En février 2021 sortait chez Métailié Une affaire italienne. Ce quatrième volume mettant en scène De Luca se déroule en 1953, l’ex commissaire officie toujours, mais en sous-main eu égard à son passé fasciste.
Si on peut effectivement lire ce roman sans connaître les précédents livres de la série du commissaire De Luca, on regrette qu’il n’y ait pas un petit texte présentant le parcours du personnage et les différents romans dans lequel il apparaît. D’autant que c’est traduit par Serge Quadruppani, fin connaisseur de l’œuvre de Carlo Lucarelli et du polar italien en général.
La série du commissaire De Luca
Carlo Lucarelli écrit Carte Blanche en 1990 et L’Été trouble en 1991 et ces deux courts romans (140 pages chacun) sont parus en un seul volume à la Série Noire en 1999.
Carte Blanche se déroule en avril 1945. De Luca arrive à Bologne « Il ne faut plus m’appeler commandant, je ne fais plus partie de la Muti [section spéciale de la police politique à l’époque du fascisme, ndlr], je suis commissaire ».
Il va être en charge du cas Rehinard Vittorio, assassiné chez lui à coups de coupe-papier. Vittorio est plutôt riche, les femmes lui courent après, il organise de sacrées fêtes, mais surtout, il est membre du Parti Fasciste Républicain et proche du Ministre des Affaires Etrangères. De Luca va se retrouver en pleine embrouille politique, au milieu de deux camps aux buts opposés, mais le but est de retrouver le meurtrier, peu importe les conséquences. Parallèlement, il va chercher à effacer les stigmates de son passé, son rôle à la Muti les années précédentes.
L’Eté trouble se déroule quelques mois plus tard. De Luca a fui Bologne. Il se fait arrêter à pied, en pleine campagne, à Sant’Alberto. Il a de faux papiers. L’homme qui l’arrête, c’est le Brigadier Leonardi, Police Partisane, et il va vite reconnaître De Luca dont il a suivi une formation à Milan, en 1943. Leonardi voit l’arrivée de De Luca comme une opportunité et le fait chanter : soit il l’aide anonymement à résoudre une de ses enquêtes, soit il le dénonce comme ancien fasciste. Cette affaire « rurale » prendra vite des aspects politiques comme le résumera très bien Leonardi : « C’est sûr que c’est comique, dit-il. Moi, un partisan et un communiste je suis ici, en train d’étudier comment mettre au trou un ancien compagnon. En compagnie d’un fasciste. »
Via delle Oche, date de 1996 sort aussi en 1999.
Nous sommes en 1948, en pleine période d’élections et De Luca est de nouveau à Bologne. Affecté à la Brigade des mœurs, il enquête sur le suicide d’un souteneur de maison de passes. Suicide tellement bâclé qu’au premier coup d’œil on voit que c’est un meurtre. De Luca va s’emparer de l’affaire, se retrouver une fois de plus au milieu d’un jeu politique, et tenter de résoudre tout ça, car c’est son métier.
Une affaire italienne date de 2017 et se déroule fin 1953, début 1954. Bologne, la neige, le froid et débarque incognito De Luca, détaché d’on ne sait quelle officine, pour prêter main forte à la police locale au sujet du meurtre de l’épouse d’un professeur d’Université. Après une longue période de purgatoire, c’est le retour aux sources pour De Luca, qui retrouve « sa » ville, son adjoint Pugliese, une affaire dans laquelle « rien ne tient debout » et des embrouilles politiques.
Nous avions interviewé l’auteur il y a longtemps et il nous avait confié : « J’assemble désormais des idées pour un roman d’ambiance des années cinquante. Le commissaire De Luca pourra y raconter des mystères et des intrigues de l’Histoire italienne : les premiers massacres, les connections entre la politique, les intérêts économiques et les services secrets… Une occasion aussi de se raconter lui-même : que pense-t-il maintenant, que lui est-il arrivé après Via delle Oche, comment réagirait-il à un autre mystère et à la nécessité de faire d’autres compromis… »
Qui est le commissaire De Luca ?
De Luca est décrit comme le plus jeune commissaire de la police italienne, premier du concours de la promotion de 1928. Une carrière fulgurante liée à de très belles résolutions d’affaires, mais une adhésion au PNF, la Muti et une fiche au nom du dottore De Luca au Haut-commissariat pour l’Épuration.
S’en suivra une vie d’errances, un homme qui craindra toujours pour sa peau, mais peut-être, et surtout, craindra de perdre sa place dans la police, car il ne vit que pour ça. Il mènera des enquêtes « incognito », une vie cloitrée dans des chambres miteuses d’hôtel, des insomnies, de nombreux cafés, toujours le même imperméable et une quasi-absence de nourriture, car ça ne passe pas.
De son travail sous le fascisme, on ne saura rien dans ces quatre livres, et c’est ce qui fait tout le sel de cette saga. On sent évidemment une violente idée de se débarrasser de cette chemise noire, et la seule justification qu’il apportera toujours – rares sont les échanges avec d’autres à ce sujet – c’est qu’il était flic, qu’il faisait son boulot de flic, et qu’il ne s’intéresse pas à la politique.
Peut-être en saurons-nous plus lorsque son nouveau roman sera traduit car L’Inverno più nero, sorti chez Einaudi en cours d’année, se passe en 1944.
À lire aussi : Sous-préfet, pas commissaire ! – La série Rocco Schiavone d’Antonio Manzini
Des quidams dans l’Histoire
Si le contexte est extrêmement politique – et la période est dense est compliquée – la plupart des protagonistes des livres de Lucarelli sont des gens « simples » comme des prostituées ou des fermiers. Lucarelli est un prodige : en peu de pages (aucun des livres n’en fait plus de 200), il réussit à faire voir comme le cours de l’Histoire a influé sur la vie des hommes. Ici, point de Duce ou de hauts dignitaires, même s’il y aura quelques belles crapules, mais des gens qui se tentent de s’en sortir.
Les livres, qui ont toujours une unité de temps resserrée, sont des romans d’ambiance, d’atmosphère, où Lucarelli réussit à poser ses décors en peu de mots. Pas de longues descriptions, mais lorsque De Luca est seul dans sa chambre d’auberge, on la visualise parfaitement et on sent sa solitude d’homme rongé par son affaire à résoudre et qui ne cesse de reprendre ses dossiers, car le sommeil ne vient pas.
Le commissaire De Luca c’est tout cela et bien plus encore, et nous vous incitons à lire cette excellente série et à aller fouiller bibliothèques ou bouquinistes pour vous procurer L’Île de l’ange déchu et Guernica qui poursuivent cette étude historique.
La série De Luca dans l’ordre de sortie chronologique : Carte blanche, L’Été trouble, Via Delle Oche, Une affaire italienne.
Pour aller plus loin
Les trois premiers romans de la série du commissaire De Luca sont publiés à la Série Noire, le dernier, Une affaire italienne, est paru chez Métailié.
Le prochain volume de la série De Luca chez Einaudi, l’éditeur italien.
Un excellent article de Perle Abbrugiati : Histoire et folie dans le roman noir de Carlo Lucarelli. De De Luca à Guernica, publié dans La Revue du CAER.