Le Festival du film policier quitte Beaune pour s’installer à Reims, cette 38ème édition fut 100% en ligne. À l’arrivée, une sacrément bonne programmation dont voici nos coups de cœur de la sélection.
Le jury du Festival du film policier a récompensé les deux films iraniens, La Loi de Téhéran (Grand Prix et Prix de la critique) et The slaughterhouse (Prix du jury), le français Boîte noire s’est vu remettre le Prix du public.
La Loi de Téhéran
Lorsqu’on pense à l’Iran, ce n’est pas forcément le trafic de drogue qui vient le premier à l’esprit. Et pourtant dans le pays il y a plus de 6,5 millions de consommateurs, à des degrés divers. Et ce, malgré une loi aussi claire qu’expéditive : la fabrication ou la possession, même d’une quantité minime, est passible de la peine de mort par pendaison. Que ce soit 6 grammes ou 50 kilos, la peine est la même, alors comme le disent les trafiquants, autant jouer gros.
Cette phrase, c’est le mantra de Nasser Khazad. L’homme est une légende pour tous les trafiquants et consommateurs du pays, une énigme et une plaie pour les policiers qui n’ont même pas idée de ce à quoi il ressemble. Toutes les enquêtes piétinent, alors Samad, flic d’une cinquantaine d’années à l’ambition de devenir commissaire, a une idée. Arrêter tous les petits consommateurs (une scène dantesque dans un bidonville où les gens vivent dans de gros tuyaux en béton d’évacuation d’eaux usées), grâce à eux remonter aux premiers dealers, et ainsi de suite, jusqu’à l’énigmatique Nasser Khazad.
Ce qui en France ou aux États-Unis serait un énième film traitant de drogue, prend toute sa dimension en Iran. L’introduction « bad luck » (on ne peut en dire plus) est excellente. Il y a des scènes impressionnantes (des rafles de plus de 500 personnes), des flics aux méthodes coercitives tout en étant surveillés par l’appareil judiciaire qui s’inquiète de la corruption et de « l’égarement » de drogue saisie. Le réalisateur, Saeed Roustayi, sait exploiter toutes les qualités de ses acteurs, que ce soit Samad (Peymân Maâdi croisé dans l’excellente série The Night of) ou Navid Mohammadzadeh en Nasser Khazad qui va passer par toute une palette d’émotion. Mais le film ne repose pas que sur eux et des « seconds rôles » aux camés raflés, tout est d’une grande justesse. Cela dure près de 2h15, sans que l’on voie le temps passer, et l’avant-dernière scène avec le petit gymnaste est d’une rare pureté.
Sortie au cinéma le 28 juillet.
The Slaughterhouse
The Slaughterhouse d’Abbas Amini est à nos yeux le meilleur film de ce festival. Rien que pour sa scène d’exposition : ces trois hommes dans un abattoir vide, où l’on ne comprend pas encore quels sont leurs rapports et ce qu’ils y font. Ensuite, par les personnages : ni flics, ni politiciens véreux, juste des hommes, pris dans le système iranien et qui tentent d’y survivre, chacun à leur manière. Les acteurs sont bluffants, que ce soit le gardien avec sa santé qui fait peine à voir, le patron de l’abattoir à l’énergie et la volonté impressionnantes, et le fils, en proie à sa conscience. Enfin, le décor – pas l’abattoir, même si une bonne partie du film s’y déroule, mais l’Iran et aussi cette oasis en en Irak.
L’histoire, nous direz-vous ? Les corps de trois hommes retrouvés dans une des chambres froides. Le propriétaire de l’abattoir ne sait pas ce qu’il s’est passé, veut éviter tout scandale et demande, enfin ordonne, au gardien de s’en débarrasser. Celui-ci ne sachant que et comment faire demande de l’aide à son fils et… ils décident d’enterrer les trois hommes au pied d’un mur de l’abattoir… autant dire sous leurs yeux pour avoir la culpabilité à portée de vue tous les jours. Les ennuis vont s’accentuer lorsque les enfants d’un des morts vont frapper à leur porte pour demander où leur père pourrait bien être…
Prochainement au cinéma
Boîte noire
Boîte noire est la grande révélation française de ce festival. Yann Gozlan livre un thriller paranoïaque de plus de deux heures qui vous colle au fauteuil. Le milieu dans lequel est situé le film est passionnant : tout se passe au BEA, le bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile. Et l’histoire a trait aux CVR (Cockpit Voice Recorder-enregistreur phonique), les enregistreurs de vol d’avions, plus connus sous le nom de « boîtes noires ».
Le film s’ouvre avec le crash du Dubaï-Paris dans les Alpes. Victor Pollock, responsable du département technique est dépêché sur place. Il récupère les boites noires, les ouvre et commence à les examiner dans la nuit. Le lendemain, il ne prend pas son poste, il est injoignable, introuvable. Le directeur fait donc appelle à Mathieu Vasseur, l’un des meilleurs éléments, appelons ça « une Oreille », pour continuer l’analyse. Vasseur va assez vite tiquer et on ne vous en dit pas plus. Sachez que vous allez plonger au cœur du milieu aéronautique (ce ne sont pas des tendres, les sommes en jeu sont monstrueuses), y rester collé pendant deux heures et apprendre pas mal de choses (mettre des images sur l’expression « faire parler les boites noires, par exemple). Pierre Niney, avec ses grandes lunettes, en « autiste acousticien » est excellent jusqu’à la fin et vous ne saurez pas s’il a raison ou non. Le scénario est robuste, la réalisation parfaite.
Et lorsque vous en sortirez, vous pourrez (re)lire l’excellent Keene en colère de Jim Waltzer et (re)voir Blow Out de Brian de Palma (outre le sujet, une des scènes où la caméra tourne sans cesse autour de Pierre Niney nous semble y être un excellent clin d’œil).
Sortie au cinéma le 8 septembre
Rounds
Comme s’en explique Stephan Komandarev, son réalisateur, Rounds a été préparé avec des policiers, après de nombreuses heures passées avec eux. Recueillir des histoires, des tranches de vies de nuit, des extraits de patrouille, pour dresser un film au plus près des flics de Sofia. 30 ans après la chute du mur de Berlin, quel est l’état de la société bulgare ? Cette plongée dans la nuit de 3 patrouilles de police en donne une petite idée, Komandarev voulant donner un instantané social, politique et moral – ce qu’est le polar à nos yeux.
De cette femme et ces cinq hommes, trois équipes qui ne se croiseront jamais durant cette nuit, émergent une palette de comportements humains. Le meilleur (le sauvetage d’un enfant, redonner sa dignité à un vieil homme rongé par Alzeihmer) côtoie le pire, comme le trafic de migrants, mais c’est surtout un sentiment de lassitude, de banalité, et d’impuissance qui prédomine. Dans cette société, les riches restent hors d’atteinte, et c’est aux policiers de payer leur équipement, ou de pousser leur voiture de patrouille lors d’une panne, l’essence étant rationnée.
Il y a de l’humour (les répliques fusent en voiture, les habituelles discussions de flics, dont celle d’ouverture vaut son pesant de cacahuètes), du désœuvrement, de l’écœurement, et des policiers qui tentent de trouver des solutions à leur niveau. Pas d’effets de lumière, ni de beaux plans, la caméra est à l’épaule ou posée à l’arrière de la voiture, renforçant la proximité avec les gens. Sous des aspects chiches, Rounds est grand film qui dit beaucoup. Une très belle réussite.
Prochainement au cinéma
Sons of Philadephia
Sons of Philadelphia débute par une conversation entre trois amis, un soir sur un toit, l’un d’eux s’éloigne, monte sur le rebord, saute, et tombe dans le vide. Il s’avère que l’immeuble n’est pas haut, rien de cassé, plus de peur que de mal. L’homme qui saute c’est Peter Flood, qui avec son cousin vit de mauvais coups, principalement dans le domaine du bâtiment, et gère la mafia irlandaise, comme leurs pères avant eux. Si Peter est plutôt du genre mutique, son cousin Michael est un jeune chien fou, qui mène leur affaire en versant de plus en plus dans la violence, jusqu’à, bien sûr, l’affrontement avec les rivaux italiens.
Pour son second long-métrage, Jérémie Guez a réuni les acteurs Matthias Schoenaerts et Joel Kinnaman pour un polar qui reprend les codes classiques du film de mafia, et de l’outsider qui souhaite sortir de ce modèle de violence. Mais en plus de la réalisation maîtrisée et efficace, il entrecoupe le récit d’images du passé de Peter, dans la maison familiale. Ce qui permet d’entrevoir les liens qu’il entretient avec la violence, comment celle-ci s’est immiscée dans son foyer et pourquoi il s’est construit comme un homme en fuite.
Actuellement au cinéma
Ulbolsyn
Ulbolsyn est à nos yeux un OVNI. Nous avouons ne pas connaître Adilkhan Yerzhanov, ni le Kazakhstan, et de fait n’avons pas réussi à classer ce film : réaliste, satirique, tragique, humoristique. Ce qui est sûr, c’est le regard certain sur les violences faites aux femmes et la place des femmes au Kazakhstan.
Ulbolsyn, c’est le nom de l’héroïne, elle vient de la ville, elle est bien habillée et tourne des pubs dénudée. Elle arrive à Karatas, un sombre bled, pour aller chercher le dossier scolaire d’Azhar, sa sœur, qu’elle compte bien sortir de là : « partir à l’étranger, faire des études, devenir indépendante dans la vie ». Sauf que pendant qu’elle est dans les bureaux, sa sœur se fait kidnapper. Rapidement le coupable est identifié, Urgen, le guérisseur du village, qui compte l’épouser, bien qu’elle n’ait que 16 ans. Le combat d’Ulbolsyn pour récupérer sa sœur va commencer…
Ce film est le portrait d’un pays où il ne fait pas bon être femme, pressée, venir de la ville et avoir des idées bien arrêtées sur sa condition. En une heure dix, Adilkhan Yerzhanov nous fait l’éloge de la ténacité, dans un film dont on ne sait lorsqu’on doit rire.
Prochainement au cinéma
Watch List
Tout commence avec un rappel historique : « Arrivé au pouvoir en 2016 Rodriguo Duerte décide d’en finir avec le trafic de drogue, déclenchant ainsi une vague d’exécutions sommaires, en dehors de tout cadre légal. Toute personne suspecte était abattue par des policiers ou des partisans d’une justice expéditive. On estime à plus de 27 000 le nombre victimes. » S’en suivent deux très courts extraits de discours de Duerte, avant que le film ne s’ouvre à Manille, avec une descente de police dans le district 120, c’est l’opération Tokhang, la chasse aux dealers, où ils arrêtent Arturo et Maria Ramon.
Ces deux anciens toxicos sont relâchés, doivent suivre un programme de réhabilitation, mais dès le lendemain, Arturo est assassiné alors qu’il partait travailler de nuit, sur son tuk-tuk. À ses pieds, une pancarte « Je suis un dealer, ne faites pas comme moi ».
Maria se retrouve seule, sans travail, à élever trois enfants. Sans argent, elle est expulsée de son logement et se retrouve entre quatre tôles dans un bidonville. À court d’espoir, elle se retourne vers le flic qui l’avait arrêtée et se propose d’être informatrice pour lui. Elle vient de mettre le doigt dans un sale engrenage.
Portrait d’une société plus encline à tuer les dealers présumés qu’à éradiquer la pauvreté, le film colle au plus près de la vie des habitants du district 120 dont l’une résume très bien les choses : « S’il y avait assez de travail, ça n’arriverait pas ». Inspiré de faits réels – mais là n’est pas la question tant la réalité du pays est dure – Watch List est particulièrement noir, même si un poil trop tragique, et la descente aux enfers de Maria est très bien menée.
Sortie en VOD le 11 juin
Every Breath You Take
Chez Milieu Hostile, nous ne sommes pas très « polar psychologique ». Mais les festivals étant là pour découvrir des choses vers lesquelles on n’irait pas spontanément, on a plongé dans ce film de Vaughn Stein.
Casey Affleck joue Phillip, un psychiatre renommé : belle clientèle et cours à l’université. Lors d’un colloque, il présente le cas d’une de ses patientes qu’il a traité d’une manière peu orthodoxe – en s’ouvrant à elle, ce qui est une des zones grises de son métier – mais les résultats sont là. Grande fierté. Sortant de sa conférence, il reçoit un coup de fil de celle-ci : sa meilleure amie vient de mourir. Philip a peur que ses tendances suicidaires réapparaissent, mais tout semble sous contrôle. Le soir même la police l’appelle, elle s’est défenestrée. Phillip est effondré, et c’est une pierre de plus à sa vie en déroute. En effet, quelques années plus tôt, son fils est mort dans un accident de voiture : couple brisé, adolescente rebelle, rien ne va… Quelques jours plus tard, débarque le frère de sa patiente…
Avec un synopsis assez classique, l’élément perturbateur qui va tout faire exploser, Vaughn Stein livre un film d’une heure quarante-cinq particulièrement happant. Le dosage entre thriller et émois familiaux est excellent, tout comme la distribution où Sam Claflin est particulièrement brillant. Tout se passe dans l’état de Washington, dont les décors sont magnifiques.
Sortie en VOD le 4 juin
Shorta
On reste dubitatifs à propos de Shorta. Il faut dire qu’en matière de films sur des policiers en banlieue, notre référence est Les Misérables de Ladj Ly. Mais reprenons depuis le début. Copenhague, de nos jours, une arrestation musclée (euphémisme) dans une banlieue et Talib, un adolescent noir, meurt quelques heures plus tard des suites de son arrestation. Pour éviter toute provocation, la police décide de ne plus intervenir dans la cité où se sont déroulés les faits. Mais deux flics vont s’y retrouver… Et les émeutes commencer, ainsi qu’une chasse à l’homme.
Shorta mêle différents registres, les scènes musclées « rouston baston », un côté très jeu vidéo « tu es plongé dans la cité et tout le monde veut te buter, sauras-tu en sortir ? » et quelques réflexions sur le monde qui nous entoure… Sauf qu’après deux heures de films, on se demande encore ce que voulaient dire Anders Ølholm et Frederik Louis Hviid, les scénaristes et réalisateurs… Alors, à vous de voir.
Sortie le 23 juin
Silk Road
Tiller Russell, le scénariste et réalisateur du film, avait suivi l’aventure de Ross Ulbricht qui, en 2011, crée une plateforme de vente en ligne de stupéfiants. Mais il lui faudra lire l’excellent papier du journaliste David Kushner dans Rolling Stone pour qu’il se lance dans ce film. Comme il le dit, Kushner avait brossé un papier au plus près de la personnalité d’Ulbricht, ce qui lui servira de base. L’histoire colle donc à ce jeune millenial visionnaire, qui a changé la donne de la guerre contre la drogue, en montant ce site où on pouvait acheter ce qu’on voulait en payant en bitcoins (hé hé, quand on vous dit visionnaire) et se faire livrer par la poste. En face de lui Rick Bowden, ex-agent de la DEA, qui va le traquer et le faire tomber. C’est un film carré, prévisible, lisse, un poil caricatural (notamment le personnage de Bowden, malgré une très bonne interprétation de Jason Clarke) mais qui se laisse regarder par le sujet abordé car collant au plus près d’Ulbricht.
Sortie le 25 juin 2021 sur Amazon Prime Video
Une pensée émue pour Jean-Louis Touchant qui, nous pensons, aurait bien aimé retrouver un festival à Reims…
Pour aller plus loin
L’ensemble de la sélection du Festival du film policier 2021 est à retrouver sur le site du festival
Tous nos coups de cœur des éditions précédentes du Festival du film policier sont à retrouver ici.