Migration éditoriale : La Manufacture de livres comme nouveau territoire

Oppel - Topin - Forma

Nous aurions pu penser qu’en tournant la page Rivages François Guérif prendrait une retraite bien méritée, il n’en est rien comme le prouve son arrivée, inattendue, chez Gallmeister. Mais, si l’on ne s’inquiète pas trop de l’avenir de l’homme ayant publié plus de 1 000 livres, on se demande plus ce que va devenir la collection mythique. Les premiers éléments de réponse sont apparus avec l’arrivée au catalogue de La Manufacture de livres de trois pointures françaises du catalogue Rivages/Noir. Voici un petit retour sur ces nouveaux titres, commentés par leur éditeur Pierre Fourniaud.

L’Exil des mécréants, Tito TopinLa Manufacture de livres

« Je me souviens avec nostalgie de 55 de fièvre de Tito Topin qui parlait de la fin du protectorat au Maroc »*. Et oui, 55 de fièvre, cela ne nous rajeunit pas, mais force est de constater que Tito Topin, à plus de quatre-vingt ans, n’a rien perdu de sa verve. L’auteur surprend avec une anticipation religieuse qui fait froid dans le dos, comme l’explique son éditeur : « J’ai été surpris et séduit par ce roman noir d’anticipation qui nous parle avec une ironie désespérante du monde comme il sombre sous les coups des religions. Un roman noir politique ».
Le pitch est simple, et diablement efficace, jugez plutôt : « Sous l’impulsion des États-Unis, de l’Arabie Saoudite, et d’Israël les États, lassés des guerres interconfessionnelles, ont décrété que l’ennemi n’était pas celui qui pratiquait une autre religion que la leur, mais celui qui n’en avait aucune. » Moralité le monde est facile à gérer, binaire, religieux ou pas, ennemi ou non. En France, les choses sont simples, les réfractaires, on les spolie, on les déchoit de la nationalité et on les exile. C’est comme ça que Boris Prévert, journaliste n’ayant cessé de dénoncer toutes les formes de fanatisme religieux, va fuir vers le Portugal avec, dans son sillage, un amour contrarié, une femme sur le point d’accoucher, un vieux braqueur en tous genres, et sur ses traces une femme flic à la position ambivalente et un tueur… Sombre, désespéré, mais entrecoupé d’humour, ce court roman est une grande réussite.

19 500 dollars la tonne, Jean-Hugues OppelLa Manufacture de livres

Plus ça va, plus les livres de Jean-Hugues Oppel sortent au compte-gouttes et plus ça va, plus ils semblent courts… Mais ne boudons pas notre plaisir, la qualité reste au rendez-vous. Quatre ans après son dernier roman (Vostok, Rivages), Jean-Hugues Oppel continue son exploration des sous-sols africains. Cette fois-ci, c’est le Nord-Kivu, d’où on extrait la cassitérite, qui rapporte aujourd’hui ce que le coltan rapportait hier. Toutes les convoitises sont attisées et on y trouve des trafiquants en tous genres et Lucy Chan, analyste à la CIA. Mais le livre se passe aussi sur d’autres fronts, les États-Unis et l’Angleterre, avec deux autres personnages : Falcon, un tueur un gage vieillissant qui songe à raccrocher et Mister K un inconnu que tout le monde aimerait démasquer car il affole le monde boursier avec des newsletters détonantes. Comme le souligne très bien Pierre Fourniaud «Oppel nous embarque avec une ironie élégante pour essayer de comprendre la folie du monde livré à la finance. Il s’empare avec beaucoup de plaisir des nouveaux héros : lanceurs d’alertes, financiers devenus fous pour les faire se télescoper avec ceux de l’imaginaire : espions et tueurs professionnels. On jubile et on apprend. »

Albuquerque, de Dominique Forma

La Manufacture de livres

Lorsqu’on s’étonne de la taille de Albuquerque, de Dominique Forma, Pierre Fourniaud nous donne l’explication « Ce road novel s’inscrit parfaitement dans cette nouvelle collection de romans courts adaptés au noir (Antonin Varenne, Franck Bouysse, Jérôme Leroy à paraître) » Nous vous avions vanté le Varenne (Cat 215), et nous persistons avec ce livre. Le scénario tient sur un timbre poste : Jamie a balancé un parrain de la mafia new-yorkaise. Il vit à Albuquerque sous programme de protection fédérale des témoins. Repéré, il doit fuir avec sa femme. C’est lorsque le pitch est aussi ténu qu’on mesure la puissance du romancier. Dominique Forma nous livre une plongée noire et sèche en Amérique avec cette novella serrée qui rend avec brio le pays et les couples qui se délitent.

*les propos ont été recueillis par mail

Pour aller plus loin

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