Damián Szifron : Les Nouveaux Sauvages

Les nouveaux sauvages Damián Szifron Ricardo Darín

Un type à la notoriété discutable, un client infect, deux chauffeurs belliqueux, un ingénieur en explosif, un jardinier compréhensif et une jeune mariée trompée, voilà les personnages que Damián Szifron met sur le ring, en six courts-métrages rassemblés sous la bannière des Nouveaux sauvages.

Sans doute que le distributeur français de ce petit chef d’œuvre hispano-argentin a voulu montrer sa cinéphilie en re-titrant le film Les nouveaux sauvages, en référence aux Monstres et Nouveaux monstres de Risi, Monicelli et Scola (1963 et 1977). Or, les monstres italiens étaient pour la plupart des salauds de base avec lesquels on riait. Ici, on rit de ceux qui s’échinent à les combattre. Et quand ils arrivent à leurs fins, c’est le désastre. Parce qu’un vrai salaud, c’est comme une dent pourrie: ça s’arrache dans la douleur. On préférera donc le titre original Contes sauvages, bien plus explicite.

C’est la société que montre Damián Szifron qui est sauvage et  ne s’en rend même plus compte. Jusqu’à ce qu’un grain de sable, chauffé à blanc, vienne gripper la machine. A cet égard, le sketch Bombita (avec l’excellent Ricardo Darín, vu dans Neuf reines et Dans ses yeux) est très démonstratif. En 1993, Joël Schumacher nous proposait un Michael Douglas harassé par l’ineptie de la société américaine et faisait de son pétage de plomb, un stupide burn-out fascisant. Chute libre n’était rien d’autre qu’un brulot contre-révolutionnaire. Les nouveaux sauvages Damián SzifronDans Bombita, (4ème sketch du film) Darín se bat contre les fourrières automobiles de Buenos Aires qui font fortune en rançonnant les citoyens. Dommage pour elles, le type à qui elles viennent de saisir sa voiture n’est rien moins qu’un ingénieur en destruction de bâtiments. Et avant d’en arriver à l’extrême, celui-ci aura perdu beaucoup de temps à expliquer à l’administration que ses procédés sont indignes. Mais personne ne l’écoute, mieux même, Simon Fisher se retrouve déclassé au point de n’avoir plus rien à perdre.

Plus rien à perdre. Il est là le lien qui unit tous les personnages de ces histoires rageuses. Dans le sketch Pasternak, qui voit tous les ennemis jurés d’un homme rassemblés dans le même avion, on pense immanquablement au copilote du vol de la Germanwings, Andreas Lubitz (le film est sorti un an avant la catastrophe). Vous voyez Mort aux rats, et vous vous rappelez cette année passée à servir dans un fast-food pour payer vos études. La loi du plus fort, c’est votre agressivité au volant quand un couillon vous emmerde sur l’autoroute, mais poussée jusqu’à l’extrême. La proposition, c’est l’abjection quotidienne du grand capital qui vous vomit dessus. Enfin, Jusqu’à ce que la mort nous sépare, c’est tout à la fois. Domination, écrasement social, jouissance de la vengeance et jusqu’auboutisme virulent.

Damián Szifron ne se contente pas d’une série de bonnes petites histoires. Il les filme aussi, avec un soin tout particulier, une photographie impeccable, une mise en scène magistrale et une direction d’acteur qui vaut au moins celle des Monstres italiens, si ce n’est plus – point de théâtre là-dedans. Mention spéciale à Erica Rivas qui interprète la jeune mariée du dernier opus. Elle, il faut noter son nom.

Les nouveaux sauvages Damián Szifron
Erica Rivas et Leonardo Sbaraglia

Sorti en 2014, sélectionné à Cannes, multirécompensé, ces Contes sauvages montrent aussi combien le cinéma ibérique, comme le cinéma anglais ou belge, est capable d’une grande liberté de mouvement. De temps à autre, il serait bon que les producteurs français se penchent un peu sur ces productions (ici, c’est Almodóvar aux manettes). Juste histoire de se dire qu’on peut rire d’autre chose que des guignolades héritées du cinéma de papa.

Film à sketches de Damián Szifron (Espagne Argentine – 2014) avec Ricardo Darín, Leonardo Sbaraglia, Darío Grandinetti, Erica Rivas…

Pour aller plus loin

Le site du film Les Nouveaux Sauvages