Tout commence par Simon Brenner, personnage sorti de l’imagination de l’auteur autrichien Wolf Haas, et qui n’en finit pas de séduire.
Depuis 1996, c’est au total huit livres, quatre films mais aussi diverses adaptations radiophoniques et théâtrales qui suivent les aventures de ce personnage. Et chaque œuvre est un succès, non seulement en Autriche mais aussi en Allemagne. Pourtant, nous sommes bien loin d’une grosse machinerie commerciale vide de sens et d’un personnage devenu insupportable. Au contraire, il y a tout à gagner à connaître Brenner, et sans scrupules.
Car la série Simon Brenner, n’est pas une suite de romans policiers classiques, le personnage étant seulement un ancien flic, il n’y a ni commissariat, ni collègues, ni enquêtes et arrestations et les rares poursuites se font plus à mobylette qu’autre chose. Outre, le caractère de son personnage principal, ce qui fait le charme des romans de Wolf Haas, est qu’ils ne reposent que sur la récurrence de Simon Brenner, alors que le décor, les autres personnages, et l’histoire sont renouvelés à chaque opus – même s’il existe quelques connexions entre différentes aventures.
Et, cerise sur le gâteau, tout ceci est porté par un humour fin, léger et particulièrement subtil. Une certaine folie parcourt l’œuvre de Wolf Haas, tout comme celle de Heinrich Steinfest, serait-ce un trait propre au polar autrichien ? Nous manquons de références et de recul pour nous prononcer… peut-être les Fondu au noir, qui ne cessent d’étudier les caractéristiques du genre pourraient-ils nous éclairer.
« Les choses insignifiantes avaient le don de le fasciner. C’était une tendance pratiquement pathologique. À chacun sa croix. »
Les pérégrinations de Brenner
Le fil narratif classique que Wolf Haas aurait pu dérouler est que son personnage devienne un privé, mais c’est mal connaître l’auteur qui étonne par son originalité constante et que nous pourrions parodier par un « tu pourrais croire, lecteur, que Brenner deviendrait détective privé, il n’en est rien ». Les romans de Wolf Haas suivent les pérégrinations de Simon Brenner, ex-flic reconverti en détective privé, puis ambulancier, puis tout autre job pour survivre, jusqu’à ne plus rien faire et essayer de survivre.
Car sous ses airs complètement largués, Brenner est un sacré tenace, quand il a une mission, il s’y tient, dusse-t-il y laisser des plumes (et dieu sait qu’il en perd !). Véritable électron libre, Brenner arpente l’Autriche au gré du vent, menant ses propres enquêtes par moment – et ce sans aucune capacité juridique – ou se retrouvant rattrapé par diverses histoires. Les enquêtes qu’il mène finissent toujours par le dépasser, et bien souvent il s’est retrouvé à les conduire par un pur hasard, et sans vraiment le vouloir. Simon Brenner n’est en rien un héros. Sûrement un loser la plupart du temps, mais un loser très attachant.
Du style
Au-delà de son personnage phare, Wolf Haas a réussi à imposer un style assez attrayant. Par un narrateur omniscient, particulièrement bavard et prompt à la digression, le lecteur plonge dans les aventures de Brenner. Le narrateur devient un vrai personnage à part entière, que l’on peut facilement associer à Wolf Haas lui-même. Toujours enclin à donner son avis et faire ses commentaires, à interpeller le lecteur il donne un effet comique, décalé. À l’instar de cette citation, où le « tu » désigne le lecteur :
« Brenner avait trop souvent entendu cette phrase à l’école de police : pour lui, elle ne pouvait donc pas être vraie. C’est cela, l’esprit de contradiction. Et il en avait vu, des choses à l’école de police. Mais glissons là-dessus, sinon tu risques de me faire un infarctus. »
Ces interpellations « C’est simple, tu vas voir… », « Tu me croiras si tu veux… » reviennent régulièrement et donnent ce ton si particulier à l’œuvre de l’auteur. Wolf Haas s’amuse beaucoup lorsqu’il écrit, se mettant des petites contraintes oulipiennes qui ne frappent pas le lecteur au premier abord, mais qui s’avèrent très subtiles lorsqu’on les remarque. Par exemple, l’auteur adore prendre un thème en début de chapitre (l’odeur, le babyfoot, l’apéritif…) et décliner tout le chapitre autour de ce thème (comparaisons, analogies…).
Im Kino
Pour notre plus grand plaisir, Simon Brenner est aussi au cinéma, et c’est encore plus réjouissant. D’une part, car Josef Hader, l’acteur qui incarne le personnage est parfait dans le rôle, avec son air rêveur et ses yeux de chien battu. Et d’autre part, car la proposition d’adaptation cinématographique n’est pas là pour faire de Simon Brenner un produit de consommation et démultiplier les recettes, mais au contraire pour créer une œuvre à part entière, qui diffère du roman.
Les quatre films, réalisés entre 2000 et 2015, reprennent tous la même équipe : Wolfgang Murnberger à la réalisation, Josef Hader dans le rôle principal, et Wolf Haas à l’écriture du scénario. Ce trio scénaristique est des plus efficaces, et fort heureusement pour nous spectateurs, l’auteur n’a pas peur de s’éloigner du roman afin de construire une œuvre nouvelle, bien qu’inspirée de celui-ci. Par exemple, dans l’adaptation de Silentium !, le personnage de Berti, acolyte de Brenner, a été ajouté, il prend la place du narrateur du roman, qui se devait d’être incarné dans le film afin d’apporter une touche de légèreté.
Enfin, pour les trois collaborateurs, l’adaptation est l’occasion d’exploiter toutes les capacités du personnage de Brenner, en accentuant tantôt son aspect sérieux, comme dans Silentium !, qui est volontairement plus sombre, ou bien son caractère comique. Les quatre films sont ainsi volontairement différents les uns des autres, préférant chacun un registre, et une caractéristique du personnage. Là est tout l’intérêt de la collaboration entre Josef Hader, Wolgang Murnberger et Wolf Haas, de ne pas simplement présenter une transposition des romans de Wolf Haas, mais de chercher à enrichir l’histoire et le personnage de Brenner, à travers un autre langage…
…Ce qui nous donne, spectateurs et lecteurs, de nouvelles raisons de côtoyer l’inclassable Simon Brenner.
Liste des romans :
Auferstehung der Toten, 1996. Publication française : Quitter Zell, 2007.
Der Knochenmann, 1997
Komm, süßer Tod, 1998. Publication française : Vienne, la mort, 2002.
Ausgebremst, 1998
Silentium!, 1999. Publication française : Silentium !, 2004.
Wie die Tiere, 2001
Das ewige Leben, 2003
Das Wetter vor 15 Jahren, 2006
Der Brenner und der liebe Gott, 2009
Die Gans im Gegenteil, 2010
Verteidigung der Missionarsstellung, 2012
Brennerova, 2014
Liste des films :
Komm, süßer Tod – Vienne la mort, 2000. Non sorti en France.
Silentium, réalisé en 2004, sorti en 2007 en France. Grand prix du festival de Cognac.
Der Knochenmann – Bienvenue à Cadavre-les-bains, 2009.
Das ewige Leben – La Vie éternelle, sorti en 2015 en Autriche, prix Sang Neuf au Festival du film policier de Beaune, mais pas de sortie française.
Cet article a été rédigé par Flora Vernaton et Christophe Dupuis. Merci à Léna Schmidt pour ses traductions.
Pour aller plus loin
Les romans de Wolf Haas chez Rivages.
Pour les germanophones, il y a cette interview commune de Wolf Haas, Josef Hader et Wolfgang Murnberger.