La sortie de La Meute chez EquinoX (Les Arènes), nous a donné envie de poser cinq questions à Thomas Bronnec. Un parcours très cohérent d’écriture sur lequel l’auteur revient.
Nous avions découvert Thomas Bronnec chez Rivages en 2012 avec La Fille du Hạnh Hoa. Hô-Chi-Minh-Ville, les traumatismes de la guerre du Vietnam et une très bonne connaissance de la ville et du pays… le roman était dense et nous avait particulièrement plu.
Lorsque Les Initiés sort en 2015 à la Série Noire, nous sommes a priori déçus de son « retour en France ». Mais la thématique abordée – l’auteur décortique sous nos yeux le fonctionnement de Bercy – est excellente, son traitement passionnant… et ce n’est que le début d’une excellente « série ».
Deux ans plus tard, à la Série Noire toujours, sort En pays conquis. Une fiction politique effrayante (du moins pour nous), menée de main de maître par un auteur qui manie toujours aussi bien son sujet. Avec en thème de fond, les conseillers politiques, ces hommes de l’ombre chers à Dominique Manotti, qui sont de parfaits personnages pour écrire des fictions.
En 2019 sort La Meute, aux Arènes, une fidélité à l’éditeur Aurélien Masson comme l’auteur s’en explique en fin de roman. Thomas Bronnec y continue son exploration politique avec ici le jeu des médias, des réseaux sociaux, ce que certains appellent aujourd’hui la société du spectacle 2.0.
Comme l’a écrit Thomas Bronnec en note à la fin de La Meute, ses trois derniers romans composent une exploration des élites. Il s’en explique brièvement, nous lui avons donc demandé de nous donner un peu plus de détails sur ces romans qui forment un ensemble aussi passionnant que cohérent.
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Les élites
« Avec La Meute, je poursuis mon exploration des élites françaises. Cela fait maintenant plus de dix ans que je suis plongé dans cet univers, depuis l’enquête journalistique que j’ai menée avec Laurent Fargues sur le pouvoir du ministère des Finances, Bercy, au cœur du pouvoir (Denoël, 2011). Deux ans d’enquête, plus d’une centaine d’entretiens avec ceux qui dirigent notre pays : des politiques, bien sûr, ministres et députés, des hauts fonctionnaires, hommes de l’ombre et qui aspirent le plus souvent à y rester, et puis des grands patrons. C’est à cette occasion que j’ai pu mesurer l’influence énorme de Bercy sur la politique française : une influence sur la politique économique menée évidemment, sur l’ensemble des politiques même puisque le Budget tient les cordons de la bourse et surtout une influence intellectuelle.
« L’esprit Bercy » – un libéralisme bon teint aussi rétif à la dépense publique qu’à la hausse des impôts, mais qui sait aussi être pragmatique, et où l’intervention de l’État est réduite au minimum – imprègne notre vie politique. Après avoir écrit Les Initiés, le pendant romanesque de cette enquête, j’ai ensuite élargi le spectre en dehors de Bercy, aux conseillers de l’ombre, ces personnalités, spin doctors et technos, qui peuplent les cabinets du pouvoir, dans les ministères, à Matignon, à l’Élysée. Cela a donné un film, Ces conseillers qui nous gouvernent, et un roman, En Pays conquis. »
Les trois premières minutes du documentaire Ces conseillers qui nous gouvernent de Jean Crépu, écrit avec Thomas Bronnec et Laurent Fargues.
Les personnages
« Les personnages sont essentiels. Ce sont eux qui différencient un livre « documentaire » d’un roman. Bien sûr, mes enquêtes journalistiques m’ont permis de camper des univers cachés, secrets mais cela ne suffit pas à faire une bonne histoire. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, pour passer d’une enquête à une fiction, pour laisser le temps à l’alchimie de se produire. Les personnages de ma trilogie politique ont tous des fonctions importantes, ils font partie des élites, mais ce sont aussi des femmes et des hommes comme vous et moi, avec leur arrogance, leurs doutes, leurs sentiments, leur famille. Ces personnages font vivre l’intrigue et permettent à celle-ci de ne pas se cantonner à la surface des enjeux politiques, mais de lui donner une autre dimension, une dimension intime, celle de la vie intérieure.
Les Initiés est un roman sur la collusion entre le pouvoir politique et la finance, mais c’est aussi un roman sur les relations entre un père et sa fille, et sur la descente aux enfers qu’est une dépression. En Pays conquis est un roman sur l’évolution idéologique de la droite dans les quinze dernières années, c’est un texte qui décrit l’importance croissante de l’argent dans la captation du pouvoir, mais c’est aussi une histoire de solitudes qui se consolent et se fondent dans la destinée d’un pays, une histoire qui montre le poids de l’héritage familial. Et La Meute, qui atteint le paroxysme du mélange entre la vie privée et la vie publique, parle autant des relations entre les femmes et les hommes et du pouvoir des réseaux sociaux, que de relations infernales entre un frère et une sœur, et de la question du consentement. »
Les Initiés
« Quelques années après la chute de Lehman Brothers, alors que le monde politique voit enfin la sortie de crise à l’horizon, le Crédit parisien est sur le point de sombrer. La plus grande banque française a besoin d’un plan de sauvetage en urgence. Mais Antoine Fertel, son patron, se heurte à l’intransigeance de la ministre de l’Économie, la très populaire Isabelle Colson, symbole de la gauche revenue aux affaires. Entre les deux, Christophe Demory, directeur de cabinet de la ministre, refuse de choisir son camp. Jusqu’à ce que le cadavre Stéphanie Sacco, une jeune inspectrice des finances, retrouvé dans la cour de l’Hôtel des ministres, le replonge dans son passé. Et l’oblige à prendre parti et à choisir entre la fidélité et l’ambition. »
En pays conquis
« En pays conquis se déroule juste après la séquence politique forte de notre pays : l’élection présidentielle, et celles qui suivent, les législatives. La République est paralysée. L’Élysée est à gauche mais l’Assemblée à droite. Très à droite : Hélène Cassard, nommée à Matignon, est obligée de gouverner avec le Rassemblement national – c’est le nom que j’avais donné au parti extrémiste à l’époque de l’écriture, avant qu’il ne l’adopte dans la réalité… Dans ce paysage politique en pleine déliquescence, les convictions sont mises à l’épreuve du pouvoir et les hommes de l’ombre s’agitent autour d’un enjeu de taille : l’appartenance de la France à l’Europe. L’un d’eux, François Belmont, ambitionne de faire éclater les vieux clivages. Mais la mort de Christian Dumas, président de la Commission des comptes de campagne, chargé de veiller sur la légalité du financement de la vie politique, risque de compromettre ses plans. »
La Meute
« La Meute met en scène un ancien président de la République, François Gabory, qui n’arrive pas à raccrocher et prépare son retour. Face à lui, il trouve Claire Bontems, son ancienne secrétaire d’Etat, une jeune ambitieuse qui tente de faire main basse sur la gauche en passant par-dessus les appareils politiques. Elle est conseillée par Catherine Lengrand, la sœur de Gabory. C’est le choc de deux ambitions, de deux générations, de deux visions de la gauche. Ils vont se livrer une guerre sans merci, sur fond d’histoire familiale, dans laquelle s’invitent des rumeurs sexuelles, hypertrophiées par les réseaux sociaux. Le roman évoque la relation de fascination et de haine entre le pouvoir politique et la sphère médiatique, dans une société transformée par Facebook et les mouvements MeToo et Balancetonporc. »
Pour aller plus loin
Les ouvrages de Thomas Bronnec à la Série Noire, chez Denoël et chez EquinoX (Les Arènes)
D’autres extraits du film Ces conseillers qui nous gouvernent sur la page YouTube de Thomas Bronnec