La Tempête qui vient, deuxième volet du « Nouveau Quatuor de Los Angeles » de James Ellroy est annoncé pour ce début novembre 2019 chez Rivages. En attendant ce nouveau coup de tonnerre, allons discuter avec ce duo inestimable de traducteurs qui nous permet de lire le Dog en français.
Jean-Paul, vous êtes le traducteur d’Ellroy depuis 1998. Vous avez toujours travaillé seul, même lorsque ce n’était pas facile (j’ai le souvenir d’une discussion au Salon du livre pour une sortie en avant-première mondiale). Pourquoi aujourd’hui ce travail en duo ?
Jean-Paul Gratias : Non, je n’ai pas toujours travaillé seul ! En 2007, Rivages a acheté les droits d’un recueil de nouvelles de Davis Grubb, l’auteur de La Nuit du chasseur. Je l’ai traduit avec une amie, Mathilde Martin. Nous avons l’un et l’autre lu le recueil. Toutes les nouvelles étaient excellentes, j’ai suggéré à ma co-traductrice de choisir celles qu’elle préférait, et j’ai traduit le reste. Avant de nous mettre au travail, nous avons harmonisé le choix des termes et expressions qui revenaient souvent dans le livre. Restons modestes : comme l’a dit un jour un grand traducteur de la langue allemande : « En traduction, la solution idéale est rare, on se contente de la moins mauvaise. »
À quatre mains dans La Tempête qui vient
Sophie, comment êtes-vous arrivée dans ce projet ?
Sophie Aslanides : J’ai été contactée par Jeanne Guyon au début du mois de janvier. Elle m’a proposé la traduction du dernier roman de James Ellroy, en me précisant d’emblée que les délais étaient très courts. J’ai su tout de suite que nous serions deux ; initialement, la proposition de collaboration avec moi a été faite à un autre traducteur qui n’a pas pu aménager son emploi du temps pour intégrer ce nouveau projet. Les autres éditeurs auprès de qui j’étais engagée ont accepté de bouger les dates de remise pour me permettre d’intégrer Ellroy dans mon planning, et j’ai su huit jours plus tard que Jean-Paul Gratias avait finalement accepté de travailler en duo avec moi sur ce texte.
Le livre n’est sorti aux États-Unis que le 4 juin 2019, ce n’est pas en trois mois qu’on traduit un tel livre, sur quelle version avez-vous travaillé ?
S.A. : Le livre est effectivement sorti le 4 juin 2019 aux États-Unis, mais vous imaginez bien que le texte avait atteint un état stable bien avant cela. Nous avons commencé à travailler en février 2019, en mars et en avril nous avons reçu de nouvelles versions du texte. Nous avons effectué des comparaisons de fichiers pour localiser précisément les modifications qui avaient été faites, et nous les avons intégrées dans notre texte source.
Comment s’est organisé ce travail à deux ?
S.A. : Nous nous étions croisés quelquefois lors de festivals ou d’événements littéraires, mais nous nous connaissions très peu. Une entreprise telle que celle-là nécessite à mon avis à la fois la mise au point d’une méthodologie efficace qui garantisse la qualité de la traduction obtenue et une communication régulière et riche entre les deux traducteurs pour vérifier qu’à chaque instant nous sommes sur la même longueur d’onde. Très concrètement, Jean-Paul a commencé à traduire le début du livre pendant que je me formais aux subtilités de l’écriture « ellroyienne » et à celles de la traduction des textes antérieurs par Jean-Paul. Ensuite, j’ai commencé à relire les premiers chapitres traduits par Jean-Paul et nous avons planifié des rencontres régulières. En gros, nous avons traduit chacun de notre côté et fait relire à l’autre tout ce que nous traduisions. Nous nous voyions tous les 10 ou 15 jours, pour faire le point, échanger sur les passages difficiles, chercher ensemble des solutions ponctuelles sur des jeux de mots, des phrases bourrées d’allitération comme James Ellroy les adore, élucider des passages éventuellement obscurs. Et déjeuner ensemble !
Jean-Paul, après toutes ces années, vous avez naturellement « la voix » d’Ellroy, du coup, Sophie, comment cela s’est passé pour vous ?
S.A. : Il est vrai que de prime abord, on pourrait croire qu’il s’agissait pour moi de chausser les « bottes de sept lieues » de Jean-Paul pour traduire tout comme lui. En réalité, même s’il est vrai que j’ai eu un travail conséquent en amont à fournir pour m’imprégner des choix qu’avait faits Jean-Paul sur Perfidia, le premier volume du nouveau quatuor, nous avons beaucoup parlé de La Tempête qui vient, nous l’avons décortiqué à fond, pour parvenir à une lecture commune qui serait celle que nous allions essayer de fournir dans notre traduction. Par exemple, nous avons remis en question certains choix lexicaux de Perfidia, nous avons créé ensemble des traductions de nouvelles expressions dans l’esprit de l’écriture d’Ellroy, nous avons retravaillé ensemble certains passages clés. Mais finalement, je n’ai pas l’impression de m’être forcée à traduire d’une manière qui ne me serait pas naturelle, spontanée ; je garde le souvenir d’une expérience de collaboration très riche, sur un texte difficile, dont nous avions une lecture convergente dès le départ.
Pour aller plus loin
Sophie Aslanides et Jean-Paul Gratias chez Rivages
James Ellroy chez Rivages