Interview avec Cédric Fabre – La Folle cavale de Florida Meyer

Cédric Fabre - La Folle cavale de Florida Meyer

Avec La Folle cavale de Florida Meyer, Cédric Fabre nous propose un road trip dans les gorges du Verdon en Triumph TR4. On y croise Florida au volant, un syndicaliste rocker, un canoë lesté d’un cadavre, un zadiste auto-stoppeur et d’autres personnages bien sentis.

L’histoire se dévoile au fur et à mesure et ce roman, paru chez Plon, est une excellente nouvelle de fin d’année. Nous avons donc posé quelques questions à Cédric Fabre.

Comment est né le personnage de Florida ? Et son documentaire sur les SDF ?
Je voyais un personnage féminin, d’abord, sans savoir exactement qui elle serait, et si je saurais la camper avec justesse. Puis en me demandant comment allait se comporter une femme dans un telle situation, je me suis vite trouvé idiot, dans la formulation même de ma question… Cela m’a libéré, je n’ai plus réfléchi en termes d’homme ou de femme, mais en terme de caractère. Un personnage déterminé, mais fragile, avec des failles. Droite dans l’action, têtue, et pourtant qui cache des zones d’ombres et qui est « à l’aise » avec le mensonge. Assez commune, finalement. Il fallait juste, ensuite, qu’elle puisse « encaisser » et assumer – assurer – toute cette histoire. C’est quand même une dure, elle est capable d’endurer… Précisément parce qu’elle est documentariste et qu’elle a travaillé avec des populations et des individus en marge, fragilisés, dans un univers assez violent. Elle a ainsi développé une capacité d’empathie, sans que cela n’altère la justesse de ses actes, de son comportement. Elle erre, et son expérience avec les sans-abris lui donnent quelques idées, quelques directions, quelques bonnes intuitions sur la conduite à tenir.

Et comment est né Franck Mata, le « Iggy Pop du syndicalisme » ?
Il s’est invité… Il n’était pas prévu, au départ, dans cette histoire. Mais cela fait plusieurs romans que je réfléchis à des méthodes d’action politique qui flirteraient avec le happening ou la performance. Des façons de résister, de « bloquer », de « fissurer le socle », comme le disent les personnages, de façon spectaculaire et non-violente. Et cela passait, ici, par le rock, qui a véhiculé depuis les années 1950, toutes les contre-cultures, toutes les rébellions, toutes les insoumissions possibles… Quand j’étais ado, c’était le guitar-hero, qui avait le pouvoir ; c’est lui qui pouvait changer les choses. L’histoire a montré que le rock était présent, actif, et efficace, pour accompagner les grandes causes (les droits civiques aux Etats-Unis, jusqu’à Springsteen soutenant Obama contre les Républicains ; le rock à l’usine en France, depuis les années 1968, puis 1980, avec les Bérus ou les Wampas, entre tant d’autres). L’idée d’un syndicaliste-rocker, je me disais qu’on tiendrait un bon truc, là, que ça redorerait l’image des syndicats… Sauf que le rock, aujourd’hui, n’a plus de rock-stars. Ça ne mobilise plus vraiment les foules. Le rap reste très présent, dans les conflits sociaux – dans la conflictualisation des rapports sociaux, disons. C’est la bande-son d’une jeunesse, et d’une époque. Après, Mata apparaît aux côtés d’Iggy Pop sur scène, mais pas seulement. Iggy Pop n’est pas un rocker engagé, si ce n’est qu’il était déterminé, ado, à faire de la politique. Jusqu’à la mort de Kennedy, raconte-t-il. Il n’est pas engagé, mais il demeure imprévisible, c’est ce qui m’intéressait. Il fonctionne aux coups de cœur et aux coups de tête, donc il aurait été possible qu’il soutienne ces mouvements sociaux juste par sympathie pour Mata.

Je n’ai plus réfléchi en termes d’homme ou de femme, mais en terme de caractère. Un personnage déterminé, mais fragile, avec des failles.

D’ailleurs d’où vient le livre ? À qui – ou à quoi – avez-vous pensé en premier ?
Alors, justement : cette partie concernant les mouvements sociaux demeure une toile de fond. Ce n’est pas l’histoire, ce n’est pas vraiment l’intrigue. C’est juste une femme qui entreprend un périple fou, parce que le roman, c’est le lieu où arrive quelque chose qui n’aurait pas dû arriver, et là, son amant, l’avocat Guizot, n’aurait pas dû se tuer en chutant dans les gorges du Verdon. Elle décide de cacher le corps dans un canoë, qu’elle tire sur une remorque, et de le ramener dans la maison familiale, pour faire croire qu’il est mort en tombant d’un toit, en bricolant. Pour préserver sa réputation, et celle de sa famille. Florida voudrait ne pas faire partie de cette histoire, la mort d’un homme et le drame que cela représente pour ses proches , car elle, elle est l’amante ; et elle devient alors le personnage central d’une autre histoire. Le fait premier, c’est cette image de cette femme qui roule dans une Triumph rouge décapotable sur le plateau de Valensole, et qui trimballe avec elle le corps de son amant.

« La révolution rock »… Excellent… Comment est venue cette idée ?
J’y réponds plus haut, c’est l’histoire des contre-cultures. Le rock porte l’irrévérence, l’insoumission, la rébellion, et la capacité à dire non. Rock et contestation ont toujours avancé main dans la main, depuis Dylan, en passant par Lennon, James Brown, le MC5, le mouvement punk bien sûr, puis le rap… Une histoire qui est sans doute en train de s’achever, d’ailleurs. Les gens qui écoutent du rock aujourd’hui, combien sommes-nous ? Même si les Stones ou Springsteen remplissent encore des stades.

En parlant de rock, il y a une abondante bande-son dans le livre… Quel est pour vous le rapport entre écriture et musique ?
J’écris sans musique, une histoire de concentration. Mais il y a, dans ma culture littéraire, un lien évident avec la musique. Les grands écrivains-rockers (qu’ils soient musiciens ou non, d’ailleurs) m’inspirent beaucoup, de Lester Bangs à Théo Hakola, en passant par David Peace, John King, Joseph O’Connor, Steve Earle, Lydia Lunch, etc… Michel Embareck, François Bon, Roland Wagner (qui est décédé), en France ; pardon pour tous ceux que j’oublie…  Il est question de rythme, de musicalité d’un texte, déjà.  Si le rock est l’une des dernières grandes aventures humaines du XXe siècle, il a à voir avec la littérature. La musique, elle traverse nos vies, notre quotidien, qu’on le veuille ou non. On en entend toujours. Avec des paroles, des refrains, qui deviennent autant de slogans. De phrases ; c’est une forme de littérature ambiante : après, tout dépend où on choisit de faire ses courses. Dans chaque ville, on devrait trouver au moins un épicier et un caviste qui passent du punk-rock dans leur magasin.

Dans le roman, il y a trois phrases qui pourraient parfaitement s’inscrire dans du processus de création littéraire, je vous laisse les commenter :

« Elle songea qu’il était normal qu’on ne comprenne jamais ce qui faisait dérailler nos existences »
On ne comprend jamais à temps ce qu’il nous arrive… Individuellement, et collectivement. Alors comment prendre toute la mesure de ce qui dérègle ce qui est déjà difficile à appréhender et comprendre ?

« À cet âge-là, Florida avait déjà compris qu’il fallait parfois abriter en soi les secrets et les mensonges des autres. Et forger les siens. »
Nous portons des histoires. Des vraies, des fausses. Toutes nous nourrissent ; toutes nous constituent. Nous devons prendre en considération les mensonges des autres, et parfois les porter pour eux, quand ils en ont besoin, quand ils n’ont plus la force de le faire. (je décrypte, mais ce sont des propos des personnages ; leurs visions des choses : est-ce que j’y souscris toujours ? Non, je ne crois pas)

« Cela l’avait toujours elle-même intriguée, cette propension qu’ont les gens à se retrouver dans une situation dans laquelle ils ne veulent pas être, à laquelle il y a une échappatoire et des portes de sortie mais que, pour des raisons obscures, ils ne prennent pas. »
Ah, c’est le roman noir ! Dans son essence… Pourquoi ouvre-t-on les mauvaises portes, pourquoi ne fuyons-nous pas une situation qui va nous fragiliser, nous menacer, peut-être nous détruire ? La culpabilité, la curiosité, la fascination… ? Je connaissais un gars qui, alors que l’avion dans lequel il était allait s’écraser, n’éprouvait pas la peur. C’est ce qu’il m’a dit, et je le crois. Il me disait : « J’étais curieux de savoir ce qui allait se passer après ». Et il s’en est sorti, alors que l’avion s’est crashé.

Le livre est sorti en octobre 2018, mais parlez-nous de vos projets futurs ?
J’aimerais écrire sur le rock. Pas forcément un roman. Mais je pense que le roman me rattrapera toujours. J’ai des dizaines et des dizaines de pitchs, j’en écris tout le temps, dans les heures creuses, en regardant un film, dans la salle d’attente du dentiste… ; je cherche le pitch parfait. L’idée de départ qui serait génialissime… Je ne me lasse pas de lire et relire le résumé de la série Breaking Bad, par exemple. Mais quelle trouvaille fantastique ! Le must absolu, cela reste la dernière de couverture du Chanteur de gospel (dans l’édition de la Série Noire, car je ne sais pas si Folio a repris le même texte). Un pitch absolument parfait, pour moi.  Bref, j’écris des points de départ, puis arrivera le moment où je serai prêt : je mixerai alors le tout… Car je suis infoutu de ne suivre qu’une seule intrigue.

Pour aller plus loin

Les romans de Cédric Fabre sur le site des éditions Plon
Chez Asphalte, Marseille Noir sous la direction de l’auteur