Ashkal, l’enquête de Tunis

Le premier long-métrage du réalisateur tunisien Youssef Chebbi, Ashkal, l’enquête de Tunis, frappe par son ambiance, son image et la musique prégnante de Thomas Kuratli.

Ashkal, l’enquête de Tunis se déroule dans les Jardins de Carthage, un quartier de Tunis entièrement créé par l’ancien régime pour une population semi-bourgeoise, dont la construction a été complètement stoppée au début du Printemps arabe, laissant d’immenses squelettes d’immeubles en béton abandonnés au milieu de friches.

Tout commence avec deux policiers, Fatma et Batal, chargés d’enquêter sur un corps calciné retrouvé au pied d’un de ces immeubles. Corps qui ne sera d’ailleurs, à leur grand désarroi, pas le seul. C’est le début d’une série d’immolations volontaires, mais sans aucun message laissé par les personnes pour savoir à quoi est relié leur acte. Avec, à leur côté, un mystérieux « donneur de feu »…

Un polar atypique

Le film est une enquête au rythme étrange, ce n’est d’ailleurs pas véritablement une enquête, plutôt les errances de ces deux flics désemparés, ne sachant que faire, quelle piste suivre. Car il n’y a pas grand-chose à dire, pas grand-chose à faire face à ces cadavres. On est loin d’un polar technologique, pas d’ADN, pas de géolocalisation, pas d’écoutes ou de drones… Le seul élément tangible médico-légal est que les personnes immolées ne semblent pas s’être débattues, pas avoir bougé, ce qui est rarement le cas au regard de la souffrance engendrée par la morsure du feu. Elles semblent s’être immolées en pleine conscience, avec paix et sérénité, ce qui va encore plus brouiller les pistes des deux enquêteurs.

Ashkal, l'enquête de Tunis - Youssef Chebbi - Fatma Ouassaifi - Film - Tunisie
© Ashkal The Party Film Sales Supernova Films Poetik Film Blast Film 3

Et le réalisateur nous happe, nous emmène avec lui, en apesanteur. Pas de portables, pas de poursuites en voiture, ce sont des réflexions, de l’introspection dans ce quartier sans vie. Le film frappe par son aspect « lunaire », ces longues marches des deux protagonistes dans ces paysages désolés. Dans une succession de plans cadrés ou décadrés avec ces immeubles, on voit la nature qui tente – bien difficilement, cela reste un empilement de béton – de reprendre ses droits. Le quartier est triste, vide, les rues tracées mais pas forcément finies, ce qui renforce le sentiment de désolation engendré par ce quartier à la construction stoppée. Les flics, en particulier Fatma, ne cessent d’arpenter les immeubles et leurs plateaux bétonnés sans garde fous, les monter, les descendre, les longer…

En arrière-plan, pour planter le décor mais sans vraiment s’y attacher, Youssef Chebbi ancre son film dans la société tunisienne avec la commission « Vérité et réconciliation » qui est l’équivalent fictionnel de l’instance « vérité et dignité », une commission créée en 2013 suite à la révolution tunisienne pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par le régime tunisien entre 1955 et 2013. On y voit Batal et ses collègues batailler pour tenter de se dépêtrer de leur « encombrant » passé.

C’est un film mystérieux et excellent où l’image est indissociable de la bande son, que ce soient les sons eux-mêmes, forts, présents, ou la musique de Thomas Kuratli qui amplifie parfaitement les images de Youssef Chebbi.

Ashkal l'enquête de Tunis - Youssef Chebbi - Fatma Ouassaifi - Film - Tunisie
© Ashkal The Party Film Sales Supernova Films Poetik Film Blast Film 2

En sortant de la projection, on se dit qu’on a vraiment assisté à quelque chose de particulier, de fort, mais qu’on est peut-être passés à côté de certaines choses, le rapport au feu et à l’immolation par exemple. Alors nous vous conseillons d’aller écouter l’émission Par Les temps qui courent où Marie Richeux a reçu le réalisateur pour en savoir plus.

Pour aller plus loin

Pour louer en VOD ou acheter le DVD ou le Blu-ray d’Ashkal, l’enquête de Tunis, voir le site de son distributeur Jour2fête.