5 raisons de… Benjamin Dierstein : Bleus, Blancs, Rouges

Benjamin Dierstein - Bleus, Blancs, Rouges - Flammarion - Milieu Hostile

Benjamin Dierstein publie en ce mois de février 2025 Bleus, Blancs, Rouges chez Flammarion, édité par Aurélien Masson. L’occasion pour nous de faire un « 5 raisons de » sur ce nouveau cycle à venir.

Nous l’avions croisé en 2022 au festival Lire en Poche et il nous avait parlé du projet : « C’est une espèce d’énorme machin avec 130 personnages, 10 actes et 160 chapitres. J’ai su que le format allait être imposant quand j’ai terminé mon plan et qu’il faisait 600 pages. Le roman final devrait faire environ 2000 pages et sera donc coupé en 2 tomes. Ça va se passer entre 1978 et 1984. »

Le premier volet vient de sortir. Près de 800 pages, denses, intenses et sans temps mort, qu’on lit en apnée, le plus vite possible tellement nous sommes happés. Comme nous avions déjà bien échangés à propos de sa dernière trilogie, changement de forme pour l’interroger sur ce nouveau roman. L’auteur développe cinq (et il y en aurait tant d’autres…) temps marquants de Bleus, Blancs, Rouges.

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Disco – non, on rigole – mais époque : la fin des années 1970

« Je suis né en 1983, donc j’ai pas connu cette époque. Mais ça ne m’empêche pas d’adorer tout ce qui a été fait entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Il y a à la fois une émulsion dingue et un profond pessimisme à cette période, comme si les deux allaient de pair. La Fièvre du samedi soir, ça te donne envie de danser mais en même temps c’est hyper dark. Les personnages sont dépressifs, ils se défoncent, ils se bastonnent, ils se suicident, les meufs se font violer… c’est hardcore et typique de cette époque post-rêve américain. La disco est consciente de sa propre vacuité, et c’est ça qui est génial. Et puis il a le punk, la new wave, le reggae… Ne serait-ce qu’en variété française, sur cette période t’as les meilleurs titres de Renaud, Lavilliers, Johnny, Sardou, Berger, Balavoine, Sheller… C’est une période où les sons sont plus synthétiques, les paroles plus tristes, on dirait que tout le monde va aller se pendre sous un pont. J’ai été bercé par tous ces sons quand j’étais gamin et j’adore toujours ça. Que ça soit musicalement ou cinématographiquement, pour moi c’est une époque hyper marquante. Je parle de toutes ces références dans le bouquin, et j’ai essayé au maximum de recréer l’époque via des personnages qui croisent des stars, regardent la télé, vont danser, font du roller, achètent des walkmans… pour que quand on le lise on ait l’impression d’y être à 100 %. »

Benjamin Dierstein - Bleus, Blancs, Rouges - Flammarion - Milieu Hostile

Terrorisme

« C’est aussi une époque où le terrorisme a explosé en France. On avait un peu de retard comparé aux voisins italiens ou allemands, mais on s’est bien rattrapés à partir de 1978 ! Entre les autonomes, Action directe, le FLNC [Front de libération nationale corse, ndlr], le FLB [Front de libération de la Bretagne, ndlr] ou ETA, rien qu’à eux ils faisaient déjà péter plusieurs centaines de bombes chaque année. C’était pas forcément des grosses charges et il y a eu peu de morts, mais les chiffres sont impressionnants pour des gens comme moi qui n’ont pas vécu ces années-là. Et ce qui est assez fou quand tu fais des recherches, c’est que tu te rends compte que les médias n’en parlaient pas tant que ça, comme si c’était normal. Mine de rien la guerre d’Algérie n’était pas si loin, les gens n’étaient pas forcément choqués de voir tout ça.
Dans la trilogie, l’intrigue principale est basée sur la traque de trafiquants d’armes qui fournissent aussi bien les autonomistes qu’Action directe, les Irlandais, la RAF, les Brigades rouges, Carlos, les Palestiniens… Ça m’a permis de créer une vision d’ensemble du terrorisme à cette époque, et d’embrasser un maximum d’affaires liées aux attentats entre 1978 et 1984 (l’ambassade d’Irak, les attentats de la rue Copernic et de la rue des Rosiers, les Irlandais de Vincennes, la mort de Guy Orsoni, Carlos…). »

Ces mecs sont tellement sans gêne qu’à un moment t’as pas d’autre choix que de raconter ça d’une manière drôle. Rien qu’à lister tout ce qu’ils ont fait, ça ressemble à une blague.

Politique

« La période est aussi explosive du point de vue politique. C’est la crise économique, la mort de la sidérurgie, l’appel de Cochin de Chirac, le « suicide » de Robert Boulin, la fin de la Giscardie, le grand soir mitterrandien, et toutes les affaires qui y sont liées : les diamants de Bokassa, le SAC, les écoutes de l’Élysée… Ça bastonnait sec pour arriver au pouvoir à l’époque. Des mecs comme Giscard, Mitterrand ou Chirac étaient des tueurs. Pour les représenter, j’ai regardé des dizaines de reportages, j’ai noté leurs tics de langage, leurs manières de s’exprimer et j’en ai fait des versions caricaturées. Ça m’a permis de donner un ton léger aux romans, un peu comme l’avait fait Ellroy avec Hoover, Hughes et Kennedy. Je préfère représenter les personnages réels de cette façon, ça permet de garder un vrai détachement les concernant.
Je veux qu’on s’identifie à mes personnages principaux, mais pas à mes personnages réels. Rien de pire pour moi que de représenter des personnages réels sous des atours positifs, comme le font la plupart des biopics. Il y a quelque chose de malsain là-dedans, ça se rapproche de la manipulation historique. Quand on apprend que même l’abbé Pierre était une saloperie, je crois qu’on peut définitivement se dire qu’idolâtrer la moindre personne revient à se mettre des œillères. »

Françafrique

« La fin des années 1970 est aussi l’époque d’un changement de mentalités. Les idées de 68 avaient fait leur chemin, certains portaient l’espoir d’évoluer vers une politique extérieure tiers-mondiste… Mais au final Mitterrand a agi comme les autres, il a tout fait pour garder les anciennes colonies dans le pré carré français, pour continuer à exploiter leurs ressources. Dans la trilogie, il y a des scènes au Tchad, au Centrafrique, au Gabon, en Côte d’Ivoire, qui évoquent la prédation de la France sur les gisements d’uranium ou les métaux rares. Omar Bongo et Bokassa Ier font partie des personnages qu’on recroise régulièrement dans les trois romans, et on assiste à des scènes de safari avec Giscard. Il était cité chaque année dans le Rowland Ward’s Records of Big Game, un livre de records qui recensait les meilleurs trophées de grand gibier africain. Il a buté au moins cinquante éléphants à lui tout seul, pendant que ses cousins récupéraient les marchés d’uranium centrafricains à leur profit personnel. Ces mecs sont tellement sans gêne qu’à un moment t’as pas d’autre choix que de raconter ça d’une manière drôle. Rien qu’à lister tout ce qu’ils ont fait, ça ressemble à une blague. »

Inspecteurs

« Les personnages principaux du roman sont deux jeunes inspecteurs têtes brûlées qui sortent de l’école de police et rêvent de faire la couv’ de Paris Match (à l’époque, certains flics comme Broussard ou Ottavioli étaient des stars), un brigadier fainéant qui ne pense qu’aux filles et un ancien mercenaire qui veut se reconvertir en patron de discothèque. C’est globalement tous des enfoirés qui agissent avant tout pour leur carrière ou pour l’argent, mais c’est des enfoirés qui souffrent : Jacquie parce qu’elle se sent isolée dans ce monde de flics hyper sexistes qui voient d’un mauvais œil l’arrivée des femmes aux postes à responsabilité, Marco parce que sa foi chrétienne et ses idéaux gaullistes sont rapidement laminés par les saloperies du SAC [Service d’action civique, ndlr] dans lesquelles il s’engouffre, Gourv parce qu’il tombe amoureux d’une femme qu’il traque et Vauthier parce que sa propre violence l’empêche de tirer un trait sur le passé. Comme dans mes romans précédents, ce sont avant tout leurs propres défauts (carriérisme, avidité, etc.) qui vont les faire souffrir, et donc, paradoxalement, qui vont permettre aux lecteurs de les aimer. Parce que les personnages qui souffrent sont ceux qui, à mon sens, transmettent le plus d’émotions. »

Pour aller plus loin

Bleus, Blancs, Rouges est disponible aux éditions Flammarion

Les romans précédents de Benjamin Dierstein sont disponibles chez Nouveau Monde éditions, Equinox – Les Arènes et Points.