Premier roman – noir – de Benoît Philippon, Cabossé se remarque par ses personnages et son style. Nous sommes partis à la rencontre de cet auteur plutôt secret. Voici une interview à propos de ce road trip français qui oscille entre Paris et le Massif Central.
Benoît Philippon, quand on cherche des infos sur vous sur le net, on ne trouve pas grand chose pourriez-vous nous parler de vous ?
Oui, je suis mal identifié, j’ai fait un film en anglais avec Forest Whitaker (Lullaby), dans la veine indé américaine, puis un film d’animation pour enfants (Mune), j’écris pour le cinéma, la télé, les série d’animation, et maintenant la Série Noire, mais du coup c’est dur de me mettre dans une catégorie. Ce qui est pour moi une liberté, mais pose aussi des limites si on cherche à me cataloguer.
J’ai beaucoup voyagé, grandi en Afrique, bouffé du comics en intraveineuse quand j’étais gosse, puis tous les films qui me passaient sous la main, du plus pointu au B movie en carton pâte, je suis fondu de musique, particulièrement du jazz, j’aime pas les frontières, j’aime pas qu’on me dise « C’est pas possible », j’aime la diversité de ton, de genre, d’univers.
Cabossé est votre « premier roman. Noir. » Comme c’est justement écrit en quatrième de couverture. Comment est-il né ?
L’envie de m’attaquer à un support que je n’avais pas encore expérimenté, la littérature, et surtout le besoin de créer sans avoir recours à la machinerie lourde du cinéma (financement et équipes), donc être totalement libre dans le fond et la forme. Je ne cherchais pas à l’éditer au début, j’avais juste un gros besoin de m’exprimer artistiquement. Pleinement et sans censure. Je sortais de Mune, qui est un film qui m’a pris beaucoup de temps et d’énergie, mais qui commençais à me cataloguer dans un univers enfant, et le nouveau film que je cherchais à monter, dans un registre plus noir/adulte, n’a pas trouvé les financements.
Donc Cabossé, c’est un peu mon coup de gueule. J’y ai mis tout ce que je ne peux pas tourner (pour l’instant) au cinéma et qui me tient à cœur : des personnages ultra caractérisés, un univers codifié noir, non réaliste, pop, voire pulp, des situations cinématographiques poussées à outrance, des dialogues très écrits, et un passage à la sulfateuse sur les thèmes qui me mettent en colère (le rapport dominant/avilissant de l’homme sur les femmes, la maltraitance des enfants, l’homophobie, toutes les formes d’intolérance et d’avilissement en général). D’où la Bête.
Roy a l’air d’un monstre, mais c’est le monde qui l’entoure qui est monstrueux.
Et puis l’histoire d’amour. Avant tout ! Parce que je suis un grand sentimental. Et parce que la colère n’a d’intérêt à creuser que si on parle d’apaisement. L’obscurité si on tend vers la lumière. Je ne suis pas pour me complaire dans le glauque. Au contraire, je prône l’optimisme
Comment est-il arrivé chez Gallimard ? Quelles sont vos relations avec Aurélien Masson ?
Complètement par hasard. A l’anniversaire d’une amie, j’ai rencontré Anne Vijoux qui travaille à la Blanche. N’y connaissant rien au monde de l’édition, je lui ai posé plein de questions : comment vous choisissez un manuscrit, quel est le travail de l’auteur avec l’éditeur etc… Quand j’ai fini Cabossé, je lui ai demandé si elle pouvait y jeter un œil, me dire si ça pouvait être publiable. A l’époque, j’étais simplement très content de l’avoir fini, et je pensais l’autoéditer pour mes potes et moi. Anne m’a rappelé, elle avait beaucoup aimé et l’a fait passer à Aurélien, qui a réagi très vite. On s’est vu avec Aurélien, il était très enthousiaste, m’a fait part de ce qu’il aimait, puis m’a fait des notes très précises et très précieuses pour une passe de réécriture, gommer les fioritures, alléger les digressions trop nombreuses, et, comme il disait toujours, « aller à l’os » . Venant du ciné, j’ai l’habitude de prendre en compte les notes et de retravailler la matière vite. Ce que j’ai fait. Aurélien était ravi, moi aussi. De là est né le début d’une grande aventure. On est déjà sur le suivant !
En parlant de roman noir, quels sont vos auteurs d’inspiration ?
Je suis beaucoup moins influencé par la littérature que par le cinéma qui est ma passion et mon métier. En attaquant Cabossé, mes inspirations étaient plutôt les frères Coen (Fargo ou Blood Simple) et leurs personnages et situations décalés et hauts en couleur, Tarantino bien sûr, pour les dials et le registre pulp (principalement True Romance d’ailleurs), pour les dialogues français Michel Audiard (Les Barbouzes) et surtout Bertrand Blier que je vénère. Et Sin City, évidemment. L’univers noir, cynique, très graphique et mythologique de Frank Milller, comment le transposer sans images ? Ça m’excitait bien !
Ce roman se passe dans la région de Clermont-Ferrand et le massif central, avec qui vous n’êtes pas très tendre (attention, un des membres de Milieu Hostile est de Clermont !), pourquoi donc ?
Pour qu’il n’y ai pas de malentendu, le Cantal est ma région préférée de France, j’y passe une partie de l’été tous les ans. C’est un véritable havre de paix. J’adoooooooore le Massif Central.
Mais quand je tire à vue sur Clermont, je tire aussi sur Paris, et sur la société en général, les hommes en particulier. Roy est clairement misanthrope, parce qu’il a pris cher depuis sa naissance. J’aime les univers de Tennesse Williams, quand il inverse les rapports moraux. The fugitive kind (L’homme à la peau de serpent) par exemple montre qu’un village entier (la société dans ce qu’elle a de micro) peut faire sa propre loi, entrainée par quelques crétins haineux et s’en prendre à celui considéré comme le rebut, l’outcast, qui finalement a des valeurs bien plus louables que cette morale soit disant bien pensante. On retrouve le même genre de processus dans The Chase (La poursuite impitoyable), un de mes films préférés, et dans tous les westerns : le lonesome cow boy versus le marshall véreux, le tenancier du saloon crapule, les crocs morts pourris.
Mais comme dans Cabossé, il y a les êtres lumineux au sein de cette société gangrénée : la pute au grand cœur, la bibliothécaire bienveillante, l’inénarrable Berthe « Mamie Luger », les adolescents boxeurs, rejetés par cette fameuse société, et bien sûr les pères de substitutions René et Bobby.
De plus, quand on attaque un road movie en France, on est vite coincé. Roy et Guillemette roulent trois jours, ils devraient déjà être en Turquie. On est pas aux US où on peut les perdre en Arizona. Et comme je voulais jouer avec les codes du western, je cherchais une zone de France bien déserte. Le Massif Central s’y prête. Les hivers y sont rudes et effectivement la promesse d’avenir pas évidente.
Mais une fois de plus, Roy dézingue la société en général.
Justement, comment est né ce personnage de Roy ? et parallèlement Guillemette…
J’ai grandi avec les comics, j’adore les personnages sur-caractérisés, les outcasts rugueux, le mot tranchant, le physique golgotesque, voire monstrueux. Roy est né vilain petit canard, grandit en Frankenstein, nourrit une bête de colère en lui, c’est Hulk, il a l’impression que le monde le rejette, ce qui n’est pas faux, vu sa gueule et son CV. Bref, je voulais un mec en colère contre la société et qui puisse l’exprimer de façon fleurie, dans des situations outrancières, pour illustrer cette colère et surtout alimenter le débat. En ça, c’est un conte noir, métaphorique, d’où les références multiples à la mythologie.
Guillemette devait être l’opposée. Lui est noir et indestructible, elle est lumineuse et fragile. En apparence. Car les deux vont se révéler au cours du roman beaucoup plus complexes et riches d’aspérité. Et complémentaires. Quand l’un défaille, l’autre est là pour lui.
Tout le roman est construit comme un jeu de dévoilement. Quand on voit Roy on se dit : caricature de boxeur, porte flingue, gueule cassée décérébrée. Pourtant j’utilise ce personnage pour parler de développement personnel, de lâcher prise, de résilience, de tolérance, d’apaisement. Histoire d’essayer de pousser une réflexion sur des sujets qui me paraissent importants, mais formellement, en jouant avec les clichés de la culture pop. Ce qui m’éclate bien
La figure qui revient le plus souvent à la lecture des chroniques de ce roman est La Belle et la bête… j’ai plus pensé à Marv de Sin City… et vous ?
Oui, Marv est le premier personnage que j’avais en tête en attaquant l’écriture. Je suis aussi un fondu de Tom Waits, son univers musical déglingué, ses lyrics pleines d’esprit et de sarcasmes. Roy, c’est Tom Waits shooté aux rayons gamma. Il y a aussi du Hulk, encore plus du Wolverine, à l’époque où je lisais Strange, il s’appelait encore Serval, il était un mélange de colère, de violence, très chatouilleux, mais aussi de sagesse. Je m’y identifiais parce que je suis tout l’opposé, je suis plutôt Peter Parker, sans les pouvoirs d’araignée (damn it !), donc jouer avec la figure du colosse sensible me plaisait.
Le livre tourne autour de la boxe, vous pratiquez ?
Pas du tout. De la même façon, je n’y connais rien en flingue, je ne fréquente pas de truands etc… L’avantage de l’écriture : on peut se projeter ou fantasmer des personnages et des situations qu’on ne vivra jamais. C’est très stimulant. Et cathartique.
Le livre est ponctué de personnages forts (attachants ou non), comment construisez-vous vos personnages ?
Le plus important pour moi était Roy. Jouer sur l’iconographie du mâle surpuissant qu’on nous vend à longueur de journée (dans les films d’actions, l’imagerie hip hop bling bling, les jeux vidéos etc…), et montrer sa sensibilité, sa part féminine ! Il a appris le cul avec une pute qui lui explique le respect de la femme et de son plaisir, il a été élevé par deux pédés, alors qu’on pourrait penser qu’il verserait vers la testostérone bourrine, voire l’homophobie. A chaque fois, ce qui m’intéresse c’est de renverser les clichés et de faire réfléchir. Roy pourrait paraître monstrueux, en vérité il véhicule de vraies belles valeurs, c’est pour ça que Guillemette tombe amoureuse de lui.
Mes autres personnages sont construits toujours sur le même principe : ne pas se fier aux apparences. René est un pruneau séché chinois aux épaules en carton, gay, et riche d’une humanité et d’une sagesse qui va remettre toute la vie de Roy en perspective. Rita, la pute fellinienne, est l’anti-glamour féminin, pourtant elle va apprendre à Roy l’art de la sensualité et du respect du plaisir féminin etc…
En fait, c’est sur les personnages positifs que jouer avec la caricature est le plus intéressant. Le couple de Bobby et René est en ça pour moi fondamental, dans cet univers très cliché, noir, d’homme de main et de boxeur. Ce couple illustre le rejet par trois grincheux qui veulent casser du pédé au démonte pneu parce que ça les gêne que des gens « différents » s’aiment. Alors qu’il y a encore des énervés qui sont capables de descendre dans la rue pour gueuler contre le mariage gay (qui ne leur ôte aucun droit ! Simplement ça les gêne), l’histoire de René et Bobby pour moi, illustre cette aberration. De façon… extrême. Mais au moins, c’est clair.
Ce qui marque donc, ce sont vos personnages, mais aussi votre style, comment l’avez-vous travaillé ?
Je ne l’ai pas travaillé. Je suis resté très libre sur la forme. J’ai laissé ma plume écrire sans chercher à la formater. Un peu comme un musicien improvise j’imagine. Cette liberté m’a apportée beaucoup de jubilation. Je pense que c’est ça qui transparaît dans mon style du coup. Appelons ça le lâcher prise
Aviez-vous une idée de plan ou comme vos personnages, avez-vous suivi la route ?
J’ai embarqué sur la route avec eux et j’ai laissé Roy me guider.
Pour être plus précis, j’ai écrit le roman comme on tourne un film, dans le désordre, surtout pour les flashbacks, que j’écrivais de façon indépendante, sur des fichiers séparés. Comme un chutier sur un banc de montage, j’ai ensuite monté mon histoire. La seule chose que je savais c’est que je voulais qu’ils rencontrent Lili. J’ai écrit la fin alors que j’avais que les 100 premières pages du bouquin.
Et – avertissement aux lecteurs, à ne lire qu’après le livre – la fin est particulièrement ouverte… Le lecteur se fera son idée, mais vous, comment envisagez-vous la fin pour Roy et Guillemette ?
La fin est déjà une victoire. Quoiqu’il arrive. Sans entrer dans le côté guimauve, ils sont heureux tous les trois. Le mot de la fin conclut tout le parcours initiatique d’un personnage en colère, seul, rejeté de tous : « Je suis bien là ». Il est heureux, complet, dans le temps présent.
Maintenant la question de savoir s’ils vont se faire choper par les flics, s’il finira en taule, je suis un éternel optimiste. Roy est un super-héros, il s’en tirera toujours…
Ce livre était votre première incursion dans le polar, il sort juste, mais avez-vous idée de recommencer ?
C’est déjà fait, je suis en plein dans l’histoire de Mamie Luger. Berthe est le personnage préféré de tout le monde (hors Roy et Guillemette) et son histoire de Barbe bleue armée d’un Luger était trop excitante pour ne pas s’en emparer. Aurélien m’a incité à foncer. C’est ce que j’ai fait.
Merci bien
Pour aller plus loin
La page de son éditeur.