La sortie de Lëd de Caryl Férey chez EquinoX – Les Arènes nous amène à nous intéresser à Norilsk, ville hors normes, vue à travers trois œuvres : ce polar, Norilsk un récit du même auteur paru chez Paulsen et Norilsk, l’étreinte de glace un film de François-Xavier Destors.
Pour faire simple et poser les choses rapidement (elles sont parfaitement développées dans les livres et le film) Norilsk est la ville de tous les « records » : cité interdite, ancien goulag, pollution intense, froid extrême, espérance de vie trop courte… C’est le terreau idéal pour un polar.
Pour nous, Norilsk de Caryl Férey, récit d’une dizaine de jours passés dans la ville, est la genèse du roman Lëd. Que lire en premier ? Nous ne saurions le dire, mais pour un bon combo, nous vous incitons à lire les deux, ainsi qu’à voir le film de François-Xavier Destors, Norilsk, l’étreinte de glace, qui vous permettra de mettre encore plus d’images sur les textes de Caryl Férey qui sont déjà très visuels.
Norilsk, un récit
Pour Caryl Férey, tout commence lorsque deux éditrices habiles le « ferrent » pour partir à Norilsk et en ramener un récit. Elles travaillent pour la collection « Démarches » chez Paulsen, une belle maison d’édition spécialisée dans littérature de voyage et d’exploration. Le principe de la collection est simple : des romanciers voyagent et partagent une aventure. Si vous vous souvenez bien, en 2019, Jacky Schwartzmann nous avait parlé de son marathon à Pyongyang (Pyongyang 1071) ou dans un registre complètement différent, en 2017 Mark Haskell Smith avait partagé son expérience du nudisme (Au pays des nudistes, traduction Élodie Leplat).
Caryl Férey est plutôt adepte des hivers au chaud comme il l’explique dans le récit, mais la proposition est si tentante et si bien amenée, qu’il va dire oui. Mais à une condition : emmener « la Bête ». L’écrivain a une grande tradition de voyages pour préparer ses romans. Il en avait fait part dans l’excellent Pourvu que ça brûle, où nous avions découvert ses « acolytes de voyage ». La Bête en est un représentant hors normes, parfait pour la destination… Il ne vous reste plus qu’à découvrir le voyage des deux amis.
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Une ville de rencontres
Si, dans le texte, Caryl Férey fait plusieurs fois allusions à un polar – en particulier en songeant au décor excellent que la ville ferait – ce n’est que plus tard qu’il se lancera dans la rédaction de Lëd, plus précisément « pendant que j’écrivais Paz, mon roman colombien ; Norilsk méritait plus qu’un récit de voyage et surtout, « ils » me manquaient ».
« Ils », ce sont les habitants de Norilsk. Car ce qui plait à Caryl Férey, dans ses voyages, ce sont les rencontres. Cela se sent dans ses livres. Norilsk, a été une ville de rencontres particulièrement fortes. C’est le point commun et l’intérêt de ces trois œuvres : elles prennent à rebours l’image que l’on pourrait avoir de la ville, et surtout de ses habitants. C’est ce que dit Leo, croisé dans Norilsk à savoir que ce n’est pas Norilsk-la-laide ou Norilsk-la-polluée, mais une ville habitée par des gens qui y font des choses :« Je suis photographe, Dasha est graphiste et fait aussi de belles images. Tu as bien vu : on est poètes, musiciens, dessinateurs, peintres, comédiens, ingénieurs du son, violonistes ! ».
C’est ce que nous confie Caryl Férey : « Norilsk est un paradoxe, laide et belle à la fois, froide et chaude comme les jeunes rencontrés là-bas. Des briseurs de glace qui te brûlent le cœur à haute intensité, tout ce que j’aime ».
Cela se sent dans ses deux livres, tout comme dans le film de François-Xavier Destors qui va s’attacher à suivre différents habitants de la ville dont un couple de musiciens qui signe l’excellente bande-son du film (malheureusement introuvable, mais si vous y arrivez, nous sommes preneurs).
On en revient toujours à ce que nous disait l’auteur argentino-espagnol Carlos Salem « je crois que les grandes villes sont d’énormes tas de pierres. Et elles sont vivantes parce qu’entre ces pierres circulent des histoires. Dans les villes, le paysage, la véritable architecture qui perdure, ce sont les personnes[1] ». Ce ne sont pas les villes qui écrivent les histoires, mais les gens qui les habitent, qui leur apportent la vie… Et à Norilsk, peut-être plus qu’ailleurs, car où est la vie dans cet ancien goulag devenu la mine la plus polluée du monde ? Chez ses habitants.
Lëd, Norilsk dans un polar
L’histoire de Lëd ? Le cadavre d’un éleveur de rennes est retrouvé dans les décombres d’un toit d’immeuble qui s’est écroulé. Un flic muté à Norilsk pour sanction disciplinaire qui se retrouve en charge (c’est un bien grand mot, il est vraiment en bas de l’échelle hiérarchique) de l’affaire, épaulé par une jeune médecin légiste. Des mineurs, un bar emblématique, un chauffeur de taxi et ce décor, dantesque.
Du récit au polar, il y a eu un gros travail « Je me suis documenté sur la Russie en général, je suis allé à Irkoutsk puis je me suis focalisé sur Norilsk. Impossible d’y retourner mais j’ai gardé les jeunes mineurs dans mon cœur, qui sont devenus la base de mes personnages, même si au final ils sont très différents – l’homosexualité notamment : ils sont restés à l’âge de pierre… ». Et à l’arrivée, Caryl Férey nous plonge dans plus de 500 pages particulièrement denses.
Pour aller plus loin
Norilsk de Caryl Férey et tous les livres de la collection Démarches chez Paulsen
Le roman Lëd chez EquinoX – Les Arènes
Le film documentaire de François-Xavier Destors, Norilsk, l’étreinte de glace
[1] Propos recueillis en 2011 par l’auteur, traduits par Judith Vernant