Interview avec André Marois

André Marois - Irrécupérables - Bienvenue à Meurtreville - Le Mot et le reste - Québec - Milieu Hostile

La sortie en début d’année d’Irrécupérables, aux éditions Le Mot et le Reste est pour nous l’occasion de poser quelques questions à André Marois, auteur dont nous suivons le parcours depuis de nombreuses années, au gré de ses parutions en France.

Comme il le dit très bien sur son site, André Marois n’écrit pas que des polars. Depuis 30 ans que l’auteur est installé au Québec, on lui doit des romans, des nouvelles, de nombreux livres et albums pour la jeunesse… Des textes qui arrivent plus ou moins avec décalage en France, comme en témoignent ses deux derniers romans parus chez Le Mot et le Reste. Bienvenue à Meurtreville (2016 aux Éditions Héliotrope) sorti l’année dernière et Irrécupérables (2021 aux Éditions Héliotrope), paru en 2022.

Ces deux romans forment (pour l’instant) un diptyque, le cadre et quelques personnages étant récurrents.

Commençons par une question à Yves Jolivet, son éditeur français : qu’est-ce qui vous a plu dans ces deux romans ?
Yves Jolivet : La lecture de Bienvenue à Meurtreville a été jubilatoire. C’est un peu comme si les personnages de la BD des Vieux fourneaux se mettaient à défourailler et à empiler les cadavres pour développer l’animation et l’économie de Mandeville, un village perdu dans les Laurentides, au Québec. L’ouvrage contenait beaucoup de critères pour être édité chez nous: de la nature à foison, de l’efficacité, un tueur en série effectuant des meurtres décalés, le tout dans une écriture légère et humoristique.
Si Irrécupérables n’est pas exactement la suite du premier ouvrage et peut se lire indépendamment, quand bien même l’intrigue se situe toujours à Mandeville, l’ouvrage est toujours aussi hilarant, un peu plus noir cependant et la fin de l’ouvrage conserve sont lot de surprises pétaradantes dans la continuité de l’ouvrage précédent.

André Marois - Irrécupérables - Bienvenue à Meurtreville - Le Mot et le reste - Milieu Hostile

André Marois, en guise d’introduction : quel rapport entretenez-vous avec votre éditeur français ?
André Marois : Le travail d’édition avec le Mot et le reste s’effectue par l’entremise de mon éditeur montréalais : Héliotrope. L’essentiel de ce travail consiste à revoir certains éléments du vocabulaire qui pourraient être plus difficiles à comprendre, ou prêter à confusion en France. Tout en voulant conserver le maximum de mon texte original, quelques ajustements ont été nécessaires. Deux exemples :

Au Québec, on dit ma gang (prononcer « guingue »), pour désigner un groupe d’amis. Si l’on corrige le genre du nom, mon gang présente un groupe de malfaiteurs, alors qu’on parlait d’une bande d’amis. Mais comme le féminin risque de passer pour une erreur, ma gang est devenu ma bande. Aussi, le terme motards désigne au Québec des motards criminalisés (des Hells) et non des motocyclistes.

C’est plutôt amusant de se recadrer pour le marché français. Dans Irrécupérables, j’ai changé environ 25 noms et acronymes — ce qui est peu. Mes autres rapports avec mon éditeur français concernent la promotion, les relations avec les médias… La réception de Bienvenue à Meurtreville a vraiment été excellente, avec des lectures très intéressantes.

Écrire au Québec

Pour commencer, une question en forme de bilan, quel regard portez-vous sur vos 30 années passées au Québec et quasiment autant de publications ?
Franchement, je n’aurais jamais pensé aller si loin et publier autant. Je continue d’écrire dans plusieurs formats (nouvelles, romans, albums…) et pour différents publics. J’aime cette variété. Je suis aussi très heureux des collaborations de plus en plus fréquentes avec des illustrateurs et bédéistes.
Je compte bien continuer ainsi, avec des maisons d’édition dont je suis devenu très proche, mais aussi de nouveaux éditeurs. Je reste persuadé que je suis devenu écrivain parce que j’ai émigré.

André Marois - Irrécupérables - Bienvenue à Meurtreville - Le Mot et le reste - Milieu Hostile

C’est-à-dire ?
Dans L’Auberge espagnole de Cédric Klapisch, le personnage joué par Romain Duris raconte qu’on se souvient toujours des premiers moments passés dans un nouvel endroit. J’ai vécu cela pendant un an à mon arrivée au Québec. Je ne connaissais absolument personne et j’ai été fasciné par les saisons, les lieux, le langage, la bouffe, le quotidien… Mes premiers livres se déroulent tous à Montréal. Cette ville est ma source d’inspiration principale. Plus tard, la découverte de Mandeville m’a donné l’occasion de revivre un nouvel épisode anthropologique.
L’émigration m’a aussi libéré la tête. À Paris, je n’avais écrit que trois ou quatre micronouvelles. Au Québec, loin de ma famille et de mes amis, je me suis senti permis de raconter tout ce que je voulais.
Serais-je devenu écrivain si je n’avais pas émigré ? Difficile de répondre de façon catégorique ; j’aurais sûrement essayé d’écrire au moins un roman. Ce qui est sûr, c’est que mon arrivée à Montréal a déclenché un processus créatif irréversible.

Montréal, le Québec… En 30 ans, quel travail avez-vous fait sur la langue ?
Je publie au Québec des histoires qui se passent à Montréal ou à Mandeville. J’ai donc beaucoup travaillé mon écriture pour la rendre crédible — surtout les dialogues. Je sais que je n’écrirai jamais comme un auteur qui est né à Chibougamau, mais je me débrouille assez bien, après toutes ces années.
Cependant, depuis peu, je me pose la question de cette intégration littéraire et j’ai parfois l’impression d’être allé trop loin. Je suis un écrivain québécois d’origine française, c’est ma singularité et je ne dois pas m’oublier là-dedans. J’ai donc décidé de me donner un peu plus de liberté pour mes prochains textes.

J’aimais bien aussi cette idée d’un flic qui arrive trop tard pour conclure ses enquêtes.

Un des protagonistes d’Irrécupérables pense « C’est quand on va bien qu’il faut agir, pas quand on est dans le besoin », êtes-vous pareil au niveau écriture ?
Pour moi, l’écriture n’est pas une souffrance, c’est un bonheur qui se travaille. J’écris avec discipline, je m’applique, et si tout va bien, j’atteins un état qui me dépasse. Alors oui, profitons d’aller bien pour inventer de nouvelles histoires. Et si l’on va mal, écrivons quand même pour soigner notre malheur.

S’ancrer à Mandeville : Bienvenue à Meurtreville et Irrécupérables

Ce diptyque se passe à Mandeville, qu’est-ce qui vous a poussé à y poser vos intrigues ?
Nous avons un chalet à Mandeville depuis 10 ans, où nous passons beaucoup de temps, en toutes saisons. C’est une petite maison isolée, à 12 kilomètres du village, dans le bois et au bord de la Mastigouche. Un lieu très calme et inspirant.
J’avais imaginé un synopsis pour Bienvenue à Meurtreville qui se déroulait dans un lieu lambda au Québec. En présentant mon idée pour Héliotrope Noir, mon éditrice m’a expliqué que le principe de cette collection était d’ancrer chaque roman dans un lieu québécois spécifique et nommé. Mandeville s’est imposé ainsi. Je savais que c’était un décor de choix pour mon intrigue, les recherches sur place l’ont confirmé et ont beaucoup nourri l’idée de base.

Nous avons fait une interview d’Anna Raymonde Gazaille l’année dernière et on sent une même préoccupation chez vous : la nature y est belle, mais on voit bien que pour vous, et pour différents protagonistes du roman, ce n’est pas juste un « beau décor ». Qu’en pensez-vous ?
Tout à fait. Dans ce beau décor vivent des gens assez forts, pas très riches, qui ont l’habitude de se débrouiller. Mandeville est un immense territoire avec des maisons isolées, des rivières qui débordent, des coupures d’électricité qui peuvent durer une semaine (ça vient de se produire) ! Alors, oui, c’est très beau, mais c’est aussi rough. La nature est magnifique, mais au-delà de la carte postale, on peut s’y perdre ou s’y cacher.

Interview Anna Raymonde Gazaille : Secrets boréals

D’où vous est venue l’idée principale de Bienvenue à Meurtreville ?
J’ai été concepteur-rédacteur publicitaire pendant plus de 20 ans. En 2010, j’écrivais une chronique mensuelle dans le magazine Infopresse et pour un numéro consacré au marketing touristique, j’ai eu l’idée de marier mes deux activités : la communication et le roman noir. Le conseiller municipal qui décide de devenir tueur à gages pour sauver sa collectivité est donc d’abord apparu dans un texte de 550 mots intitulé Touristes à tout prix.

Et une fois l’idée trouvée, comment avez-vous agencé ce court roman qui semble léger et spontané, mais qui est parfaitement construit ?
Avant le roman, j’ai tenté d’écrire un long métrage autour de cette idée, mais je me suis perdu en route avec une intrigue trop compliquée. Alors, j’ai tout jeté et je suis revenu à ma prémisse. J’ai ensuite soumis un synopsis à mon éditrice Geneviève Thibault et on l’a travaillé comme pour un scénario : découpé, précis, visuel, dans l’action. Sont venus ensuite les repérages et la documentation, puis enfin l’écriture.

Cinq ans plus tard, vous reprenez Mandeville, ses environs et quelques personnages pour Irrécupérables. C’était une envie de suite, ou ce roman aurait pu se passer n’importe où ?
Après Bienvenue à Meurtreville, j’ai eu plein d’échos positifs concernant le sergent-détective Steve Mazenc. Les gens semblaient l’apprécier et moi-même, je m’y étais attaché. J’aimais bien aussi cette idée d’un flic qui arrive trop tard pour conclure ses enquêtes. J’ai donc décidé de le ramener et de lui donner cette fois-ci le rôle principal. Le conseiller Chevalet étant toujours actif, il était trop tentant de les faire se rencontrer de nouveau…

Comme pour, Bienvenue à Meurtreville, d’où vous est venue l’idée principale de ce livre (d’ailleurs, était-ce la canette ou le vol) ? Et comment l’avez-vous construit ?
Tout est parti de la canette. Cela m’est arrivé en France, en courant autour du village où habitait ma mère en Touraine. Trois canettes de Kronenbourg 1664 blanche à cinq mètres de distance, trois jours de suite… c’était forcément la même personne.
Je suis donc parti sur ce déclencheur : un flic découvre par hasard un criminel en cavale grâce aux canettes qu’il balance dans la nature. Ensuite, il a fallu trouver pourquoi il était en cavale. Et surtout imaginer ce qui s’était passé sur la Côte-Nord qui justifiait le massacre de sa famille. J’ai beaucoup cherché et un contact qui avait travaillé sur des chantiers d’Hydro-Québec m’a mis sur la bonne piste.
Le mobile du crime est probablement ce qui m’inspire le plus à écrire un roman noir.

Ce qui ressort dans les deux romans, c’est la densité des personnages, qui sont fouillés, loin d’être manichéens, et dont on sent les dualités… Comment les avez-vous travaillés ?
D’abord, je me concentre sur un nombre limité de personnages, ce qui permet de mieux les établir. Puis, je m’attache à construire des protagonistes qui ne sont ni tout noirs ni tout blancs, parce que je vois les humains ainsi. Les pires truands peuvent être de bons pères de famille et composter leurs déchets de table.
Je travaille par réécritures successives. Bien sûr, j’aime l’humour noir, mais je préfère que la situation décrite ou l’action créent cette distance plutôt qu’un punch line. Cela reste très intuitif. Quand je n’y crois pas moi-même, j’efface et je recommence. J’aime aussi beaucoup le travail d’édition avec mes éditrices chez Héliotrope — précieux et productif.

Et pour finir, vos publications arrivant en décalé en France, à quoi devons-nous nous attendre ces prochains mois ?
Je viens de publier au Québec un album de BD : Débarqués, que je qualifie de road trip malaisant. Une histoire sombre d’où tout le monde ne sort pas indemne, évidemment. Le livre sera publié en septembre en France (La Pastèque éditeur).
Pour la suite à Mandeville, j’ai trouvé un mobile du crime qui me plaît et j’attaque l’écriture. L’action se passera en partie durant l’hiver…

Pour aller plus loin

Le site d’André Marois
Les romans d’André Marois chez Le Mot et le reste