Louées soient les éditions Allia qui ont décidé il y a quelques mois de publier Descente à Valdez d’Harry Crews et Folio Policier qui remet à l’honneur au mois de juin Le Faucon va mourir et Body.
Faisons un peu d’histoire : Années 90, Patrick Raynal (loué soit-il aussi), débarque à la Série Noire et entreprend la traduction de nombreux auteurs américains. Parmi eux il y a James Crumley et Harry Crews. Et si l’on regarde ces deux, on constate que, 40 ans après leurs premières publications, aucun de leurs textes n’a pris une ride. Il nous faudra revenir sur Crumley, dont les éditions Gallmeister reprennent la publication, dans de nouvelles traductions de Jacques Mailhos, superbement illustrées par différentes pointures de la BD. Mais aujourd’hui, c’est Harry Crews.
Alors, c’est qui Harry Crews ? Comme souvent, un auteur c’est d’abord un lieu. Ici, Bacon County, en Géorgie, où l’auteur nait dans les années 1930 et qui le marquera profondément, et imprégnera la plupart de ses écrits. Pour en connaître plus de ses périples et multiples expériences, il y a sa folle autobiographie Des Mules et des hommes (Gallimard, traduction Philippe Garnier), mais aussi LE livre de Maxime Lachaud, Harry Crews, un maître du grotesque (Editions K-ïnite), thèse sur l’auteur transformée en un excellent et exhaustif essai qui force le respect.
Crews publie son premier roman en 1968, Le chanteur de Gospel (Gallimard, traduction de Nicolas Richard). Et le monde découvre cet auteur du Sud, baroque, aux personnages qui tiennent parfaitement dans une phrase de Joseph Incardona « L’homme a cette capacité d’absolu qui, même dans les évènements en apparence les plus ridicules, touche au tragique et, parfois, à la grâce ».
Il y a une empathie d’Harry Crews pour ces personnages déclassés, délaissés, oubliés. Vous croiserez donc une voix magnifique qui revient à Enigma en Géorgie (Le chanteur de Gospel), un tenancier d’atelier de sellerie automobile qui se rêve Maître fauconnier (Le faucon va mourir, Gallimard, trad F. Kerline), un homme prêt à manger une voiture en direct à la télévision (Car, Gallimard, trad. M. Rambaud), un à la mâchoire de verre, condamné à se mettre KO tout seul dans Le roi du KO (Gallimard, traduction de Nicolas Richard) et bien d’autres encore, car l’univers d’Harry Crews regorge de gens aussi atypiques qu’attachants.
En traduisant Descente à Valdez(trad. Bruno Charoy), les éditions Allia nous montrent une facette inconnue de l’auteur en France. 1975, Crews pige à Playboy qui l’envoie en Alaska écrire un papier sur la construction très controversée (euphémisme) de l’oléoduc trans-Alaska. Reflet de l’époque, nous sommes en plein journalisme Gonzo. Aujourd’hui et en ces temps de mise en avant de la non fiction, en témoigne Tokyo Vice chez Marchialy, par exemple, il n’est pas anodin qu’Allia exhume ce papier. Le texte est court, nous n’en dirons pas plus. Nous retrouvons l’auteur fidèle à lui-même avec, entre autres, de la vodka à la chaine, un tatouage retrouvé sur lui après un black out… mais aussi un Crews « emprunté », inhabituel. Le style est journalistique avec comme écueil ces longueurs de certaines descriptions techniques, avec, quand même, quelques fulgurances dignes de ses romans qui nous font dire, qu’il serait bon de s’en refaire l’intégrale.
A l’époque, il y avait deux sortes de lecteurs : les fans d’Harry Crews (un club très fermé certainement à mettre en rapport aujourd’hui avec celui de Tim Dorsey chez Rivages), et les autres. Qu’en est-il aujourd’hui ? A vous de nous le dire en espérant qu’avec ces nouvelles publications, à l’instar de Crumley chez Gallmeister cité plus haut, son lectorat puisse s’agrandir et se modifier.
Pour aller plus loin
Body et Le faucon va mourir à paraître le 15 Juin chez Folio.
Descente à Valdez chez Allia.
L’ouvrage de Maxime Lachaud, Harry Crews, un maître du grotesque chez K-Inite.