Louis Sanders & Élie Robert-Nicoud

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Dans le courant de cet été 2023, Louis Sanders s’est éteint. Il avait à peine soixante ans, il laisse derrière lui des polars chez Rivages, des romans chez Stock, des traductions, bref une œuvre protéiforme sur laquelle nous allons tenter de revenir.

On se souvient encore de notre étonnement à la lecture du programme des sorties Rivages en 1999. Il y figurait Février, premier polar d’un certain Louis Sanders se déroulant dans les communautés anglaises vivant en Dordogne. On était perplexe. Qu’est-ce que ça venait faire à côté des grands espaces américains ? On avait croisé François Guérif et on lui avait (naïvement) posé la question. Il avait répondu par un laconique et définitif « Moi j’aime. » Et, lorsque le livre était sorti, on avait lu, on avait aimé, on avait compris François Guérif et – surtout – on avait rencontré Louis Sanders.Louis Sanders - Février - Élie Robert-Nicoud - Rivages - polar - boxe - Dordogne

La Dordogne et les Anglais

Louis Sanders connaissait la Dordogne, où il vivait, et les communautés anglaises, sa femme étant Anglaise. Il n’avait pas son pareil pour capter les Louis Sanders - Comme des hommes - Élie Robert-Nicoud - Rivages - polar - boxe - Dordogne - Anglaistraits des gens, leur psychologie, les ambiances. Mais loin d’un folklore régionaliste, il savait se servir habilement de tout ça pour donner corps à d’excellents polars comme en témoignent ses trois premiers titres publiés chez Rivages : Février, Comme des hommes, Passe-temps pour les âmes ignobles et, ensuite, Vie et mort des plantes toxiques à La Table Ronde. À la même période, il sortit deux livres jeunesse chez Syros, Monsieur Marval est mort et le superbe Taisez-vous, s’il vous plaît, une histoire de maquignon à la lecture de laquelle, vous aviez l’impression de l’avoir sous les yeux et de le voir claquer les juments – on sentait le vécu. Il nous confiait :

« J’aime ancrer mes romans dans une certaine réalité. Et la façon dont cette communauté anglaise vivait – elle a tendance à disparaître ou se modifier – m’intéressait, parce que tous ces gens fantasmaient beaucoup sur eux-mêmes, sur la vie qu’ils essayaient de construire, sur la Dordogne, au point de se transporter dans un monde irréel où tout le monde buvait beaucoup.  Il y avait dans leur façon d’être une sorte d’absurdité excentrique assez poétique. J’essaye de m’inspirer du style et de la technique de Simenon qui parvient à créer une impression d’authenticité avec quelques touches particulièrement significatives.  Les personnages m’intéressent plus que les intrigues, du moins quand j’écris. Je suis toujours admiratif devant des intrigues bien construites et compliquées en tant que lecteur ».

Avec Sébastien Gendron, nous avions réalisé un documentaire sur cette « période anglaise » de l’auteur, Sanders sur Dordogne.

La traduction

Mais Louis Sanders n’était pas du genre à se cantonner à un type d’histoire et il avait plus d’une corde à son arc. Déjà, parallèlement à son travail d’écrivain, il était traducteur. Docteur ès lettres à l’université de Cambridge – ce dont il ne se vantait jamais –, il connaissait bien la littérature et la culture anglo-saxonnes dont il pouvait vous entretenir des heures, avec, entre autres, une passion dévorante pour Joseph Wambaugh. Il a donc, tout au long de sa carrière, traduit différents romans (Elmore Leonard, Donald Westlake, Larry Watson…). Lors de rencontres littéraires, il était intéressant de l’écouter parler de ce métier dont il avait une vision assez atypique, loin du feu sacré – ce qui ne l’empêchait pas de le faire très correctement.Louis Sanders - La Lecture du feu - Élie Robert-Nicoud - Rivages - polar - boxe - Dordogne - Anglais

Les pompiers

Pompier bénévole dans le village où il vivait, il s’est servi de son expérience pour donner le cadre à Victime Delta chez Syros et La Lecture du feu chez Rivages. À ce sujet, il nous avait dit : « C’est une chronique qui se passe dans le monde des pompiers volontaires, dans une caserne rurale. Comme je suis moi-même pompier, le livre s’inspire beaucoup de mon expérience personnelle. À l’origine de cette idée il y aussi mon admiration pour Joseph Wambaugh, justement, et ses romans sur la police. En particulier Patrouilles de nuit.  Et j’avais envie d’être influencé, par lui, sans le pouvoir vraiment tant la vie dans le nord de la Dordogne est éloignée de celles des flics de Los Angeles. Mais avec La Lecture du feu, j’ai pu décrire des personnages qui avaient une double vie en se mettant au service des autres.  Toujours rien à voir avec des policiers à Los Angeles évidemment, mais les expériences qu’on vit en tant que pompier restent hors du commun parce qu’elles sont parfois d’une violence assez grande. Et les rapports qui s’établissent entre les pompiers est d’autant plus fort. Il m’est arrivé de me retrouver à l’étage d’une maison en flammes avec un ami pompier, dans la fumée, sans rien pouvoir voir d’autre que mes gants et son casque devant moi. Ça crée des liens.
Ainsi, j’ai voulu écrire une histoire sur un groupe d’hommes qui vivent ensemble ces expériences qu’ils ne peuvent pas vraiment partager avec les gens qui appartiennent au reste de leur vie. Et essayer de montrer comment ces expériences modifient le reste de leurs vies. Mais au bout du compte c’est un roman, et mes romans n’ont pas d’autre but que de distraire. »

Le livre s’ouvre sur l’angoissante description d’un backdraft dont Louis s’était expliqué : « Un backdraft est une explosion de fumées. Lorsque le feu a consumé tout l’oxygène dans un milieu parfaitement clos, et que la température est extrêmement élevée, un apport soudain d’oxygène, quand on ouvre une porte ou une fenêtre par exemple, peut créer une explosion dévastatrice.  J’ai voulu faire cette description au début du roman parce que je trouve le vocabulaire technique des pompiers assez beau : la lecture du feu par exemple est un terme technique qui désigne l’analyse des phénomènes face à un incendie : la couleur des fumées, la qualité des sons, etc . Il y a d’autres expressions dans ce vocabulaire que j’aime beaucoup comme l’embrasement généralisé, la part du feu, etc. »

Le soir, lorsqu’il parlait des différentes « sorties » qu’il avait faites, une de ses phrases favorites était que si l’on voulait tuer quelqu’un, autant le faire à la campagne car il n’y avait pas trop de maquillage à faire pour que cela paraisse un accident… Mais peut-être voyait-il trop son bénévolat sous le signe du polar…Louis Sanders - La Chute de Monsieur Fernand - Élie Robert-Nicoud - Seuil - polar - boxe - Dordogne - Anglais

Pigalle

Quoi qu’il en soit, Louis, grand raconteur d’histoires, avait un nombre incalculable d’anecdotes à narrer, de quoi remplir de nombreux romans, mais ce n’était pas son envie et il changeât encore de style avec La Chute de M. Fernand au Seuil. C’est certainement son roman le plus personnel. Car Louis Sanders est le pseudonyme d’Élie Robert-Nicoud, fils d’artistes, ayant grandi dans ce milieu bohème. « Je suis né à Paris en 1963 et j’ai grandi à Pigalle et à Montmartre, je garde pour ces quartiers tels qu’ils étaient à l’époque une réelle tendresse.  Mon père avait été boxeur professionnel dans les années cinquante puis peintre, ma mère était écrivain, ils signaient leurs œuvres du pseudonyme de Nicoïdski. » Et tout ceci transparait en filigrane dans ce roman qui ne manque ni de rythme ni d’humour, une autre facette de la personnalité littéraire de Louis.Élie Robert-Nicoud - Portrait de l'Amérique en boxeur amoureux - Louis Sanders - Stock - polar - boxe

La boxe

Louis a été rugbyman en Angleterre, karateka en arrivant en Dordogne, mais sa grande passion a toujours été la boxe, qu’il a pratiqué sur le tard. Il aurait adoré être boxeur professionnel (catégorie poids lourd) et  quand vous étiez face à lui, vous vous disiez qu’il ne faudrait jamais se prendre une de ses droites (ni même une gauche). Quoi qu’il en soit, sa grande fierté, était d’être devenu prévôt, entraineur de boxe, en Dordogne où il vivait. Il en parlait avec des étoiles dans les yeux, racontant comment il emmenait ses jeunes compétiteurs le week-end, à droite et à gauche pour glaner quelques titres.
Et, bien évidemment, la boxe, Louis pouvait passer des soirées entières à vous raconter son histoire en Amérique, le destin des boxeurs, le contexte qui allait avec, des tonnes et des tonnes d’histoires qui le traversaient, par lesquelles il était habité. Très tôt, il nous avait confié avoir envie d’écrire dessus : « J’aimerais écrire un livre sur la boxe, sur le sport. J’admire beaucoup les œuvres de W. C. Heinz et Budd Schulberg. » Il a réussi, et de belle façon, comme en témoignent tout récemment le superbe Portrait de l’Amérique en boxeur amoureux, chez Stock, ou encore, avant, chez le même éditeur, Scènes de boxe, Irremplaçables ou Deux cents Noirs nus dans la cave.

Nous terminerons ce papier en paraphrasant Luc Lagier dans ses Blow up sur Arte, en disant : « Voilà, c’était tout ça, Louis Sanders, et bien plus encore », nous avons perdu un être cher.