Dès 1945 se met en place une industrie cinématographique en Iran. Un jeune cinéaste d’envergure va émerger : Samuel Khachikian. En 1953, dès son premier film, Le Retour, il va déboulonner la tradition du film farsi en s’illustrant par une série de films noirs, influencés par Fritz Lang et Alfred Hitchcock.
Influences
C’est à Paris en 1900, lors d’un voyage à l’occasion de l’Exposition Universelle que le Shah d’Iran, Mozaffaredin Shah, découvre le cinématographe et décide de développer cet art nouveau dans son royaume. Confidentielles dans un premier temps, les premières projections cinéma seront réservées à la cour.
Il faut attendre malheureusement 1915 et le génocide arménien pour que se produise l’étincelle qui va allumer le cinéma iranien. Mais déjà, dès 1912, c’est un Arménien d’origine, Ardeshir Khan, qui introduit le cinéma en Iran comme art populaire en ouvrant une des premières salles de cinéma à Téhéran en y projetant les séries de Tarzan.
Avec une diaspora qui s’éparpille de par le monde, de nombreux Arméniens ont trouvé asile au royaume d’Iran. Depuis plus de deux mille ans, le pays est une terre d’intégration pour toute une mosaïque de peuples et d’identités divers – Juifs d’Iran, Kurdes d’Iran… – bien entendu sous l’égide de la culture perse. Ainsi, en 1924, Ovanes Ohanian, jeune ingénieur arménien revenu d’URSS où il a étudié le cinéma, pose ses valises à Téhéran avec l’objectif de jeter les bases d’une industrie du cinéma proche du modèle occidental.
Depuis 1927, le grand public iranien a découvert le cinéma d’auteur avec des projections de Metropolis de Fritz Lang et de Charlie Chaplin. C’est à cette époque que Ohanian crée la première école d’acteurs et d’actrices de cinéma iranien. Dans la foulée, il se lance comme metteur en scène et tourne Abi et Rabi, un film muet qui sort le 2 janvier 1931, une comédie à succès dans l’esprit du tandem Laurel et Hardy.
Deux ans plus tard, son second métrage Hadji Agha, l’acteur de cinéma ne connaît pas autant de succès et déplaît aux autorités religieuses. Mais ces deux films de Ohanian restent considérés comme l’acte de naissance du cinéma iranien.
L’Arménien fou de Téhéran
Il faut ensuite attendre 1945 pour que se mette en place une véritable industrie cinématographique dans le pays, avec souvent des films tournés en Inde. L’Iran développe ainsi différents films de genre dont le film farsi, proche du cinéma d’opérette en Occident ou du film Bollywood en Inde. Des romances populaires et commerciales qui sont ponctuées de chants et de danse locales. Les années cinquante sont fastueuses pour le cinéma persan. Une dizaine de films sont réalisés chaque année et une vingtaine de maisons de production voient le jour.
Au sein de cette nouvelle industrie, un jeune cinéaste d’envergure va émerger : Samuel Khachikian, également issu de la diaspora arménienne. En 1953, dès son premier film, Le Retour, Khachikian va déboulonner la tradition du film farsi en s’illustrant par une série de films noirs, influencés par Fritz Lang et Alfred Hitchcock.
L’homme est à la fois un solide artisan et un provocateur qui aime toucher à tous les (mauvais) genres : film d’horreur, comédie musicale, mélodrame, film de gangsters… Né en 1923, fils d’immigrés fuyant l’Asie Mineure, Khachikian est bercé dès son enfance par des légendes noires et horrifiques du génocide arménien. Des visions traumatisantes de meurtres et de mort violente qu’il transposera par la suite dans ses films.
Fasciné par le cinéma d’Hollywood, Khachikian devient un véritable phénomène de l’industrie. Il ira en 1955 jusqu’à filmer le premier baiser du cinéma persan dans Crossroads of Events, son premier grand succès. Au fil du temps, le baiser sera coupé au montage par les projectionnistes. Mais ce film de gangsters circulant en grosses cylindrées américaines et braquant des bijouteries permet à Khachikian de s’établir en maître du thriller.
En 1956, son film suivant, Une soirée en Enfer, est projeté au Festival de Cannes. Bien avant Abbas Kiarostami, Samuel Khachikian devient le premier cinéaste à donner à l’Iran une visibilité internationale. Les films qui suivront, Midnight Terror et Anxiety, seront des adaptations de Gilda de Charles Vidor et des Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot.
Cinéaste progressiste, Khachikian introduit dans ses films des héroïnes et des flingues. En 1966, un de ses derniers grands succès, Farewell to Tehran (Khodahafez Tehran), met en scène une infirmière armée de gros calibres sommée de combattre la pègre. Celui que l’on surnomme le Hitchcock iranien va réaliser au total plus d’une trentaine de fictions. Chacun de ses films provoquera à sa sortie des émeutes dans les rues de Téhéran, où il battra, jusqu’à la révolution islamique, tous les records commerciaux.
L’avènement des Mollahs en 1979 marque un sérieux coup d’arrêt à sa production décadente. Sa vision trop occidentale de l’Iran vaut à Khachikian d’être banni des studios. Mais, quand avec la révolution survient la guerre, en 1984, durant le conflit Iran-Irak, les autorités se souviennent du réalisateur. Souhaitant réaliser un film d’action grand public de type Top Gun, elles ressortent Khachikian des limbes. Son film patriotique Les Aigles battra tous les records d’entrée sans pour autant ramener le cinéaste sur le devant de la scène. Malgré les difficultés, Khachikian tournera jusqu’à sa mort en 2001.
Aujourd’hui perdue, son œuvre a été unanimement saluée par l’ensemble du cinéma iranien. Une œuvre fleuve aux allures de continent englouti dont il ne subsiste aujourd’hui que quelques minutes sur Internet.
Sète, le 11 02 2018.
Pour aller plus loin
La filmographie de Samuel Khachikian sur sa fiche Wikipédia
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