Comme vous pourrez le constater, Sébastien Gendron peut écrire sur tout. Longtemps catalogué comme l’incarnation du roman noir humoristique français,il nous prouve aussi qu’il n’est pas que ça. Rencontre avec un auteur aux répliques bien senties…
Sébastien Gendron, vous incarnez le roman noir humoristique français. Ça fait quoi ?
Ça pèse lourd. D’autant qu’en vieillissant, je suis de moins en moins drôle. J’ai donc besoin de prendre de plus en plus de drogues pour arriver à mon niveau d’humour de croisière et ne pas trop me faire honte.
Pourquoi ce choix de l’humour ?
J’ai longtemps pensé que je ne savais pas envisager les choses autrement, avant de me rendre compte que c’était des conneries : j’écris aussi des romans jeunesses pas marrant du tout. Et puis surtout, j’ai un peu trop dit que l’humour c’était la politesse du désespoir, que je préférais en rire avant que d’en pleurer, tous ces poncifs que d’autres ont mieux dit avant moi. Alors du coup, je sais plus bien quoi en penser.
Quels sont vos modèles littéraires ?
Comme j’écris des trucs drôles, on m’a souvent conseillé des auteurs drôles. Résultat, j’aime pas Christopher Moore et encore moins Carl Hiaasen. Par pur snobisme, je préfère les auteurs drôles qui ne le sont pas toujours mais que j’ai découvert tout seul sans l’aide de personne : Pascal Garnier, Jean Echenoz, Donald Westlake entre autres. Et puis évidemment les Jean-Bernard Pouy, Jean-Patrick Manchette, Elmore Leonard, Tim Dorsey, etc. Faut juste que ça soit bien troussé et que je sorte de là en étant incapable de résumer l’histoire. Je suis assez difficile.
Il paraît que vous pouvez écrire sur tout, est-ce vrai ?
Disons que je prends mon métier de menteur très à cœur et que parallèlement à ça, je suis une grosse feignasse en terme de recherches documentaires pour mes bouquins. Donc, je suis en effet tout à fait capable de broder un personnage de docteur en physique nucléaire, ça me prendra juste un peu plus de pages qu’un type normal qui se sera renseigné avant.
Mais heureusement que Stéfanie Delestré est là avec sa tronçonneuse, comme vous dites…
Oui, heureusement. C’est quelqu’un de très solide qui n’a pas envie d’avoir honte des trucs qu’elle publie. Et effectivement, avec moi, y a pas mal de boulot. Je crois pouvoir avouer sans rougir qu’elle a écrit la plupart de mes romans.
Comment écrivez-vous ? avec un plan précis ? Ou partez-vous d’une situation qui vous fait rire en vous demandant où ça va vous mener ?
Je pars en général d’une idée à la con et je me demande « tiens, et si… ». Et généralement, d’autres idées à la con sortent. A titre d’exemple, ce matin en prenant ma douche, j’ai pensé au nom d’un groupe de rock qui pourrait donner une histoire sensationnelle : Roger Codec et les Sak Plastik. Bon, je vois pas bien quelle histoire je peux écrire à partir de ça, mais j’ai hyper confiance en moi. Ça va venir.
À une époque, vous inondiez le web de textes, d’articles, aujourd’hui, c’est fini : poids de l’âge ? Manque d’inspiration ? De temps ? Bois à couper pour l’hiver ?
Mon grand-père était pécheur à la mouche. Je passais des heures à le regarder fabriquer ses leurres dans son petit atelier, je lui posais plein de questions sur sa passion, je m’intéressais vachement. Mais ce connard a toujours refusé de m’emmener avec lui. Résultat des courses, il a fini par se noyer et j’étais pas là pour l’aider. Bref, j’en ai quand même déduis que pour chopper ce que tu veux, faut des bons appâts. Du coup, en tout début de carrière, j’ai effectivement envahi la toile avec des tas de bidules que j’écrivais la nuit dans mon bureau comme mon putain de grand-père avec ses mouches à la con. Le principe, c’était de rendre mes lecteurs captifs pour qu’ils se jettent sur mon premier bouquin dès sa sortie. Alors bon, vu qu’aujourd’hui mes ventes ne descendent jamais sous la barre des 400 000 exemplaires, j’ai plus vraiment de raisons de me faire chier avec ces conneries.
À cette époque-ci, vous faisiez aussi du cinéma (et j’ai le souvenir ému de bandes annonces pour vos livres), c’est fini ?
Pour les même raisons, oui. Mais pour répondre plus sérieusement à votre question, je me suis rendu compte d’un truc qui a achevé de me retirer toute velléité de faire du cinéma. Écrire un scénario me prend autant de temps que d’écrire un roman. Et ensuite, j’ai 20 couillons décérébrés à convaincre que ça ferait un excellent film. Y en aura peut-être 19 qui diront ok, si un seul dit non, tout le monde se casse. Et tout ça après m’avoir demandé 2000 modifications et avoir prononcé un milliard de foutaises. Quand j’écris un roman, j’ai une personne à convaincre : mon éditrice. Et quand elle me demande des modifications, j’ai intérêt à obéir sinon, c’est sa main dans ma gueule.
Aujourd’hui, vous écrivez aussi pour la jeunesse, comment abordez-vous ceci ?
Au début, j’ai pensé à ma propre jeunesse et je me suis souvenu que mes copains étaient dans l’ensemble tous très cons et que moi, je tirais mon épingle du jeu parce que je lisais beaucoup. Alors j’ai pensé aux mômes d’aujourd’hui qui sont quand même tous un peu débiles et je me suis dit que ce qu’il leur fallait, c’était un bon auteur pour les rendre malins et qu’ils puissent s’en sortir dans la vie. J’écris donc pour la jeunesse des histoires intelligentes, et pour les adultes, des histoires débiles parce que pour eux, de toutes façons, c’est trop tard.
Et, si nous n’avons plus la chance de lire vos chroniques, qu’avez-vous lu ou vu de beau ces derniers temps ?
Rien. Le monde s’appauvrit de jour en jour. Du coup, je préfère les trucs qui datent de Mathusalem, ça me rassure : Out of Africa de Sidney Pollack, par exemple, j’ai vachement aimé. Et puis To leave and die in L.A. de William Freidkin et King of New York d’Abel Ferrara. Et coté littérature, j’ai découvert aussi quelques vieux bijoux du genre A coté de la plaque de Marc Behm ou encore L’hiver de Frankie Machine de Don Winslow.
Révolution date de fin 2016, qu’en est-il de 2018 ?
Ben c’est à dire que je viens de passer six mois à faire le tour du monde sur le yacht de vingt-quatre mètres que je me suis payé avec mes royalties de Révolution justement, du coup, j’ai rien foutu. Mais plus j’y songe et plus je me dis que cette histoire de Roger Codec et les Sak Plastik ça devrait faire un chouette sujet, bien vendeur.
Pour aller plus loin
Sébastien Gendron chez son éditeur, Albin Michel et chez les éditions Baleine.