Avec Power, Michaël Mention explore la fin des années 1960 aux États-Unis, et avec elle, le mouvement des Black Panthers. De quoi interroger l’auteur sur ses raisons d’écrire un polar historique.
[Voici une nouvelle série d’interviews, afin de comprendre ce qui motive les auteurs à ancrer certains de leurs romans dans le passé. Cette série fonctionnera toujours sur les mêmes 5 questions.]
Quelle période ?
Power se déroule aux États-Unis entre 1965 et 1971. Une période particulièrement intense entre la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques, la libération sexuelle, les nombreux mouvements de contestation, l’émergence d’une scène culturelle audacieuse, la multiplication des sectes et l’explosion de consommation de drogues telles que le LSD et l’héroïne. Ce contexte m’a fourni une base viscérale pour ce roman consacré à la notion de pouvoir, sous toutes ses formes.
Pourquoi ?
J’ai toujours été passionné par les années 60-70, par leur bouillonnement socioculturel, et je connaissais peu le mouvement des Black Panthers. Je m’y suis plongé après avoir redécouvert un album de Miles Davis (On the Corner de 1972, électrique et tribal) qui m’avait évoqué certaines images, de Shaft à Malcolm X. Dès mes premières recherches, j’ai appris énormément de choses sur les Panthers et j’ai mesuré l’ampleur de la désinformation à leur sujet. J’ai donc décidé de raconter leur histoire avec un seul objectif tout au long du roman : réhabiliter leur combat sans en faire l’apologie, car c’est au lecteur de se faire son opinion.
Quelles recherches ?
Comme toujours, je me suis beaucoup renseigné (livres, documentaires, témoignages, etc.) mais cette fois-ci, l’essentiel du job consistait à démêler le vrai du faux. J’ai eu beaucoup de boulot, entre la propagande des ennemis des Panthers (FBI, gouvernement, police, Hollywood) et les partisans qui sacralisent le mythe en ne gardant que l’aspect « cuir et flingues »… mais je suis patient et, s’il m’a fallu des semaines, voire des mois pour statuer sur la véracité de certaines infos, je garde un super souvenir de cette période de documentation, très stimulante.
J’ai décidé de raconter leur histoire avec un seul objectif tout au long du roman : réhabiliter leur combat sans en faire l’apologie, car c’est au lecteur de se faire son opinion.
Quel travail sur le style et la langue ?
Je l’ai abordé normalement, sans me poser de questions, car je voulais que Power ait une portée intemporelle et universelle. J’aurais pu essayer d’écrire « à l’américaine » mais, au-delà de cette démarche malhonnête, une telle stratégie aurait été vouée à l’échec. Quand on a la prétention d’évoquer les autres, il faut avant tout parler de soi. Pour l’atmosphère générale, celles des ghettos et de la misère dans laquelle vivaient les afro-américains, je me suis inspiré de mes souvenirs d’enfant et d’adolescent, quand j’habitais à Marseille. Cette ville a de nombreuses qualités, mais son chômage et sa misère m’ont marqué dès mon plus jeune âge, une misère qui touche parfois à la déshumanisation dans certaines de nos régions. J’ai donc « mixé » mon ressenti avec ma documentation, y ajoutant aussi une certaine imagerie US que nous avons tous, celle des coupes afros et des fringues 70’s, avec un seul objectif : raconter l’histoire des Panthers pour mieux interroger notre époque et les combats qu’il reste à mener.
Quels personnages pour incarner cette période ?
Le mouvement des Black Panthers était si vaste, si complexe, que je ne pouvais réduire le récit à une seule ville. J’ai donc abordé ce phénomène national à travers trois personnages, chacun dans une ville différente : Charlene (jeune militante à Philadelphie), Neil (agent de police à Los Angeles) et Tyrone (infiltré à Chicago par le FBI). À travers eux, j’ai pu explorer le sujet sous tous ses aspects et toutes ses contradictions. Si le Black Panther Party a accompli des choses fantastiques sur le plan social, il a aussi cultivé l’ambiguïté et la notion de subjectivité est au cœur du récit : Charlene, Neil, Tyrone, chacun a son point de vue sur le parti, réagissant en permanence à la pression du peuple et à celle des médias.
À travers Charlene, je voulais donner la parole aux anonymes qui incarnent les mouvements politiques, ceux qui se lèvent à 3h du matin pour aller coller des affiches ou distribuer des tracts. Tyrone, lui, a été conçu à partir de trois traîtres notoires ayant travaillé pour le FBI. Quant à Neil, le personnage le plus fictif, il évolue dans un environnement fait de haine et de racisme, ce dont il souffre au quotidien. C’est un idéaliste en perpétuelle rétention, qui essaie de miser davantage sur la prévention que sur la répression, ce qui en fait un être particulièrement romanesque. Il me fallait son point de vue, son innocence : sans Neil, Power aurait été limité dans son récit et ses enjeux.
Pour aller plus loin
Michaël Mention chez Stéphane Marsan, éditeur de Power.