Asphalte est une maison d’édition centrée sur les littératures urbaines, la contre-culture, le voyage et, ce qui nous intéresse aujourd’hui, le roman noir. Nous avons rencontré les deux fondatrices pour faire un point après six ans de publications.
En général, on ne connaît pas toujours ceux – en l’occurrence celles – qui se cachent derrière le nom d’une maison d’édition et, malgré vos six ans, je ne pense pas que tout le monde vous connaisse encore. Pourriez-vous nous dire quelques mots ? une séance de rattrapage ?
Estelle Durand : Une séance de rattrapage, OK ! Asphalte ce sont Claire Duvivier et Estelle Durand, qui se sont rencontrées en dernière année d’études, en DESS d’édition (mais ça n’existe plus, on dit master 2 édition, maintenant) à la Sorbonne. Mais l’équipe s’est agrandie. Depuis quelques mois nous a rejoint Angélique Franco-Girard, notre ancienne représentante Volumen pour Paris, qui s’occupe de nos relations libraires et qui connaît parfaitement notre catalogue et l’esprit qui flotte sur la maison. Et l’esprit Asphalte, pour le dire brièvement, c’est un mélange de textes urbains, de musique, de personnages marginaux, de contre-cultures, de voyage, de voix fortes et atypiques, et de romans-noirs-mais-pas-que.
Est-ce important pour vous de parler de chiffres ? Six ans, ça fait combien de livres ? de pages ? d’auteurs ? de traducteurs ? de playlists ?
ED : Merci, Christophe, de me donner l’occasion de faire tous ces calculs. C’est vrai qu’une éditrice, ça doit être autant lettres que chiffres, on l’oublie trop souvent.
Six ans, ça fait 58 livres… et autant de playlists. On atteindra les 60 avec Le Système nerveux, en juin, un Américain bien barré et musclé, la suite du Système D que vous pourrez à ce moment-là redécouvrir en poche chez Pocket.
Mais de manière générale, on suit nos auteurs, c’est quelque chose qui nous tient à cœur, donc six ans, cela fait 45 auteurs (je ne compte que les anthologistes des villes noires, pas tous les contributeurs, là on exploserait le compteur.) Et surtout, en tant qu’éditrice de littérature étrangère majoritairement, je tiens à ce dernier chiffre : cela fait 29 traducteurs, sans compter nos envoyés spéciaux, nos lecteurs extérieurs qui sont aussi on ne peut plus importants dans la vie de la maison.
J’ai le souvenir d’avoir fait un papier pour le lancement de votre maison, six ans plus tard rien n’a changé, c’est toujours la même exigence de qualité. Pensiez-vous être là aujourd’hui ?
ED : Merci pour ce beau compliment. Personnellement, je ne me projetais pas aussi loin, j’ai réfléchi surtout en termes de « une étape après l’autre » dans la phase de lancement de la maison, puis « un livre après l’autre », puis « une année après l’autre ». Maintenant que la maison est un peu plus installée, oui, on se projette davantage. Mais de toute façon, un éditeur travaille toujours dans une temporalité déformée. Là on va sortir Buenos Aires Noir en mai, mais on parle aux libraires et aux représentants de notre rentrée littéraire de septembre, et on est en train d’acquérir les droits de livres à paraître en 2017. Sans parler des cessions poches, de ces titres, qui donneront naissance à de nouveaux livres en 2018…
Quels ont été les évènements marquants de ce sextennat ?
ED : La signature avec Volumen avant la parution des premiers titres ; la parution du premier roman ; la parution de la première ville noire (Paris Noir) ; la première cession poche (avec Folio policier) ; la publication de notre premier roman français (Prague, faubourgs est de Timothée Demeillers) ; le premier prix reçu par un livre Asphalte (Bélem a reçu le prix de la traduction de l’université Lyon-III) ; le premier coup de cœur libraire, le premier article de presse ; la première fois qu’un titre étranger nous a échappé aussi… la première rentrée littéraire ; le premier salon/festival ; les premières rencontres avec chaque auteur ; la première réimpression… ce métier est rempli de premières fois.
Repartez-vous pour un nouveau ? Si oui dans quelle optique ?
ED : On garde le cap, on ne se perd pas de vue, mais on va plus loin, dans des contrées différentes, avec des voix différentes sans se renier, sans se métamorphoser non plus.
Vous avez eu l’idée originale de mettre une playlist à la fin des romans. Après six ans, quel est le retour ?
ED : Le retour est plutôt positif. En salons et festivals, on rencontre souvent des lecteurs, mais aussi des libraires et des chroniqueurs, qui nous disent écouter ces morceaux choisis par l’auteur pendant ou après leur lecture. C’est chouette que l’expérience soit vécue ainsi à fond. D’autres ont parfois choisi un bouquin Asphalte non sur sa 4e de couv mais d’après sa playlist, qui leur ont suffisamment parlé pour les décider à acheter le livre. Les auteurs adorent se livrer à cet exercice aussi.
En six ans, de nombreux textes en langue espagnole ont fleuri dans votre catalogue, je n’ai pas le souvenir que vous parliez espagnol il y a six ans… et depuis ? (moi toujours pas)
Claire Duvivier : Rares sont les éditeurs de littérature étrangère qui parlent toutes les langues qu’ils font traduire, non ? Ça laisserait pas mal d’aires linguistiques de côté… Je me suis effectivement mise à l’espagnol, eh oui, surtout par goût, même si, effectivement, ça aide pour tisser des liens professionnels… Après, pour le travail éditorial proprement dit, connaître ou non la langue ne change rien à notre façon de travailler avec nos traducteurs.
Vous travaillez avec Akashic Books dont vous traduisez les recueils de nouvelles noires centrées autour d’une ville, mais aussi en proposant des inédits (Paris, Bruxelles)… comment s’est nouée cette relation ? Quel est le retour du public dans un pays où la nouvelle n’a pas bonne presse ? Et que vous a apporté le passage en poche chez Folio ?
CD : Nous travaillons avec Akashic depuis les débuts d’Asphalte puisque Paris Noir a été notre troisième titre publié… La relation se passe toujours aussi bien et elle a même évolué puisque désormais, les recueils que nous avons initiés (Marseille Noir et Bruxelles Noir) sont traduits en anglais pour le marché états-unien… Nous publions également, de chez eux, la trilogie Dewey Decimal dont le deuxième volume, Le Système nerveux, va sortir au mois de juin. Bref, nous avons beaucoup d’atomes crochus d’un point de vue littéraire…
Pour ce qui est de la réception du public en France pour la collection « Asphalte Noir », je pense que le concept a séduit de différentes façons : il touche à la fois les lecteurs de polar curieux de découvrir de nouveaux horizons, les lecteurs voyageurs désireux de découvrir leur prochaine destination par les regards des auteurs locaux, les lecteurs anciens, actuels ou futurs expatriés qui veulent réexplorer leur ville d’adoption, ou les lecteurs habitués de telle ou telle destination pour les mêmes raisons… Il y a des tas d’approches différentes pour cette collection, j’adore la présenter dans les salons… Quant au passage en poche, il a permis d’élargir un peu plus son lectorat.
La question tarte à la crème : De quels livres êtes-vous les plus fières ?
CD : Moi, mon préféré, c’est toujours celui qui vient de sortir.
Et que nous proposez-vous de beau pour cette année anniversaire ?
CD : Les anniversaires, c’est tous les ans, non ?
En l’occurrence pour 2016, on rend hommage à Buenos Aires sous toutes ses facettes : littérature classique avec un recueil inédit de Roberto Arlt, littérature noire avec le Buenos Aires Noir d’Ernesto Mallo, littérature contemporaine avec un roman foldingue, Te quiero de J.P. Zooey…
Et au second semestre, un nouveau roman français (youpi !), le retour de deux jeunes auteur sud-américains bien connus de nos services, et la première publication chez Asphalte d’un grand monsieur du polar catalan. Teasing, teasing !
Tant de chiens de Boris Quercia vient de gagner le Grand prix du roman noir étranger du festival de Beaune 2016, ce n’est pas le premier prix pour vous, mais ça fait quel effet ?
CD : Une grande joie ! D’autant que le jury est trié sur le volet.
Votre site internet n’a pas trop bougé ces dernières années, ne seriez-vous pas très intéressées par le net ?
CD : Non, ça ne m’intéresse pas des masses, d’ailleurs je réponds à cette interview depuis mon Minitel…
Blague à part, même si le papier peint et la moquette n’ont pas changé, le site Internet de la maison est à jour, toutes les parutions y figurent, ainsi que les playlists, les pages auteurs, les pages traducteurs, l’interface manuscrits… Sur le blog, vous trouverez les événements, rencontres, tournées de nos auteurs… Pour des nouvelles plus fréquentes, vous pouvez aussi nous trouver sur la page Facebook d’Asphalte ou sur Twitter, où nous relayons quotidiennement toute la presse et les coups de cœur libraires…
Merci !
Pour aller plus loin
Le site Asphalte
Le site Akashic Books