Cette excellente collection de nouvelles noires chez In8 a eu 10 ans en 2020, l’occasion d’une interview, presque croisée entre Marc Villard, directeur de collection, et Pascale Dietrich et Nicolas Mathieu, auteurs.
Nous devions animer une rencontre sur les 10 ans de la collection Polaroid d’In8 au festival Lire en poche à Gradignan, mais le COVID-19 en a décidé autrement…
Alors, pour ne priver personne, nous avons décidé d’interviewer Marc Villard, le directeur de collection, ainsi que Pascale Dietrich et Nicolas Mathieu, qui devaient être à la rencontre.
Mais, sur le web, Christophe Laurent, qui tient l’excellent site The Killer Inside Me, venait d’interviewer Nicolas Mathieu à propos de sa nouvelle Rose Royal, parue dans la collection Polaroid. Ses questions étant excellentes, tout comme les réponses de Nicolas Mathieu, nous n’allions pas poser les mêmes questions pour qu’il nous réponde les mêmes choses. Alors nous avons directement repris ses propos depuis le site de Christophe Laurent, que nous remercions ici.
Des nouvelles noires
Marc Villard, sur votre site on peut lire : « J’ai publié mon premier recueil de nouvelles noires en 1980 (Nés pour perdre / Repères) ». D’abord, joyeux anniversaire, et ensuite quel bilan tirez-vous pour ce quarantième anniversaire ?
Marc Villard : Il faut avoir le polar et, plus généralement, la littérature chevillée au corps, pour être encore publié après 40 ans de présence dans la fiction. Durant cette période, j’ai tiré un trait sur la notoriété en choisissant de privilégier le texte court (nouvelle, novella) au détriment du roman. Je pense qu’il faut aller là où l’on est efficace et à l’aise. Mes sujets sont plus sociaux qu’à mes débuts dans le genre et mon écriture plus serrée. Si je perdure c’est grâce également à mes directeurs littéraires. Je fais plus confiance aux hommes qu’aux enseignes.
En 1980, le champ du polar était limité. Il était donc plus facile de s’y faire une place. Depuis 20 ans, de nombreuses collections ont vu le jour, la Scandinavie produit beaucoup dans notre domaine, les traductions de l’anglais sont soutenues et l’ex-roman-à-suspense a muté en Thriller, devenant fort populaire.
Côté bizness, les éditeurs comprennent que les couvertures polar tonitruantes sont un frein à la vente. On assiste donc à un lissage graphique chez certains afin d’éviter un ghetto pouvant décourager le lecteur lambda. Mon gros regret est la disparition de l’inédit en format poche. Serais-je encore ici sans la Série Noire de Duhamel et le Rivages/Noir de Guérif ?
La collection Polaroid
On peut aussi lire « Quarante ans plus tard, je fête cet anniversaire mais aussi les dix ans de Polaroid, la collection de novellas des éditions In8 ». Partons du début : comment est née cette collection ?
M. V. : Début 2010, j’ai été contacté par Olivier Bois et Josée Guellil qui dirigent les éditions In8. Ils m’ont demandé d’imaginer une collection de novellas noires. Moins lourde à porter financièrement qu’une collection romanesque et pouvant éviter une confrontation obligatoire avec les éditeurs réputés. J’ai participé à la mise au point de l’identité graphique et proposé un Garamond bien lisible pour le texte.
Il me fallait trouver un premier livre capable de définir l’esprit de la collection. Je l’ai demandé à Franz Bartelt, que j’apprécie beaucoup, et il m’a donné Parures, un texte impeccable. Puis j’ai sollicité des copains talentueux tels Jean-Bernard Pouy, Marcus Malte, Anne Secret, Marin Ledun. Certains livres me sont parvenus par la poste, dont Le Homard de Pascale Dietrich qui a bien marché. Actuellement, les manuscrits m’arrivent de différentes façons et c’est la qualité du texte que je mets en avant, bien entendu. Un groupe de libraires bons lecteurs soutient Polaroid et, peu à peu, la collection trouve sa place. L’idée avec Polaroid est de créer un pool de lecteurs capables d’acheter les livres de cette collection les yeux fermés comme je le faisais adolescent avec la Série Noire.
Quant à la position de Polaroid sur l’échiquier littéraire, elle reprend le principe de base du roman noir : un homme zigzaguant dans la cité doit subir les conséquences d’un délit. Saura-t-il s’en défaire ? Le roman noir est souvent un roman de perdants, un reflet de la société qui a tendance à détruire les plus humbles. Le regard de l’écrivain progressant dans le Noir est-il seulement social ? Pas sûr car quand on lit chez Denis Flageul que la cocaïne dévaste les chalutiers bretons, que les pauvres doivent s’habiller comme des pauvres chez Bartelt ou que la déception est un sentiment spécifiquement féminin avec Mathieu (respectivement Pêche interdite, Parures et Rose royal, collection Polaroid, ndlr), on flirte avec une position politique. En réalité, tout est possible en Polaroid mais il y a une obligation à remplir : rester dans la littérature, coûte que coûte.
Aujourd’hui, quelle est la place de la nouvelle dans le paysage éditorial ?
M. V. : La question ne se posait pas au 19e siècle quand Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle Adam et Guy de Maupassant connaissaient le succès que l’on sait avec leurs nouvelles. La donne a changé à la fin du 20e siècle. Le roman est devenu la norme dans le domaine de la fiction. Le feuilleton est un souvenir et la nouvelle survit grâce à des éditeurs de taille moyenne. Ceux-ci font vivre le genre car les quotidiens et les magazines, s’ils publient des textes courts, le font de préférence au mois d’août. Le dernier grand nom de la nouvelle en littérature générale a disparu. Annie Saumont supportait ce domaine à bout de bras et avec talent. Le festival de Saint-Quentin, jadis plein d’énergie, n’existe plus et seul Place aux Nouvelles, à Lauzerte, propose une visibilité aux écrivains.
Cela étant, la situation de la nouvelle noire (un genre à l’intérieur d’un genre) n’est pas dramatique. Quelques maisons d’édition soutiennent cette longueur : Rivages, In8, Goater, La manufacture de livres, Asphalte. Il faut leur adjoindre des maisons qui, occasionnellement, font des incursions dans ce domaine : Petit à Petit avec le collectif No limit, et Marest avec Dominique Forma, par exemple. Certains mooks, dédiés au genre noir, publient des nouvelles. Mais en France, ce sont surtout les collectifs initiés par des passionnés, qui publient des textes courts. La nouvelle noire est récompensée, à nouveau, par un trophée 813 annuel. À suivre, donc, mais je suis confiant.
Bref, je me suis amusée avec cette idée, mais je ne crois pas que j’aurais pu écrire 200 pages sur les Jean-Pierre (quoique…).
Pascale Dietrich
Pascale Dietrich et la collection Polaroid
Pascale Dietrich, quand Marc nous dit « Certains livres me sont parvenus par la poste, dont Le Homard de Pascale Dietrich », peut-on le croire, ou est-ce une belle légende qu’on continue à servir aux apprentis écrivains pour ne pas les décourager ?
Pascale Dietrich : C’est parfaitement vrai. Je savais que les éditions In8 avaient apprécié une nouvelle que j’avais écrite auparavant pour les éditions Monsieur Toussaint Louverture. Donc j’ai tenté ma chance par la poste et j’ai eu la chance de tomber sur Marc.
Dans notre première interview, vous nous disiez « Quand on est un jeune auteur, le court est une excellente première marche pour débuter ». Vous nous en dites plus ?
P. D. : L’avantage des textes courts, c’est qu’il y a des revues pour les publier. Elles laissent une grande place aux jeunes auteurs. C’est une bonne manière de mettre un pied dans le milieu et d’avoir des premiers conseils d’éditeurs pour progresser. Personnellement, depuis que j’écris, j’ai toujours eu un regard extérieur sur mon travail, ce qui est stimulant et formateur.
Vous nous aviez aussi dit « J’ai toujours mené de front romans et nouvelles. J’apprécie les deux genres qui me semblent très complémentaires. La nouvelle me permet d’exploiter des idées qui ne peuvent pas faire l’objet d’un format long ». Comment articulez-vous les deux ?
P. D. : Dans Le Congélateur, il y a une nouvelle, « Jean-Pierre », qui raconte l’histoire d’une femme enceinte dont le beau-père meurt (un Jean-Pierre). Le conjoint veut donner le prénom de son père au bébé pour honorer sa mémoire, mais elle n’arrive pas à se faire à l’idée d’un Jean-Pierre bébé. Elle va se mettre à enquêter sur tous les Jean-Pierre de son entourage pour voir comment ils étaient bébés et si leurs mères avaient réussi à les allaiter. C’est vrai que pour une femme de ma génération, ce n’est pas évident d’imaginer donner le sein à un Jean-Pierre. Bref, je me suis amusée avec cette idée, mais je ne crois pas que j’aurais pu écrire 200 pages sur les Jean-Pierre (quoique…). Inversement, il y a des idées qui demandent de « la place » pour être développées. Par exemple, je n’aurais pas pu raconter la vie des mafieuses en vingt pages comme je l’ai fait dans Les Mafieuses (éditions Liana Levi). J’aime bien alterner les genres pour exploiter des sujets différents. Et puis les deux rythmes sont complémentaires : le temps long du roman et le temps court de la nouvelle.
Lire aussi : Interview de Pascale Dietrich – Les Mafieuses
Chez In8, nous pouvons donc lire Le Homard et Le Congélateur. Quatre textes, quatre univers différents, c’est une des forces de la nouvelle, non, de pouvoir explorer rapidement différentes atmosphères ?
P. D. : Avec la nouvelle, on peut passer d’un dingue qui veut congeler sa mère à une fille qui vend sa voiture en espérant passer à chaque fois un bon moment avec les acheteurs qu’elle trie sur le volet pour qu’ils lui évoquent son mari disparu. Écrire du court permet de laisser une grande place à l’imagination.
Nicolas Mathieu et la collection Polaroid
Christophe Laurent : Nicolas Mathieu, vous obtenez le Goncourt en 2018 et vous revenez, cette année, avec une novella, parue chez Polaroïd. C’est culotté ?
Nicolas Mathieu : C’est une commande antérieure. En 2017, dans un salon de roman policier à Lamballe, en Bretagne, je croise Marc Villard et sur un coin de table, entre deux coups de blancs et les moules frites, il me parle de sa collection et me demande si je n’ai pas une novella dans un tiroir. J’ai dit oui. Mais en fait je n’avais rien ! Et donc je l’ai écrit à l’été 2018, c’est à dire avant la sortie de Leurs enfants après eux. Ce n’est pas une stratégie, un pas de côté volontaire, c’est juste le calendrier éditorial.
C. L. : Rose est née comment ?
N. M. : C’est une commande et j’aime bien ça : écrire sous contrainte, avec un nombre de signes obligatoire, je crois que c’est 80 000. Et une novella criminelle. Je cherchais une idée, je venais de finir Leurs enfants après eux, cette novella, en fait, fait la cheville entre Leurs enfants… et le roman qui suivra. Je m’intéresse beaucoup à ces personnages de femmes qui en ont chié à cause des mecs. L’idée m’est venue en revoyant des photos de Gloria, le film de Cassavettes. Gena Rowland est là avec son tailleur, son sac et un flingue à la main. Je me suis demandé quelle est la dernière histoire d’amour de cette femme qui a décidé que plus jamais un homme ne la ferait souffrir. Le fantasme c’est de lui faire rencontrer, dans un bar de Nancy, un type plutôt inspiré de Sam Shepard. Ce rade existe d’ailleurs ! Il apparaît même dans Bye bye Blondie de Despentes. C’est une institution.
Lire aussi : Interview avec Nicolas Mathieu – Aux Animaux la guerre
Pour aller plus loin
La collection Polaroid est à retrouver sur le site des éditions In8.
Le reste de l’interview de Nicolas Mathieu est à lire sur le site The Killer inside Me.
Pour finir, sachez que sur son site, Marc Villard a recommencé une série de petites saynètes (Tous aux abris…) qui nous plaisaient tant lorsqu’il en publiait des recueils à L’Atalante (Bonjour, je suis ton nouvel ami ; Un jour je serai latin lover…), en ces temps troublés, c’est bon de se marrer.