La Fille de Carnegie est l’unique roman de Stéphane Michaka publié chez Rivages/Noir. Pourtant son passage dans la collection fut des plus riches, marquant l’entrée dans la littérature d’un auteur protéiforme, aussi traducteur pour la maison, et démontrant la nécessité de l’adaptation quand elle donne naissance à un roman aussi admirable qu’est le numéro 700 de Rivages/Noir.
Comment s’est fait ton arrivée chez Rivages ?
Tout a commencé par une pièce publiée par L’Avant-Scène Théâtre. Un dialogue en quatre tableaux situé dans un commissariat new-yorkais et dans une loge d’opéra. Le texte faisait environ 60 pages. François Guérif l’a lu à sa publication en 2005 (la pièce était préfacée par Patrick Brion, l’historien du cinéma et la voix légendaire du Cinéma de minuit). François pensait que cela ferait un bon roman, mais je n’en avais pas encore écrit. Il m’a proposé de passer le voir à Rivages et je me rappelle très bien ce moment où il a désigné un mur de son bureau, tapissé de couvertures Rivages/Noir, en disant : « Je pourrais vous publier dans cette collection. » Il y avait Jim Thompson, Ellroy et les autres… C’était plus que tentant pour un auteur de théâtre qui n’avait pas écrit un seul roman. Je ne savais pas, à ce moment-là, que cela deviendrait un long voyage (deux ans d’écriture) pour aboutir à un roman de plus de 500 pages. Entretemps, ce qui a pris corps dans l’intrigue, c’est la ville elle-même. Je suis d’ailleurs retourné à New York pour me documenter et écrire un grand nombre de chapitres de La Fille de Carnegie.
Quel a été l’accueil chez Rivages ?
Rivages/Noir fait se côtoyer de grands noms et de nouveaux venus. C’est dans l’ADN de la collection et cela reflète la démarche de François : imposer l’œuvre de grands noms du polar et permettre à des inconnus de faire leurs armes. Avec à la clé, une exigence et une patience éditoriale qui est la même pour tous. Il s’est passé plus d’un an entre la remise du manuscrit et sa publication. Cela m’a permis de retravailler mon roman et de le publier dans les meilleures conditions, avec une mobilisation de la maison Rivages autour de sa sortie.
Comment s’est passé le travail sur ton manuscrit ?
J’ai travaillé avec François et avec sa collaboratrice Jeanne Guyon, qui est une éditrice au sens anglo-saxon du mot (editor). Chaque phrase est passée au tamis et en même temps on ne vous impose rien. Comme ils ont tous les deux une connaissance exhaustive du catalogue Rivages/Noir (à l’époque en 2008, la collection en était à près de 700 titres), ils me mettaient entre les mains, si je le demandais, des romans que je ne connaissais pas. C’est comme ça que j’ai découvert les livres d’Edward Bunker, Sylvia d’Howard Fast, et l’écriture poignante de Pascal Dessaint. Il faut aussi mentionner Hervé Delouche, un des meilleurs correcteurs du pays, qui en se penchant sur La Fille de Carnegie, en plus du travail habituel de relecture, a sauvé plusieurs passages que j’avais barrés par manque de confiance en ma propre écriture.
Doutes-tu à chaque livre envoyé ?
On est toujours un peu nerveux quand on dépose son bébé chez un éditeur, même si on sait que les meilleures nourrices sont dans la maison. J’ai travaillé ensuite avec Jeanne Guyon sur une traduction, Le dernier Juif debout, de Michael Simon, traduit une nouvelle de Michael Connelly (« Jackpot d’un dollar » dans l’anthologie La Main du mort publiée en 2010) et adapté avec Jean-Louis Thouard, pour Rivages/Casterman/Noir, le très beau roman à suspense de Helen McCloy, La Somnambule (Rivages/Noir n°105). Ces collaborations avec Rivages m’ont permis de me sentir toujours chez moi dans cette maison, tout en publiant Ciseaux chez Fayard, et récemment les deux tomes de Cité 19 chez PKJ. Non seulement François m’a toujours accueilli avec la chaleur discrète et l’humour qui le caractérisent, mais il a lu Ciseaux à sa parution et les compliments qu’il m’a fait sont ceux qui m’ont le plus touché.
Peux-tu nous donner tes 5 livres de chevet Rivages ?
Aucune bête aussi féroce d’Edward Bunker, Cruelles natures de Pascal Dessaint, Ordo de Donald Westlake (traduit par Manchette), Le Dahlia noir évidemment, et pour le cinquième je dirais : le prochain Rivages/Noir qui paraîtra en librairie car on ne sait pas ce que c’est, on le lit parce qu’il est publié dans cette collection, et on découvre à chaque fois que le noir chez Rivages c’est nous emmener vers l’inattendu.