En 2018, sort Sharp Objects, mini-série HBO, adaptée du premier roman de Gillian Flynn, Sur ma peau. On y suit une journaliste envoyée dans la ville de son enfance pour couvrir l’enquête sur la disparition d’adolescentes et se confronter aux traumas de son passé.
Wind Gap, charmante ville du Missouri dans le Sud des États-Unis, est plongée dans la chaleur accablante de l’été. La ville sue et vit au ralenti, bien que l’élevage et l’abattoir de cochons continuent leur tâche et que le festival annuel en hommage à une figure confédérée se prépare. Pour combler l’ennui, des adolescentes désœuvrées parcourent toute la ville en patin à roulettes, alors qu’une fille du même âge vient de disparaître et qu’une autre a été retrouvée morte dans les bois il y a peu.
L’envers du décor de Wind Gap, c’est ce que propose d’explorer Sharp Objects, la fascinante série dirigée par Marti Noxon et réalisée par le Québécois Jean-Marc Vallée. C’est à travers le personnage de Camille Preaker que cette radioscopie se fait. Journaliste d’une trentaine d’années, la jeune femme originaire de Wind Gap est envoyée par son rédacteur en chef enquêter sur le meurtre et la disparition qui bousculent la ville. Elle retourne dans la ville de son enfance, malgré elle, des années après l’avoir quittée et n’y être jamais retournée, peu pressée de retrouver sa famille et les lieux de sa jeunesse.
Camille Preaker, l’enfant prodigue
Camille Preaker a un sérieux problème avec l’alcool, une voiture pourrie, et aucune envie de retourner à Wind Gap, la ville où elle a grandi et dont elle s’est échappée dès qu’elle a pu.
Elle a une belle chevelure rousse, un répondant et un cynisme assurés, des manches longues et un pantalon malgré la chaleur écrasante, et des mignonnettes d’alcool qui l’accompagnent partout où elle va dans sa voiture qui hurle Led Zeppelin.
Camille Preaker, formidablement interprétée par Amy Adams, le personnage central de Sharp Objects, celui par qui le récit se déroule, c’est la force et la fragilité conjuguées, un mur de barrières qui défend des traumatismes. Car si le spectateur suit le difficile retour de Camille à Wind Gap et son investigation, il voit aussi ses traumas refaire surface, un aperçu de ce qu’a pu être sa jeunesse dans cette ville. Il semble alors qu’en retournant dans cette ville, ce n’est pas seulement une enquête qu’elle doit couvrir, mais aussi son passé auquel elle doit se confronter.
Bienvenue à Wind Gap
La première impression de la ville qui s’offre au spectateur, c’est celle d’une bourgade gentille et propre mais qui semble couvrir une réalité sombre et une duperie sans bornes. À l’image de ses habitants, heureux de revoir Camille Preaker pour échanger des ragots et des formules toutes faites, mais réticents à l’idée de parler des adolescentes disparues. Une ville qui vit par ses oppositions, entre les aristocrates de la ville, propriétaires des rares entreprises et issus de longues lignées, et les white trash et les immigrés, qui travaillent pour eux.
Dans cette atmosphère guindée, difficile de faire parler les citoyens et donc de faire avancer l’enquête. Le détective Richard Willis, venu du Kansas pour prêter renfort au chef de la police locale, subit de plein fouet la méfiance des habitants à l’égard des étrangers, ne cessant de se heurter à l’absurde silence d’une communauté et à son imperturbable apparence.
La ville est à l’instar de cette maison fascinante qu’habite Adora Crellin, la mère de Camille Preaker, aussi propriétaire des abattoirs de la ville. Une demeure d’un autre siècle, traditionnelle du Sud, parfaitement entretenue où, mis à part l’électroménager et la coûteuse chaîne hifi de son mari Alan, tout semble conservé dans du formol. Comme si rien ne devait venir contrarier l’image de cet héritage et de cette perfection, à l’instar de ce sol en ivoire sur lequel il ne faut pas marcher avec des chaussures.
« Dead girls everywhere »
La ville de Wind Gap apparaît aussi aux spectateurs par des souvenirs d’enfance, ceux de Camille Preaker, pourtant tellement hachés et mystérieux qu’ils semblent tenir de la vision. Ce procédé va accompagner les huit épisodes de Sharp Objects, apposant au présent les souvenirs de Camille Preaker, visions cauchemardesques qui laissent entrevoir assez des traumatismes de la jeune femme sans pour autant en comprendre les causes immédiatement.
Ce sont des images qui s’imbriquent, de longs travellings dans les rues de Wind Gap qui se superposent à des souvenirs et des voix lointaines. Le passé et le présent s’emmêlent, confusément, à l’instar de l’esprit tourmenté, embourbé dans l’alcool, de l’héroïne de Sharp Objects. Ces visions, furtives ou récurrentes, pourraient tout autant être des indices, jetés ci et là, ou au contraire, de quoi nous embrouiller un peu plus. Un ventilateur, un bouquet de rose, des fissures au plafond, des images d’une sœur morte ou d’une autre vivante, bref des visions troublantes.
Ces images, couplées à un à montage très saccadé, sont comme des coupures. Avec des impressions furtives de mots à l’écran et des plans si rapides qu’ils semblent tenir de l’hallucination, Jean-Marc Vallée construit une série avec les codes de l’horrifique pour les mettre au service d’un thriller psychologique terriblement efficace. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de trouver crédité au générique le producteur Jason Blum, créateur de Blumhouse, société de production spécialisée dans les films d’horreur (Paranormal Activity, Get Out…). Sharp Objects n’est pas pour autant une série d’horreur, mais une œuvre très sombre, une longue descente dans une psyché torturée.
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La violence au féminin
Gillian Flynn, l’auteure du roman, aussi copoductrice de la série, explique qu’avec Sharp Objects, elle a souhaité parler de la rage et de la violence au féminin, et comment celles-ci se transmettent de façon intergénérationnelle.
Cette adaptation est fidèle aux romans de Gillian Flynn qui présentent toujours des personnages féminins dans les rôles principaux loin de l’image que la plupart des fictions véhiculent. C’est simple, Gillian Flynn écrit des personnages féminins qui réconcilient avec toutes les figures fictionnelles féminines. Parce qu’ils ne sont pas là pour démontrer quoi que ce soit de ce que les femmes peuvent faire, ou doivent être, ils sont simplement.
Sharp Objects montre des femmes tout autant dans un certain cliché, vénales, garces, portées sur les ragots, que dans des caractéristiques que l’on attribue plus souvent aux hommes : sadiques, méchantes, inquiétantes, puissantes en somme.
C’est ici la mère, bourgeoise guindée et glaciale, qui fait du retour au bercail de Camille une noyade forcée dans le contrôle maternel et la pression familiale. Les mots que la mère et la fille échangent sont d’une rare vérité et, de fait, d’une violence effarante. Il y a aussi la sœur, Amma, tantôt petite fille modèle, poupée de sa mère, tantôt adolescente aguicheuse, provocante et maligne.
Enfin, cette violence on la retrouve sur le corps de Camille, des mots faits de cicatrices qui témoignent d’une colère et d’un mal-être enfouis et tus. L’automutilation est rarement abordée dans des fictions, elle est ici mise en scène, mais jamais de façon pathétique ou voyeuriste, d’abord dissimulée puis révélée au grand jour.
Il faut être patient pour apprécier Sharp Objects. Si votre souhait est de résoudre l’enquête, savoir qui a tué, comment et pourquoi, passez votre chemin. La série, bien que suivant cette enquête policière, est surtout l’excuse pour mettre en scène des personnages féminins que l’on a peut l’habitude de voir aussi justes, et aussi inquiétants.
Pour aller plus loin
Sharp Objects est disponible sur OCS.
Tout savoir sur la série sur le site d’HBO.
Le roman de Gillian Flynn dont est adapté la série, Sur ma peau, est publié au Livre de poche.