Nous avons découvert Éric Plamondon avec le bluffant Taqawan, tout comme Oyana, son dernier roman. Sa venue au festival Lire en Poche a été pour nous l’occasion de lui poser quelques questions.
Éric Plamondon, entre le Québec et la France
Avant de commencer, Taqawan sort en 2017 au Quartanier et en 2018 chez Quidam. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le Quartanier est une maison d’édition montréalaise qui à l’époque n’était pas directement distribuée en France. Comme je voulais être certain que le livre existe aussi bien en France qu’au Québec, j’ai fait appel à un agent qui a négocié les droits pour l’Amérique avec Le Quartanier et ceux de l’Europe avec Quidam. Mon agent connaissait bien les deux maisons, leur ligne éditoriale forte et originale. Il a fait ce choix dans une logique d’adéquation.
Et nous dire quelle est votre relation avec Quidam ?
Ma relation avec Quidam, c’est celle que j’ai avec l’éditeur Pascal Arnaud. C’est quelqu’un de très engagé dans la défense de ses textes, un passionné qui construit un catalogue unique. Nous avons beaucoup échangé pendant la rédaction d’Oyana. C’était un vrai travail d’équipe.
Question bête, vous êtes Québécois, vous vivez en France depuis longtemps, est-ce plus facile d’écrire sur le Québec lorsque l’on n’y vit plus ?
Pour moi, ce fut déterminant. J’ai dû venir vivre en France pour réaliser que j’étais beaucoup plus Américain que je ne voulais me l’avouer. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de m’emparer de trois figures américaines dans mes premiers romans : Johnny Weissmuller dans Hongrie-Hollywood Express, Richard Brautigan dans Mayonnaise et Steve Jobs dans Pomme S.
Pour Taqawan, ç’a été encore plus fort. Il a vraiment fallu que je quitte le Québec pour comprendre à quel point j’ignorais tout de l’histoire et de la réalité des Premières Nations, à quel point on avait essayé de les effacer de l’histoire officielle, de les réduire au silence. J’ai eu besoin de beaucoup de recul pour entreprendre ce projet. Je n’aurais sans doute pas « osé » cette histoire directement depuis le Québec.
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Taqawan
Quelle est la genèse de Taqawan ?
En voyage au Québec en Gaspésie à l’été 2012, je suis passé par la réserve de Lustuguj et je n’ai pas compris pourquoi jusque-là j’avais tout ignoré de l’existence de ce lieu et de ceux qui y vivaient. De retour de voyage, je me suis passionné pour l’histoire des Mi’gmaq et j’ai écrit une novella qui a pour titre Ristigouche (Le Quartanier, 2013 — rééditée dans le recueil de nouvelles Donnacona, Le Quartanier, 2017). Mes recherches initiales m’avaient mis sur la piste de la guerre du saumon, je voulais aller plus loin. Quand j’ai vu le formidable documentaire d’Alanis Obomsawin, Escarmouche à Restigouche, je savais que je tenais mon histoire.
Êtes-vous passé à la réserve de Restigouche ?
Une première fois en 2012, puis j’y suis retourné en 2015 lors d’un séjour de recherche dans la baie des Chaleurs, là où se situe l’action du roman. J’ai fait du repérage, j’ai pêché le saumon et j’ai rencontré des gens sur place. J’ai eu la chance d’échanger avec une dame mi’gmaq sur la réserve. Elle m’a beaucoup parlé de la réalité de son peuple et des événements de 1981. Ce fut une belle rencontre et un moment fort, décisif pour la suite de Taqawan.
Il y a un passage très intéressant (ce n’est pas le seul, d’ailleurs) : « Pourquoi le gouvernement québécois ne veut pas demander aux Indiens ce qu’il demande lui-même au gouvernement canadien ? Pourquoi faut-il un droit à la culture et à la langue française au Québec à l’intérieur du Canada, mais pas de droit à la culture et à la langue mi’gmaq à l’intérieur du Québec » ?
C’est là toute l’ambiguïté politique de la réalité que le roman tente d’interroger par ses propres moyens. C’est un paradoxe très productif pour la fiction. C’est le genre de contradictions qui donnent du grain à moudre à un auteur.
La construction du livre est très particulière, par fragments, pourrait-on dire, où on apprend une foultitude de choses tout en suivant la trame de fond… Pouvez-vous nous en parler ?
C’est une forme qui me vient de ma passion pour le Moby Dick de Melville et pour l’œuvre de Richard Brautigan. Ces deux auteurs ont utilisé ce procédé avant moi chacun à leur manière. C’est un style qui me fascine, qui permet un jeu particulier avec le réel et la fiction. Le fragment est l’outil par excellence pour explorer les savoirs du monde et construire une fiction qui rend compte de notre processus de connaissance qui fonctionne lui-même par une accumulation de fragments. Le réel ne se dévoile toujours que par bribes.
« En langue mi’gmaq, on nomme taqawan un saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois » comme il est écrit. Et, en parlant de saumon, il est écrit aussi : « On dirait que le colonialisme, c’est un peu comme un saumon, tu peux le jeter à la mer, il finit toujours par remonter là où il est né ». Vous pouvez nous en dire plus ?
Si on ne remonte pas à la racine d’un problème, il est difficile de le saisir. Et si on ne cherche pas à comprendre, on rejoue sans cesse les mêmes erreurs. C’est quelque chose qui m’a frappé en travaillant sur le roman et en remontant l’histoire de la colonisation du Canada et du Québec. À deux siècles de distance, la bataille de la Ristigouche de 1760 et la guerre du saumon de 1981 se déroulent au même endroit, avec les mêmes protagonistes : autochtones, francophones et anglophones. C’est comme si se rejouait en miniature un des conflits fondateurs de l’histoire du pays.
Il a vraiment fallu que je quitte le Québec pour comprendre à quel point j’ignorais tout de l’histoire et de la réalité des Premières Nations, à quel point on avait essayé de les effacer de l’histoire officielle, de les réduire au silence.
Il y a aussi cette phrase très forte, d’ailleurs souvent mise en exergue sur vos articles de presse, « Au Québec, on a tous du sang indien. Si ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains ».
Je crois qu’elle rend bien compte du drame des vainqueurs et des vaincus, des non-dits et des tabous.
Oyana
« Chaque fois, sa mort me ramenait à la cause basque, à l’ETA, aux violences du pouvoir ». Il y a de fortes similitudes de thèmes avec Taqawan…
C’est vrai. Le plus étonnant, c’est que je ne l’ai réalisé qu’après la publication d’Oyana. Il m’a fallu lire un article qui notait les similitudes entre les deux livres pour que je réalise qu’il était à nouveau question d’identité, de territoire, d’oppression, de lutte et de mémoire.
C’est aussi un livre en kaléidoscope (« ces bouts de lettres en forme de faux départs »), mais un peu moins que Taqawan… Parlez-nous de sa construction.
Au départ, je voulais essayer de faire quelque chose de très différent. La forme épistolaire m’apparaissait comme une contrainte forte pour me pousser dans une nouvelle direction. J’avais en tête depuis longtemps Alexis ou le traité du vain combat de Yourcenar, d’où l’exergue. Surtout, cette forme permettait de coller à l’urgence ressentie par Oyana. Mais plus j’avançais, plus j’avais envie d’éclairer l’histoire de l’extérieur et je n’ai pu m’empêcher d’y ajouter quelques fragments !
À un moment, on peut lire « L’écriture m’emporte. Je réalise que j’écris autant pour moi que pour toi ». Et vous, pour qui écrivez-vous ?
Certainement autant pour moi que pour les lectrices et les lecteurs. Il faut que mon plaisir d’écriture devienne leur plaisir de lecture.
J’aime aussi beaucoup cette phrase, « Il m’apprenait beaucoup de choses, juste en racontant. Il n’essayait pas de me convaincre ». C’est comme vous, des livres instructifs, mais non pontifiants…
Je prends ça comme un vrai compliment. Effectivement, pour moi la littérature n’est pas là pour répondre, mais pour questionner. Je cite toujours à ce propos cette phrase de Kundera : « La sagesse du roman, c’est la sagesse de l’incertitude. »
Quel a été l’accueil au Pays Basque ?
Je suis allé à Bayonne en octobre pour une rencontre croisée avec Alfonso Zapico (Ceux qui construisent des ponts, Futuropolis, 2019) et le livre a été très bien accueilli. Les gens sur place étaient ravis que nos livres amènent un autre point de vue, que des auteurs extérieurs s’emparent de la question basque, de l’histoire du nationalisme et de l’ETA. Bref, ça s’est très bien passé !
Peut-on savoir de quoi traitera votre prochain livre ?
Ça risque de se passer au fin fond du Médoc, au milieu des vignes, où la richesse des grands propriétaires côtoie la misère des travailleurs saisonniers…
Pour aller plus loin
Éric Plamondon chez son éditeur québécois, Le Quartanier et chez Quidam, son éditeur français et au Livre de poche