le raconte dans Adieu Lili Marleen -, ma mère m’avait initié à la musique classique à travers des œuvres que mon père lui avait fait découvrir – elle était issue d’un milieu ouvrier et ne connaissait rien à cet univers mais était tombée follement amoureuse de certaines partitions.

Christian Roux

Entendre le premier concerto pour piano de Tchaïkovski et le second de Rachmaninov a été une révélation. Sont venus ensuite Beethoven, Bach… Pas folichon pour les conversations en récré… Le meuble, ça vient beaucoup plus tard. J’ai été pendant quelques années pianiste de bar – l’anecdote de la vieille dame qui voulait que je joue Lili Marleen est du pur vécu, de même que l’histoire qu’elle m’a racontée – et au bout d’un moment, on a vraiment l’impression de faire partie de la déco… Pas grave, je me suis formé à l’improvisation et au déchiffrage pendant ces années-là. Autre anecdote : je jouais dans un restaurant de luxe qui jouxtait le parc Montsouris. Autant te dire qu’en ces périodes de vaches maigres, je n’ai jamais aussi bien mangé que dans ce resto. Ça me faisait la viande de la semaine (oui, je mange de l’animal mort… quoique de moins en moins, j’avoue)… Bref, un jour, je vois débarquer Dutronc. Je me dis cool, il va me laisser un pourboire de malade, genre deux cent francs, de quoi tenir un mois… Mais que dalle. Il faisait son pauvre désespéré qui ne voit rien de ce qui se passe autour de lui et c’est un des soirs où j’ai récolté le moins de pourboires… Peut-être que j’avais joué comme un pied. Il arrive un moment où les mains sont sur le clavier et la tête ailleurs.

LA CORRESPONDANCE

Je ne me documente jamais sur un sujet au moment où j’écris un roman. Simplement, le citoyen Christian Roux s’intéresse à un sujet et un jour, parfois des années plus tard, l’écrivain s’en empare. Pareil pour les enfants soldats deChristian Roux Kadogos. Traumatisé par le génocide des Tutsis au Rwanda – plus jamais ça, mon cul… mais déjà, il y avait eu la Yougoslavie… Pourquoi le Rwanda m’a plus choqué que la Yougoslavie, je ne sais pas –, je lisais tout ce qui paraissait sur le sujet et je suis tombé sur cette histoire d’enfants soldats que je me suis mis à fouiller également. Des années plus tard, parce que j’ai eu la vision d’enfants noirs qui jouaient au foot parmi les cadavres sur une île dévastée par un tsunami – l’image qui ouvre le livre –, j’ai écrit sur eux…

La correspondance, c’est un moyen. Dans une première version du roman, l’histoire des musiciens dégénérés était racontée par l’accordeur en toute fin du livre. Un gros pavé bien indigeste. Il fallait trouver autre chose et je me suis laissé aller à mon péché mignon : introduire une autre écriture. Je le fais dans presque tous mes romans, d’une manière ou d’une autre. J’ai hésité parce que la correspondance était un procédé que j’avais déjà utilisé dans Kadogos, justement, même si c’était une correspondance à sens unique. Or j’aime varier d’un roman à l’autre, passer du je au il, du passé simple au passé composé, de l’imparfait au présent. Je ne sais pas si j’ai un style mais je sais que j’essaye constamment d’en changer. Je ne sais pas trop d’où ça vient. L’homme à la bombe, par exemple, a d’abord été écrit entièrement à la première personne. A la fin, je trouvais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Une distance que je n’arrivais pas à trouver. J’ai tout réécrit à la troisième personne. C’était ça (pour moi, j’entends). Évidemment, au milieu de tout ça, il y a des échanges avec ma chère éditrice, Jeanne Guyon, qui, la pauvre, se tape un manuscrit entier à relire parce que j’ai tout changé… Ensuite – je reviens à la correspondance –, c’est venu assez facilement. Je venais de lire Le monde d’hier, de Stefan Zweig, et je me suis inspiré de son style pour trouver une langue proche de l’allemand – autrichien, ok – et qui reflétait le parler des années trente.

LES ARTISTES DÉGÉNÉRÉS

C’est une question, ça ? Du coup je crois que j’y ai en partie répondu au-dessus. Cela dit, au bout d’un certain temps, j’ai compris que j’écrivais un roman sur le silence… Ah, si, je peux quand même préciser qu’en 2007, j’ai travaillé sur une adaptation théâtrale de L’espèce humaine, de Robert Anthelme, un des plus beaux textes de la langue française, soit dit en passant – non par le sujet, bien que ce dernier soit admirablement traité, mais bien par la langue. Je voulais composer pour ce spectacle une musique qui se référait à ce qui se faisait dans ces années-là et je suis tombé je ne sais plus comment sur cette histoire de musiciens dits « dégénérés » par la gent nazie. Sans doute au hasard d’un article sur le livre d’Amaury du Closel qui traite du sujet, Les voix étouffées du troisième Reich. Livre que j’ai lu, bien entendu. Terrifiant. On connaît l’art dégénéré parce que les œuvres sont restées, ces salopiaux de nazis ne rechignant pas à se faire de l’argent en les revendant ou en les thésaurisant. Dégénéré mais pas sans valeur marchande, l’art pictural. En ce qui concerne la musique, les œuvres n’existaient que le temps d’être jouées et ne rapportaient de l’argent que par ce biais. L’œuvre n’a pas de valeur marchande en elle-même. Alors là, ils n’ont pas hésité : ils ont condamné la musique au silence. Des milliers d’œuvres ont ainsi disparu du répertoire.

26 LETTRES

« Voyez ces sept notes de la gamme ? Ajoutez-y les cinq qui restent, ça fait douze. Et c’est tout ce que j’ai ! ». C’est ce que disait Beethoven. Vous n’avez que 26 lettres…

Ce n’est pas ce que disait Beethoven. J’écris qu’il développe ses œuvres sur des thèmes si simples au départ (pom pom pom pom  et il en fait toute une symphonie) qu’il semble nous dire ça. Du matériau le plus basique, il sait faire des chefs- d’œuvre intemporels. Ses derniers quatuors restent un mystère de la création. Ils sont complètement hors sol, hors temps. En fait, il n’est même pas concevable qu’on ait pu écrire de telles musiques à ce moment précis – pré-romantisme – de l’évolution de la musique. Et pourtant, il l’a fait. Moi, à côté de ça, je n’existe pas. Comparé à Beethoven, j’ai 26 lettres, mais je m’en sers comme un scribe. Sur le plan littéraire, je ne vois que le Flaubert de Madame Bovary et Maupassant qui soient comparables à un tel tour de force intemporel. Mais je n’ai pas tout lu, loin de là… Attention, il est des artistes que j’admire énormément même si on « sent » l’époque (Appolinaire, Breton, Tzara, Zweig, Faulkner, Fante, Manchette, Coltrane, Monk, Les Beattles, Prince, Tom Waits, Mahler, Bartók, Stravinsky, Debussy, Marvin gaye, The Temptations, Othis Redding Portishead, Radiohead…). Mais les intemporels sont des joyaux inépuisables.

LE PROCHAIN

Ouh là, il faut que je parle de moi après tous ces monstres… Bon, un whisky et je reviens…

C’est un peu hors sujet mais on est là pour causer, non ? Tout jeunot, j’avais envie de créer, d’écrire, de composer mais évidemment, face à tous ces monstres, j’avais un sérieux problème. En un mot, ils me tétanisaient… et puis j’ai fini par me dire que je ne pouvais pas faire autre chose. Et quand on est athée comme un pied de table – j’ai sondé les miens –, on sait qu’on n’a qu’une vie et qu’à part en faire ce qu’on peut, on ne peut guère faire autre chose. Alors tant pis, me suis-je dis, je ne serai que la rognure d’ongle sous l’orteil crasseux de Beethoven – qui se lavait très peu et puait comme un bouc – ou John Fante – dont j’ignore tout de l’hygiène personnelle – mais qui sait, les grands créateurs ne naissent pas tout seul et ne sont que le fruit d’une évolution plus globale – encore que ces satanés intemporels posent un vrai problème en regard de cette théorie – et je ferai peut-être avancer le bazar avec ma modeste contribution… Alors « Allons-y Alonzo », pour citer Ferdinand (Pierrot le fou).

Christian Roux

Bon, pour en revenir à la question, je vais me contenter d’être informatif. Un nouveau roman va paraître en février 2018 chez Rivages : Que la guerre est jolie. Ou comment des citoyens (et notamment une citoyenne) vont tenter de lutter contre la gentrification de leur quartier, voulue par des politiciens et des hommes d’affaire peu recommandables…  L’homme à la bombe et Kadogos sont en cours d’adaptation (phase production pour le premier, phase écriture pour le second) mais là, on est dans l’audiovisuel, donc peut-être des nouvelles dans deux ou trois ans…

Et pour l’heure, j’ajoute une corde à ma guitare : comédien dans un spectacle qui se joue fin février au théâtre de l’opprimé, à Paris : Un cœur Moulinex, la saga d’un des plus grands succès industriels français du vingtième siècle qui, au tout début du vingt-et-unième siècle est aussi devenu une des plus grandes faillites françaises… J’y joue aussi de la musique (on ne se refait pas…)

Ah, j’oubliais. Il y a aussi l’adaptation de La bannière était en noir (éditions Labranche). Le titre du film, c’est Le chant des sirènes. J’en ai écrit le scénario avec le réalisateur Laurent Herbiet et il a reçu le prix de la meilleure fiction unitaire au Festival de La Rochelle en 2011. Il est visible sur OCS en replay, pour ceux qui ont Orange.

Pour aller plus loin

Christian Roux chez Rivages
Le site de l’auteur
Un coeur Moulinex au Théâtre de l’opprimé
Le Chant des sirènes
sur OCS