Interview avec Luc Chomarat : Le Dernier Thriller norvégien

Luc Chomarat - Le Dernier Thriller norvégien - Interview - Milieu Hostile - La Manufacture de livres

Pour notre plus grand bonheur, Le Dernier Thriller norvégien de Luc Chomarat, sorti à La Manufacture de livres, reprend le personnage de Delafeuille croisé dans L’Espion qui venait du livre. L’occasion pour nous de lui poser quelques questions.

Ce nouveau roman est toujours aussi drôle, et sous couvert d’humour – oui, on rit à gorge déployée – Luc Chomarat s’interroge sur le livre, l’écriture et leur avenir.

Luc Chomarat, on ne connaît pas grand-chose de vous, mais vivons heureux en restant caché. Nous vous découvrons en 2014 chez Rivages avec L’Espion qui venait du livre (qui concourut pour le titre de la plus vilaine couverture de l’année) et ce mois-ci sort sa suite, Le Dernier Thriller norvégien. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
J’ai été publié très jeune, donc l’écriture est une vieille histoire. Je n’ai jamais cessé d’écrire, puisque j’ai gagné ma vie comme concepteur-rédacteur dans la publicité. Pour ceux qui ne voient pas en quoi ça consiste, c’est ce que fait le héros de la série Mad Men. Pour ceux qui n’ont pas vu Mad Men, c’est dommage, c’est une série intéressante. Je suis revenu au roman parce qu’on ne vieillit pas dans la publicité.

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Le Dernier Thriller norvégien

Question classique : pensiez-vous un jour faire une « suite » de L’Espion qui venait du livre et envisagez-vous un jour d’en écrire un troisième ?
Non, aux deux questions. Le Dernier Thriller norvégien n’est pas vraiment une suite de L’Espion qui venait du livre, d’ailleurs. Il n’est pas nécessaire d’en avoir lu un pour apprécier l’autre. Le livre répond plutôt à l’envie d’utiliser les mêmes personnages dans un contexte différent. J’étais très satisfait de L’Espion, mais l’univers de références que j’avais choisi pouvait donner lieu à un malentendu. Quand j’étais gosse, les SAS, OSS 117, Paul Kenny et autres traînaient partout, les adultes lisaient ces trucs-là, on les trouvait sur les tables basses avec les paquets de cigarettes, l’occasion pour moi qui étais juste à bonne hauteur de rêver sur les couvertures, un monde peuplé de bimbos en nuisette, de jonques au clair de lune, de Jaguar type E, d’asiatiques cruels etc. C’était assez naturel pour moi d’évoquer ce folklore, mais comme Delafeuille ne cesse de le faire remarquer, il appartient à un autre temps… Et ce qui m’intéressait dans le livre n’était pas son côté parodique, référentiel, mais le discours sur l’écriture… Je me suis dit que Delafeuille méritait de s’inscrire dans la modernité, donc je lui ai donné une deuxième chance d’avoir des tas d’ennuis, dans un univers de références plus actuel.

Ce qui fait l’intérêt de l’écrit par rapport aux autres formes de fiction, c’est justement l’absence d’images, le fait que nous devons créer nous-mêmes des univers entiers, à chaque page que nous lisons.

On ne va pas vous demander ce que vous pensez des modes littéraires et du thriller nordique, mais partagez-vous l’opinion de Delafeuille qui y trouve une « certaine complaisance, notamment dans les interminables scènes de torture et de viol » ?
Cette opinion n’engage que Delafeuille, et certainement pas la maison Sony ni aucune de ses filiales, selon la formule consacrée. Maintenant, si on parle de littérature, et si vous me demandez mon avis… je ne vois pas de complaisance à écrire des scènes de torture et de viol, si c’est bien écrit. On a fait tout un foin autour d’American Psycho, qui est un grand livre, sous un prétexte de ce genre-là. C’était d’autant plus drôle que les scènes en question étaient probablement fantasmées par le personnage principal. Mais bon, on a récemment proposé de dégager Balthus du MoMA, pour une histoire de petite culotte, donc il ne faut plus s’étonner de rien.

Dans ce roman, on trouve Sherlock Holmes qui dit de lui « Je suis un personnage archi-moderne. Asocial, drogué, à la sexualité ambiguë, fasciné par le crime au point d’y trouver son unique âme sœur ». Mark Gatiss et Steven Moffat, les créateurs de la série Sherlock, partagent aussi cette idée. Qu’en pensez-vous ?
Sherlock Holmes est une création tellement extraordinaire qu’on ne peut plus imaginer qu’un jour quelqu’un a inventé ce personnage… Quand je pense à Edgar Poe, je vois la lettre volée, bien en évidence sur la table, mais je ne vois pas le chevalier Dupin. Je distingue un peu plus nettement Rouletabille, mais je vois surtout la Chambre jaune, fermée de l’intérieur, et le sang sur le mur… Sherlock Holmes, c’est le contraire, j’oublie les énigmes, mais lui, impossible de l’effacer. Et si sa modernité était encore à prouver, oui, il suffit de regarder la série de Gatiss et Moffat pour s’en convaincre. Ou même Dr House, The Mentalist et tous les personnages qui lui doivent peu ou prou quelque chose. Dans Le Dernier Thriller norvégien, il débarque de nulle part, et ça marche. Un peu comme les flics, on n’ose trop rien dire. Après tout, c’est Sherlock Holmes.

Luc Chomarat - L'Espion qui venait du livre- Interview - Milieu Hostile - La Manufacture de livres

Écrire, aujourd’hui

Votre roman est complètement fou, alternant la réalité, la fiction, avec des personnages évoluant de chaque côté de la réalité. Il y est fait référence à l’écriture et nous pouvons lire « En même temps, on a déjà vu plus d’une fois des personnages échapper à l’auteur (c’est un phénomène connu en littérature), s’imposer d’une certaine façon et entrainer des modifications sensibles de l’intrigue initiale ». Vous, pour un livre aussi échevelé, comment travaillez-vous ?
Je n’ai pas de plan préalable, si c’est votre question. J’essaie de ne pas m’ennuyer, donc je ne sais pas encore ce qui va se passer quand je commence une histoire. J’écris une phrase, puis une autre, je me laisse embarquer… Souvent c’est la phrase qui mène à l’idée, pas le contraire. C’est comme ça que je me retrouve coincé avec mes personnages dans des situations improbables dont je ne vois plus du tout comment je vais pouvoir me sortir… Là, en général, je fais une pause, qui peut durer des jours, des semaines… j’élabore des hypothèses, je me demande ce que ferait Stephen King à ma place. À mon grand soulagement, au bout d’un moment, je m’aperçois que tout cela relève d’une certaine logique, même si elle n’était pas consciente au départ, et que moyennant quelques corrections, je vais pouvoir m’en tirer. Dans le cas du Dernier Thriller norvégien, étonnamment, c’était plus compliqué, parce que tout était possible. La difficulté consistait à trouver une cohérence au récit, à l’intérieur d’un système qui autorisait tout et n’importe quoi. J’ai dû renoncer à certaines idées parce que je ne voulais pas d’un truc trop intellectuel, je tenais à préserver un plaisir de lecture assez simple, avec des héros, un méchant, et, bon sang, arriveront-ils à temps pour la sauver ?

Ce livre pose différentes questions sur le livre, son avenir, l’écriture… Bref plein de choses très intéressantes. Que pensez-vous des idées de Gorki, un des personnages, éditeur, qui voit le livre comme « un produit hybride, lisible exclusivement sous forme numérique, avec des liens qui permettront de diriger le lecteur vers des extraits vidéo… »
Je pense qu’il délire. Je l’espère en tout cas. J’aime bien les livres, j’aime bien le papier, j’aime bien les poser à l’envers sur ma table de nuit pour garder la page. Techniquement tout ce que raconte Gorki est envisageable, mais ce qui fait l’intérêt de l’écrit par rapport aux autres formes de fiction, c’est justement l’absence d’images, le fait que nous devons créer nous-mêmes des univers entiers, à chaque page que nous lisons. Minecraft ne peut pas rivaliser avec ça. C’est ce que j’ai essayé de dire avec ce livre, pendant qu’il y a encore des livres.

Votre livre pose aussi la question de la disparition du livre sous le poids d’Amazon et des liseuses « pour, au terme de cette morne agonie, disparaître définitivement sous la déferlante Netflix, qui achèverait de transformer les quelques lecteurs survivants en cliqueurs. » Si Amazon a chamboulé le paysage éditorial, la disparition annoncée des librairies n’a, heureusement, pas eu lieu… Pensez-vous que c’est Netflix et ce type d’offre qui aura la peau des librairies ?
J’espère bien qu’il y aura toujours des librairies. Force est de constater qu’aujourd’hui, ce qui intéresse les gens c’est ce qui se passe sur leur téléphone. Il y a des auteurs de best-sellers pour considérer que leurs premiers concurrents, ce sont les séries, pas les autres livres. Quant à prédire ce qui nous attend… Difficile de savoir, à l’heure où nous basculons dans le tout numérique, si toutes ces choses qui disparaissent vont finir par nous manquer. Regardez le retour en force du vinyle, les vieilles bécanes, les meubles vintage…

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Ce livre est dédié à François Guérif, qui a publié L’Espion qui venait du livre. Il a quitté Rivages, bon nombre d’auteurs français ont migré à La Manufacture de Livres, n’est-ce pas là un petit résumé de ce dont vous parlez dans votre livre ?
Eh bien, si vous parlez de la relation qu’un auteur peut avoir avec son éditeur, oui, c’est important… Si d’autres auteurs français ont migré à la Manufacture, ils ont sûrement d’excellentes raisons, qui ne sont peut-être pas les miennes. François Guérif était mon interlocuteur chez Rivages, il a défendu mes livres, je suis bien placé pour savoir que sans lui ils n’auraient pas vu le jour. Ce livre lui est dédié tout simplement parce que Delafeuille lui doit la vie.

Pour aller plus loin

 

Luc Chomarat chez La Manufacture de livres et Rivages
Le site de l’auteur