Edyr Augusto sous toutes les facettes

Edyr Augusto - Casino Amazonie - Belém - Pssica - Moscow - Nid de vipères - Asphalte - Diniz Galhos

La sortie de Casino Amazonie en mars 2021 chez Asphalte, nous a donné envie d’en savoir plus sur Edyr Augusto. Nous avons donc interrogé l’auteur, Claire Duvivier et Estelle Durand, ses éditrices françaises, et Diniz Galhos, son traducteur.

Tout commence par Belém en 2013. Deuxième agglomération du nord du Brésil après Manaus, la capitale de l’État du Pará (2 millions et demi d’habitants) est connue comme la « Cité des Manguiers », mais Edyr Augusto n’est pas là pour faire guide touristique. Le livre débute avec la mort d’un coiffeur de la jet-set de Belém et explore les travers des classes supérieures de la ville – une des marques de fabrique de l’auteur.

L’année suivant sort Moscow. « Moscow », c’est le surnom de l’île de Mosqueiro, un lieu de loisirs et de villégiature pour de nombreux habitants de Belém, mais le livre ne laisse que peu de place au tourisme. Le roman est centré sur la voix et le parcours de Tinho Santos et de sa bande particulièrement violente.

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Avec Nid de vipères (2015), Edyr Augusto quitte Belém pour Castanhal, mais reste dans l’état du Para. Toujours aussi ramassé (150 pages format poche), c’est une histoire de vengeance à long terme, un livre qui fait mal.

En 2017 sort Pssica. Loin de l’ambiance vendue par les JO de Rio 2016, l’auteur nous brosse un portrait glaçant du Para. À son habitude, le livre est sec (l’auteur a une écriture très brève, heurtée, sans transition), violent, dur, très dur parfois… Mais comment faire autrement pour rendre compte de la réalité de cette région rongée par tous les trafics imaginables ?

Enfin, sort Casino Amazonie cette année. Retour à Belém avec un roman plus ample (enfin n’exagérons rien, presque 200 pages) dans lequel l’auteur met un écrivain en scène (serait-ce lui ?). Casino Amazonie est une grande fresque autour du poker, des casinos illégaux, des turpitudes et de la corruption, et Edyr Augusto développe une incroyable maitrise pour enchâsser les destins de ses différents personnages.

Nous pensions faire une interview de l’auteur à sa sortie, mais nous avons été devancés – comme souvent – par Christophe Laurent. Nous avons donc changé notre fusil d’épaule et demandé à ses éditrices françaises ce qui les liait à l’auteur, tout comme à son traducteur, et avons profité de son entremise pour poser trois questions à Edyr Augusto qui nous a longuement répondu – un grand merci à tous.

Les histoires, je n’ai qu’à me pencher pour les ramasser, puis les raconter. Belém, c’est mon terroir, ma maison, mon territoire.

Trois questions à Edyr Augusto

 

Le roman noir

« Un ami écrivain m’a dit un jour que les auteurs devaient toujours garder la réalité à l’œil, parce qu’elle rivalisait sans cesse avec la fiction. De nos jours, à la télévision, à moins que des Américains décident de faire exploser la Maison Blanche, le pont du Golden Gate ou quelque autre lieu symbolique, on ne nous présente jamais qu’une caméra qui tremble, qui gémit, à la poursuite de voyous, aux côtés de la police. Des reporters qui retransmettent les événements à bout de souffle. Nous sommes au cœur de l’action, et en même temps, dans le confort et la tranquillité de notre foyer. Il en va de même avec mes romans.

Toutes ces phrases brèves, le rythme, les mots plongent le lecteur au cœur de la scène, comme s’ils étaient en train d’abicorar, comme on dit en nheengatu (langue indigène d’Amazonie de la famille tupi-guarani, ndlr), en train d’épier les événements. Arrivé au bout d’un chapitre, on inspire un grand coup, et on se remet à lire parce qu’on a besoin de savoir ce qui se passe ensuite. Le roman noir conduit le lecteur dans ces lieux sombres et nocturnes où chuchotements et gestes infimes sont lourds de sens, où l’on doit découvrir quelque chose, et où l’auteur fait de nous un complice jusqu’à ce que tout soit élucidé.
Pour ma part, j’essaye de susciter des émotions. Je m’efforce de divertir, tout en dénonçant des problèmes propres à toutes les grandes métropoles mondiales. J’ai coutume de dire que je n’écris pas des romans policiers, mais que j’écris sur des personnages, pour la plupart normaux, mais qui, frappés par des événements extraordinaires, sont forcés de sortir de leur zone de confort pour agir. C’est la base même de mes romans. »

Une ville de deux millions et demi d’habitants. Une jungle de béton au milieu de la plus grande forêt tropicale au monde.

Edyr Augusto - Casino Amazonie - Belém - Pssica - Moscow - Nid de vipères - Asphalte - Points - Diniz GalhosBelém

« Je suis né à Belém. J’ai toujours vécu en centre-ville, parmi toutes sortes de gens. Chaque jour, en sortant de chez moi, je côtoie des maquereaux, des dealeurs, des prostituées, des drogués, des mendiants, des cireurs de chaussures, tout un monde. Les conversations se nouent. De temps en temps, certains me demandent une petite pièce. Tous me protègent dans ce quartier où je suis intouchable. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai pris la décision de parler de mon coin et de ceux qui l’habitent, semblables au reste de l’humanité. Mon idée était de montrer un décor différent. Une ville de deux millions et demi d’habitants. Une jungle de béton au milieu de la plus grande forêt tropicale au monde.
C’est sur la rencontre de ces deux réalités que j’écris. De ma terrasse, je peux voir la forêt tout en regardant Neymar jouer au sein du PSG sur Internet. Belém présente de violents contrastes entre richesse extrême et pauvreté absolue. Entre convoitise et misère. J’entends les phrases qui m’entourent, les mots, leur mélodie. Puis je change de milieu, et j’entends d’autres façons de parler. C’est une mine inépuisable. Les histoires, je n’ai qu’à me pencher pour les ramasser, puis les raconter. Belém, c’est mon terroir, ma maison, mon territoire. J’ai choisi d’y rester, plutôt que de m’envoler vers d’autres cieux. Et je n’ai toujours pas bougé d’ici. »

La playlist de Casino Amazonie d’Edyr Augusto :

 

Casino Amazonie

« Là encore, ce qui m’intéressait dans l’écriture de Casino Amazonie, c’était les personnages. Il est bien plus question de convoitise que d’amour, notamment dans le triangle des personnages principaux. J’ai entendu beaucoup d’histoires, de la bouche de nombreux amis et de personnes qui avaient travaillé dans des casinos illégaux, des salles de jeux toujours en activité à l’heure qu’il est. Notamment l’histoire de cette jeune fille qui se découvre un talent de joueuse et devient professionnelle. Les autres personnages se sont développés autour.

Quand j’écris, j’entre dans la tête de mes personnages. Je pense avec eux, comme eux, sans la moindre autocensure. Assez souvent, et c’est ce qu’il y a de mieux, les personnages décident d’eux-mêmes d’aller dans une direction que je n’avais pas prévue, et je dois alors décider de leur obéir ou non. Dans Casino Amazonie, ce fut le cas d’un des personnages, vers la fin, et cela m’a perturbé. Je ne comprenais pas d’où cela venait. J’ai repris le début du roman et, oui, il y avait bien là un indice, dirons-nous, qui justifiait ce retournement. J’ai alors décidé de suivre le personnage, et le dénouement en a découlé.

Quant au personnage de « l’écrivain », oui, on peut considérer que c’est moi. Pendant l’écriture de Casino Amazonie, je tenais en parallèle une chronique hebdomadaire dans un journal local. Plongé dans mon roman, je me suis un jour rendu compte de l’imminence de ma deadline. Je n’avais aucun sujet en tête pour ce papier. Je suis allé déjeuner dans un restaurant du centre-ville, non loin de chez moi. J’ai fait le même trajet que d’habitude, aller/retour, et je me suis dit qu’en y ajoutant une pincée de mon roman, ça me ferait ma chronique, et que ça pourrait intéresser les lecteurs. C’est bien ce qui s’est passé. On a reçu un flot de mails : les gens voulaient savoir si c’était vrai. Durant ce trajet banal, j’ai rencontré Bronco, qui contrôle le trafic de drogue dans cette partie de la ville, et il n’y a qu’à lire mon roman pour connaître la suite. Avec mon éditrice, nous avons hésité à inclure cette sorte de prologue. Et puis nous avons décidé de le garder. Mais on peut très bien lire Casino Amazonie sans savoir tout cela, et ne considérer ce personnage que comme un auteur fictif, tout simplement. »

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Claire Duvivier et Estelle Durand, éditrices chez Asphalte, à propos d’Edyr Augusto


« La découverte des textes d’Edyr Augusto, en 2012, par l’entremise de son agent de l’époque, Jordi Roca, a été une claque. Comme elle l’est encore aujourd’hui pour les lecteurs qui, la première fois, ouvrent l’un de ses romans. Par son propos (la violence extrême et multiforme qui gangrène son pays, le Brésil) et le traitement qu’il propose souvent, l’œil quasi sociologique, plus que psychologique, avec lequel il donne à voir les choses. Et son style surtout, qui claque, des mots qui martèlent, une cadence heurtée, hachée, qui ne fait que renforcer ce qu’il raconte.

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Ce coup de cœur nous a été transmis notamment par Diniz Galhos, lecteur du portugais pour la maison depuis ses débuts. Après de nombreux mauvais manuscrits, la rencontre s’est faite avec Belém et Moscow d’Edyr Augusto.
Publier Edyr nous a fait nous remettre en question, accepter de prendre un vrai virage « polar » avec nos publications (jusque-là, notre catalogue ne comprenait pas de polar au sens où on l’entend généralement, en dehors bien sûr de notre collection des Villes noires, qui sont des recueils de nouvelle). Et je me souviens qu’un texte comme Moscow, aussi court, aussi violent, nous a fait nous poser mille questions d’éditrices : dans quelles mesures un objet si mince peut-il trouver sa place au rayon nouveautés grand format ? Comment peut-il vivre une vie indépendante du roman Belém, plus « traditionnel » dans sa forme ?
Roman après roman, Edyr a continué de creuser son territoire littéraire, l’état du Para donc, au nord-est du Brésil, autour de la ville de Belém, qui est la sienne et qu’il connaît comme sa poche. Il ne nous a pas déçues, n’a pas varié son cap tout en se renouvelant, dans cette exploration de la violence et de la criminalité. Un vrai écrivain. »

Edyr Augusto distille ces atrocités en un minimum de pages, dans des phrases crues et directes, dans l’oralité de ceux qui les commettent et les subissent.

Diniz Galhos, traducteur

Diniz Galhos à propos d’Edyr Augusto


« Un de mes premiers chocs esthétiques a été Les Exclus d’Elfriede Jelinek, mise en scène de Stéphanie Loïk, où mon père jouait un ancien nazi. J’aime les textes qui portent cette violence sociale, politique, viscérale : à chaque roman d’Edyr Augusto, je suis servi.
Edyr Augusto met systématiquement le nez de ses lecteurs dans la boue humaine, sans fioritures, sans dissertations sur le « Mal », il les oblige à voir en face une réalité d’autant plus facile à occulter quand on vit de l’autre côté de l’Atlantique, dans un pays autrement plus sûr que le Brésil, à tout point de vue. Edyr Augusto distille ces atrocités en un minimum de pages, dans des phrases crues et directes, dans l’oralité de ceux qui les commettent et les subissent. Il pousse ses lecteurs à se demander quelle est la part de vérité et de fiction, dans un style qui n’appartient qu’à lui. Il me semble vital de faire entendre ce genre de voix dans le domaine francophone, et c’est pour moi un véritable honneur, un véritable bonheur d’y contribuer à mon modeste niveau de traducteur.

Les propos d’Edyr Augusto ont été traduits par Diniz Galhos – encore merci à lui.

Pour aller plus loin

Edyr Augusto chez Asphalte
Interview d’Edyr Augusto par Christophe Laurent