Atelier Akatombo : La concrétisation d’une passion littéraire

Dominique Sylvain, grande plume de la littérature noire, a vécu de nombreuses années en Asie. Nous savions qu’elle en avait rapporté de la matière pour certains de ses romans, nous découvrons qu’il n’y a pas que ça. En effet, avec son mari, elle vient de créer une maison d’édition spécialisée dans le domaine asiatique, Atelier Akatombo.

Le premier titre publié, Le Loup d’Hiroshima, est un polar, l’occasion pour nous de lui poser quelques questions et savoir sur quoi porteront les prochains livres.

Dominique Sylvain, nous nous étions rencontrés pour la première fois au Japon où vous viviez… Racontez-nous votre parcours en Asie…
Frank et moi sommes partis vivre à Tokyo au début des années 1990. En deux séjours, nous y sommes restés plus de dix ans. Nous avons également vécu à Singapour quelques années. Ça a été aussi l’occasion pour nous de voyager beaucoup en Asie. Tous ces pays m’ont marquée et émue. Il y a une sorte d’évidence pour moi en Asie. Comme si les paysages, les ambiances, les cultures constituaient un continent rêvé, mais qui tiendrait ses promesses. La culture japonaise m’a particulièrement marquée. J’y ai découvert l’œuvre d’artistes qui m’ont beaucoup touchée comme Haruki Murakami, Natsuo Kirino ou Nobuyoshi Araki.Atelier AkatomboAvec votre mari, vous avez une forte passion pour la littérature japonaise, comment la lisez-vous ? en VO ? en anglais ?
J’avais lu Mishima, Tanizaki, Sōseki ou Kawabata en français avant de partir. Mais une fois à Tokyo, j’ai découvert l’œuvre de Murakami en anglais à travers les excellentes traductions d’Alfred Birnbaum. Même chose pour Natsuo Kirino ou Miyuki Miyabe. Les traductions en anglais arrivaient plus rapidement, et j’aime la fluidité de cette langue. Pour Frank, c’est très différent, car il a commencé à étudier le japonais il y a plus de trente ans. Il le lit dans le texte. C’est grâce à cela que nous pouvons traduire les romans que nous choisissons de publier pour Atelier Akatombo. Il déchiffre, au plus près du sens initial, et je lisse. Pour rendre le texte fluide.

Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le cap et à devenir éditeur ? Vous êtes distribués par Harmonia Mundi, vos livres sont beaux, vous avez une attachée de presse prestigieuse… ce n’est pas un projet laissé au hasard…Non, c’est un projet de Frank qui remonte… à la nuit des temps. Avant cela, il avait un travail complètement différent. Ce n’est pas un projet laissé au hasard car il a été longuement mûri. Et, effectivement, nous avons souhaité nous entourer de professionnels. Il y a beaucoup de livres publiés, il n’est pas utile de proposer un travail bricolé. La qualité seule a du sens. Et notamment parce que nous sommes dans une petite niche.

En fait, nous nous sommes placés d’emblée dans le domaine d’une littérature de plaisir plutôt que dans celui de la littérature pure des cénacles académiques. Polar, science-fiction… Et quelques essais sur la photographie, l’architecture, les arts plastiques…

Pour ceux qui n’auraient pas lu la note d’intention, pouvez-vous nous expliquer le choix du nom de la maison ?
Akatombo signifie libellule rouge. Elle naît en automne, une saison considérée par les Japonais comme particulièrement propice à la lecture. En automne, au Japon, le ciel est bleu clair, la température idéale, et les feuillages d’automne sont plus comme un embrasement qu’une nostalgie. L’idée, c’est que lorsqu’on lève les yeux de son livre, on peut admirer le jardin dans ses couleurs d’automne.

 

En fait, nous nous sommes placés d’emblée dans le domaine d’une littérature de plaisir plutôt que dans celui de la littérature pure des cénacles académiques. Polar, science-fiction…

Vous avez traduit à quatre mains le premier roman, un excellent polar, comment avez-vous travaillé ?
Oui, le premier roman est Le Loup d’Hiroshima, un texte de Yûko Yuzuki, une romancière à la fois intense et méticuleuse, qui s’est documentée à fond sur la « culture yakuza ». Pour ce qui est de notre façon de travailler, Frank, qui est de formation scientifique, s’attaque au texte brut et effectue une traduction littérale avec des notes de contextes sur le style, les dialogues et certaines des intentions portées par le texte. En japonais, il y a beaucoup de non-dits, de blancs, c’est-à-dire beaucoup d’espace laissé au lecteur. Le contexte est important à la compréhension ; parfois c’est un seul petit mot plutôt adulte ou plutôt enfantin, plutôt féminin ou plutôt masculin, qui indique qui parle dans un dialogue. J’arrive en second et m’emploie à proposer la version la plus fluide possible pour le lecteur afin qu’il y ait un plaisir du texte français. En fait, j’essaie de me glisser dans la tête de l’auteur. Il y a deux questions essentielles. Qu’a-t-il voulu dire ? Et comment a-t-il voulu le dire ? Nous échangeons tout au long du processus. C’est un travail extraordinairement patient et artisanal !

En tant qu’auteure, n’est-ce pas trop difficile de traduire ? N’a-t-on pas envie de modifier des tournures ou que sais-je encore ?
On pourrait être tenté de le faire, mais non. C’est comme d’entreprendre un voyage. Dans les romans, je me glisse dans la tête de mes personnages. Pour traduire, je me glisse dans celle de l’auteur. J’écoute sa respiration, j’essaie de comprendre son processus de pensée. Je me suis rendu compte que c’était en soi une manière de lire. Que je ne connaissais pas. Le temps ralentit et on rentre dans un texte comme jamais. Ça n’a rien à voir avec ce qui se passe quand on est simplement lecteur. Là, on plonge. Profond. C’est très intéressant. On s’approche au plus près d’une expérience humaine.

Que nous réservez-vous de beau à venir ?
Nous venons de terminer la traduction d’un très beau roman de Seichō Matsumoto, publié en 1958, et jamais traduit : Le Point zéro. Il raconte l’histoire de Teiko, une jeune femme qui épouse un homme qu’elle connaît à peine, par l’intermédiaire d’un entremetteur. Son mari disparaît et elle décide de partir à sa recherche. Elle quitte Tokyo pour débarquer à Kanazawa, au bord de la mer du Japon, un « pays de neige » dont l’atmosphère n’a rien à envier à celle d’un polar scandinave. Mais avec quelques décennies d’avance. En fait, Teiko va mener l’enquête, de bout en bout. Avec détermination.

J’ai été très impressionnée en le traduisant. Grande admiratrice de l’œuvre de Matsumoto, j’avais particulièrement apprécié L’Express de Tokyo, mais ce texte me renforce dans mon enthousiasme pour l’inventeur du roman noir nippon. C’est un texte très en avance sur son temps (une héroïne dans un roman des années 1950 !), mais également subtil quant à son analyse des cicatrices psychiques, laissées par la guerre. Nous le publierons fin octobre. Ensuite, il y aura Nuage orbital de Taiyō Fujii, un texte de science-fiction, puis un essai du plus célèbre des photographes nippons, l’inimitable Araki. C’est un recueil d’interviews assez déjantées car il a un côté vieux maître zen. Ou alors, il joue au vieux maître zen. Plus tard, nous traduirons Tetsuya Honda. Il a écrit une série de romans très noirs, très nerveux, qui mettent en scène une capitaine de police menant une équipe d’hommes. C’est très bien !

Pour aller plus loin

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