En attendant la troisième saison de Babylon Berlin, petit retour sur la série inspirée des romans policiers de Volker Kutscher.
Nous avions rencontré Volker Kutscher en 2011 au festival La Fureur de Lire à Genève, qui organisait un spécial polar : la Fureur Noire. À cette époque, en France, il n’avait sorti que deux livres au Seuil qui avaient eu un écho assez confidentiel. Nous avions animé une rencontre avec lui et Phillip Kerr. Kutscher était impressionné, c’était sa première rencontre avec « le maître ». Le débat avait été de haute volée.
Volker Kutscher et sa série policière historique
Revenons sur le parcours de Volker Kutscher. Né en 1962, il fait des études de philosophie et d’histoire avant de devenir éditeur. En 1995, il publie son premier roman et quelques années plus tard, envisage d’écrire des polars se passant avant la Seconde Guerre mondiale.
Son problème est de taille : comment appréhender l’Allemagne des années 1930 après que Kerr ait écrit La Trilogie berlinoise ? Pas facile, mais Kutscher n’a pas à rougir, son idée est excellente : écrire une série policière consacrée au commissaire Gereon Rath en faisant un roman par année et en prenant une thématique spécifique par tome. La série commence en 1929 avec Le Poisson mouillé et il envisageait d’écrire huit romans, le dernier ayant pour cadre les Jeux Olympiques de 1936. Sauf que, le huitième n’a jamais vu le jour, comme en témoigne le site internet de l’auteur. Dommage, les JO de 1936 fourniraient un sacré décor.
En France, seuls les trois premiers romans (Le Poisson mouillé, La Mort muette et Goldstein), tous traduits par Magali Girault, ont été publiés au Seuil. Si le premier roman souffre de quelques défauts, l’ensemble de la série (enfin ce que nous avons pu lire en français) est de bonne facture.
Babylon Berlin, une adaptation étoffée
Tom Tykwer, Hendrik Handloegten et Achim von Borries, les créateurs de la série, se sont librement inspirés du Poisson mouillé pour écrire les scénarios des deux premières saisons (16 épisodes au total). Reprenant la trame du roman de Volker Kutscher, nous voyons le commissaire Gereon Rath débarquer à Berlin en 1929, sous la République de Weimar. Il arrive de la brigade criminelle de Cologne et se retrouve affecté aux mœurs. Vétéran de la Première Guerre mondiale, fortement marqué par celle-ci, il se retrouve sous les ordres de Bruno Wolter. Son chemin va vite croiser celui de Charlotte Ritter qui rêve de devenir la première femme détective de Berlin.
Dans ses livres, Volker Kutscher s’est intéressé au cinéma, en particulier la transition entre le muet et le parlant, et l’adaptation de ses romans en série est une belle récompense pour lui.
L’Histoire et la fête
Mais le livre et la série Babylon Berlin ne vont pas se cantonner à de simples histoires de meurtres et d’enquêtes. Le contexte historique est très présent (les lignes politiques souterraines bougent beaucoup à cette époque), le contexte social (des grèves, des syndicats, la pauvreté) est bien amené également et, point d’orgue, la description des années folles est excellente.
Si Babylon Berlin est présentée comme l’une des séries les plus chères d’Allemagne (Le Monde annonçait « 180 jours de tournage, 300 décors, 5 000 figurants, près de 40 millions d’euros au total pour les deux premières saisons »), le résultat est à la hauteur. Il y a une capacité à filmer le sens de la fête dans l’exubérance d’un Berlin Art déco minutieusement reconstruit. Une grande importance est donnée à l’esthétique, pas une seule des richesses de l’époque n’est oubliée, que ce soit l’architecture, la mode, ou la musique et la danse. Le traitement est parfait tout comme la façon dont est filmée la série.
On y sent également la liberté de la jeunesse, malgré des mœurs plus sévères qu’aujourd’hui, leur simplicité à glisser dans le monde la fête, à aller danser. C’est le portrait d’une jeunesse libre, exubérante, à qui il ne manque que peu pour s’affranchir totalement des carcans de ses aînés. Les scènes de fête décrivent particulièrement cette impression de liberté et de profusion des sens. Et on ne peut s’empêcher de penser à l’avenir sombre qui attend ces jeunes gens et à ce qu’ils auraient pu construire s’il en était allé autrement.
Car en parallèle, on voit l’Histoire bouger à une vitesse folle. De multiples lignes s’affrontent, entre les tenants d’une revanche de la Première Guerre mondiale, ceux qui défendent la République de Weimar, les communistes, les monarchistes… les réalisateurs le montrent bien avec en toile de fond plusieurs histoires qui s’entremêlent.
Il faut aussi signaler l’importance du jeu sur l’androgyne, sur le genre, sur les personnages multiples, la possibilité de jouer plusieurs rôles qui est marqué par différents protagonistes et éclairages.
La distribution est excellente, que ce soit Volker Bruch qui joue le commissaire Gereon Rath en proie à ses démons ou Peter Kurth, parfait dans la peau du commissaire Bruno Wolter, dans un mélange de sympathie, d’amitié, de solidarité policière mais qui suit des buts bien moins avouables. Liv Lisa Fries est excellente en Charlotte Ritter, pétulante et impertinente, et Matthias Brandt royal en August Benda, chef de la Police politique de Berlin. On retrouve aussi Lars Eidinger, toujours aussi épatant et inquiétant.
Pour aller plus loin
Le site consacré au personnage de Volker Kutscher, le commissaire Gereon Rath
Les livres de Volker Kutscher au Seuil ou chez POINTS