1977 Sorcerer / Le Convoi de la Peur. Dominguez, Serrano, Marquez, Nilo… Quatre identités factices pour quatre ouvriers d’une exploitation pétrolière dans la jungle d’Amérique centrale. Quatre parias animés par l’argent et la rivalité, entre qui la solidarité est inexistante.
Des hommes en bout de course qui disposent d’une seule et unique journée pour accomplir 218 miles. Un périple mortel qui débute à l’aube et s’achève à la tombée de la nuit, à la lueur d’un puits de pétrole enflammé. A mesure que le film avance, leurs traits se creusent et leurs silhouettes deviennent spectrales.
Avec Sorcerer, William Friedkin propose ici une relecture saisissante du Salaire de la Peur, le roman de Georges Arnaud. Présenté à tort comme un prolongement de L’Exorciste, le film sort en salles un mois après le premier Star Wars de George Lucas et passe totalement inaperçu.
Mal accueilli à sa sortie, Le Convoi de la Peur va porter un sévère coup d’arrêt à la fulgurante ascension de Friedkin au sein du Nouvel Hollywood. Cinq ans plus tard, Michael Cimino connaîtra avec La Porte du Paradis la même déroute critique et commerciale.
Le film démarre d’abord sur quatre séquences d’assassinat dispersées en différentes parties du monde. Un tueur à gages à Mexico, un terroriste palestinien à Jérusalem, un escroc de la finance dans le Paris des quartiers chics, puis un petit braqueur fuyant le New-Jersey.
Dès ce prologue virtuose, géographiquement éclaté, on est happé par cette intrigue en vortex qui se resserre autour de quatre criminels apatrides, piégés dans un bidonville dans une forêt d’Amérique Centrale. Ils sont en quête d’une porte de sortie. Eux qui conduiront les deux camions mortels chargés de nitroglycérine pour éteindre l’incendie d’un puits de pétrole.
Après un tournage cauchemardesque en République Dominicaine, Friedkin accouche d’un film sous tension, poisseux et désespéré, où l’on sent la mort rôder au détour de chaque plan. Le scénario est travaillé, le montage dense, sec et nerveux. Le style de Friedkin est cru et réaliste, frôlant par instant le documentaire. Les dialogues entre les quatre hommes sont réduits au minimum, on en oublie de lire les sous-titres tant l’action est prenante. La musique de Tangerine Dream, toute en nappes de synthés, se révèle ici inattendue et terriblement efficace.
Un flacon d’eau posé sur le tableau de bord pour jauger l’équilibre de la cargaison, du sable en quantité pour maintenir la stabilité des caisses d’explosifs à l’arrière des camions, la mise en scène de Friedkin fait preuve d’un sens du détail hallucinant. Sorcerer et Lazaro, les deux monstrueux véhicules de transport sont filmés comme des créatures de cauchemar, scrutés avec autant d’intensité que leurs conducteurs.
Friedkin n’hésite pas à pousser ses acteurs dans leurs derniers retranchements. Dans le jeu de Bruno Cremer ou de Roy Scheider, il est difficile dans certaines séquences de discerner la simulation de l’effroi réel.
Certes, sous une facture documentaire, le film met en scène les ravages sociaux de l’exploitation pétrolière dans un pays du tiers-monde. Pourtant, malgré son abord pessimiste et dépressif, Sorcerer est un grand film humaniste où quatre parias vont apprendre à se connaître et à composer malgré leurs différences afin que le monde dans lequel ils vivent ne devienne pas pire encore. Friedkin n’en fait pas mystère, Sorcerer est un film qui témoigne d’une époque angoissée par le péril nucléaire.
Plastiquement, graphiquement, les cadrages du film sont magnifiques. Dans sa confrontation mystique avec une nature hostile et luxuriante, la régression progressive de ses personnages, Sorcerer évoque Apocalypse Now ou encore Aguirre, la colère de Dieu.
Au cours de ce voyage hypnotique, fiévreux et habité – la fabuleuse scène de traversée d’un pont de lianes sous une pluie torrentielle -, pas le moindre temps mort. Avec Le Convoi de la Peur, Friedkin s’offre un fascinant parcours sans-faute. Et livre pour l’époque son meilleur film.
Pour aller plus loin
La fiche Imdb du film Sorcerer