Interview avec Cyril Herry – Éditions Écorce

Depuis le temps que nous suivions les Éditions Écorce, il était temps que nous rencontrions cette maison qui œuvre parfois dans le nature writing à la française. « Sincérité », « belle plume », sont des termes qui reviennent régulièrement lorsqu’on pense à ce catalogue, que nous vous proposons de découvrir avec son fondateur.

Cyril Herry, en ces temps de sur-représentation médiatique, vous êtes plutôt du genre à rester sous la ligne des radars… Alors, qui êtes-vous ?
Je fonctionne à peu près comme les chats : je quitte rarement mon territoire. Je suis né à Limoges, l’année du décès de Bourvil et de Jean Giono. Je vis à La Croisille-sur-Briance, une commune entourée de champs et de forêts située sur les contreforts du plateau de Millevaches, dans le sud de la Haute-Vienne. Je fais de la photo, j’aime lire, j’écris, je passe beaucoup de temps dans la nature et je collectionne un tas choses depuis des années : vieilles clés rouillées, encriers, crânes d’animaux…

On voit apparaître il y a quelques années (2009 si nos fiches RG sont bonnes) les Éditions Écorce. Comment est né ce projet ? Quelle était sa ligne éditoriale ?
C’est une autre forme de collection et c’est précisément cette idée qui a présidé au départ : créer une collection de romans. Je vivais en Creuse à cette époque, en lisière d’une grande forêt. Le nom de la maison d’édition vient du paysage que je découvrais par ma fenêtre chaque matin au réveil. Le projet fut très modeste à la base ; je souhaitais me cantonner à des romans noirs se déroulant dans la région où je vis et que j’affectionne : le Limousin. Tout ceci sans diffuseur et avec des petits tirages. Editions EcorceC’est un mécène privé qui m’a permis d’entreprendre l’aventure, et par la suite le soutien précieux des collectivités locales et de personnes qui les animent, notamment le Centre régional du livre et le Conseil régional.
Mais on ne se lance pas dans l’édition sans disposer de munitions littéraires et en ignorant tout des ficelles du métier.
La sortie de mon premier roman en 2008 m’a permis de participer à des salons du livre et de côtoyer des auteurs, des libraires, des éditeurs… J’ai ainsi fait des repérages pendant une année afin de comprendre (à peu près) comment fonctionnait le réseau du livre, le temps de laisser germer mon idée, de la nourrir en sachant ce que je voulais et ce que je ne voulais pas.

Severine Chevalier - Recluses

Mais si je n’avais pas découvert sur un forum consacré au polar les textes de trois auteurs bien précis, les éditions Écorce n’existeraient pas, ou alors elles n’auraient pas vu le jour à cette époque ; elles l’auraient vu autrement.
Retour à la nuit, d’Eric Maneval, a inauguré la collection, suivi de Bois, de Fred Gevart, puis de Recluses, de Séverine Chevalier, qui a par ailleurs éclaté les limites régionales établies et bousculé celles du roman noir telles que je l’entendais. Séverine a semé le désordre et fixé la barre haut.

 

Votre retour en Haute-Vienne a-t-il changé quelque chose ? Car on retrouve Franck Bouysse, Patrick K. Dewdney… et n’y a-t-il pas un livre dont l’intrigue aurait été déplacée dans le Limousin ?
Vous faites allusion à Retour à la nuit qui, initialement, se déroulait dans le sud Retour à la nuit - Eric Manevalde la France. Eric avait posté plusieurs chapitres de ce roman sur Internet, puis il a interrompu son écriture aux deux tiers environ. Je me suis tourné vers lui lorsqu’il s’est agi de lancer les éditions Écorce, car je tenais à ce que ce roman ouvre la collection. Il s’en dégage une ambiance singulière, liée à la spontanéité et à la limpidité de l’écriture de l’auteur. Eric a accepté d’aller au bout du roman et de le déplacer géographiquement. Nous avons travaillé dans une totale confiance. Et ses préoccupations reposent sur la mécanique de l’intrigue, pas sur les lieux. Je lui aurais parlé de Bangkok ou de Katmandou, il n’aurait sans doute pas vu d’inconvénient à reprendre son roman en conséquence.
Le premier rayonnement d’Écorce fut donc régional, j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer des auteurs qui vivaient en Limousin, à l’occasion de salons du livre et de dédicaces en librairies. Ce fut le cas en premier lieu de Patrick K. Dewdney, avec qui d’évidentes affinités apparurent très rapidement, puis de Franck Bouysse et d’Antonin Varenne. Nous étions en 2008 et Écorce n’existait pas encore, j’étais un auteur comme eux. Et les trois premiers auteurs que j’ai publiés par la suite pour lancer la maison d’édition ne vivaient pas du tout eCoco - Abdel Hafed Benotman - Laurence Biberfeldn Limousin. Les suivants non plus, par ailleurs ; je songe au livre-ovni Coco, d’Hafed Benotman, illustré par Laurence Biberfeld, et au roman L’art des Liens, de Raphaëlle Thonont.
J’ai publié Franck pour la première fois en 2013. Il s’agissait du court roman noir, Vagabond, qui vient d’être réédité. J’ai publié Patrick plus tard encore, puis Antonin. Je pense qu’une aventure littéraire ne peut pas avoir lieu sans rencontres, et ces rencontres permettent à l’aventure de prendre des tournants imprévus au fil du temps.
Mais les auteurs ne se croisent pas par enchantement, et le monde du livre n’est pas peuplé que d’auteurs et d’éditeurs. Il y a des libraires, indispensables maillons de la chaîne, et je songe ici à David Belair qui a su sentir les personnes, percevoir des affinités et établir les bonnes connexions. Je songe également à Cécile Maugis, initiatrice du festival des Nuits noires à Aubusson, qui fut déterminante dans l’aventure humaine. Et enfin à Aurélie Camarasa qui est correctrice, relectrice et maquettiste des romans de la collection. Une partenaire très précieuse dans la même aventure.

Plateau - Franck Bouysse

En parlant d’auteurs, vous en avez très peu, expliquez-nous le rapport que vous avez avec eux, le lien qui vous unit…
Le lien qui nous unit est assurément la littérature. Les éditions Écorce, et aujourd’hui la collection Territori, sont des fruits issus des complicités individuelles qui se sont établies au fil du parcours. Chacun des auteurs que j’ai publiés a nourri le projet éditorial à sa façon, grâce à ses exigences, sa personnalité et naturellement son écriture.
L’idée que j’ai toujours eu d’une collection est celle d’un édifice que l’on construit pierre par pierre, patiemment. Chaque roman étant une pierre différente, à la forme et aux propriétés singulières, indispensable à la tenue, à la croissance et à la stabilité de l’édifice. Nous parlons donc bien de pierres, pas de parpaings. Chaque auteur possède son propre univers, ses propres références, son parcours et surtout son grain (d’écriture et de folie).
En poursuivant sur cette image, j’ajouterais que le mortier qui relie chaque pierre et donne aujourd’hui une identité à l’édifice, c’est la nature. Cette orientation était là dès le départ, plus ou moins visible, plus ou moins définie, et les rencontres ont fait que la nature se trouve aujourd’hui au cœur du projet éditorial. Par « nature », j’entends « terre » : relation charnelle à la terre, au territoire. Et non campagne, ou bien terroir. Il y a un monde entre « écrire la nature » et « raconter des histoires qui se déroulent à la campagne ».

Nous sommes des artisans.

Lorsqu’on regarde vos livres, ce qui frappe c’est le soin que vous y apportez (couverture à rabats, grammage du papier, police de caractère) et les photos de couvertures signées Cyril Herry. Alors, quel est votre rapport au livre ?
Je n’ai pas réalisé toutes les photos de couvertures, mais il est vrai qu’au départ j’ai travaillé seul dans mon coin, à partir de ce que j’avais sous la main, de ce que je savais et de ce que j’aimais faire. De la photo, entre autres.
Dès le début, mon intention a consisté à publier des romans dotés d’une ligne Battues - Antonin Varennegraphique immédiatement identifiable, mais sobre, agréables au visuel et au toucher. Il importait surtout que le contenant soit fidèle au contenu, qu’il ne mente pas au lecteur, qu’il ne trahisse pas le roman. Je ne voulais surtout pas publier des produits de marchandise. Je voulais qu’on se souvienne des romans et qu’on ait envie de les collectionner.
Dans notre façon d’envisager les livres, de les concevoir, de leur donner une forme, Oliver Gallmeister emploie un terme qui me semble juste : nous sommes des artisans.
Je suis aujourd’hui heureux que mon ambition initiale ait échoué, celle qui consistait à créer une maison d’édition au rayonnement strictement régional. En décidant de ne pas illustrer les couvertures avec des photos de monuments historiques, sur le modèle d’un guide touristique, et de ne pas travestir les titres, la sauce n’a pas vraiment pris à l’échelle régionale. Ce choix a permis aux romans de franchir les limites locales et de voyager librement.

Parlez-nous du choix bien spécifique de chaque livre.
Le choix est déterminé par l’écriture en premier lieu. Ce que l’histoire raconte ne m’intéresse pas lorsque je débute la lecture d’un manuscrit. J’attends d’une écriture qu’elle me saisisse, à la gorge ou au ventre ; qu’elle m’entraîne. Par « écriture » j’entends : de quelle façon un auteur s’empare de la langue française. Ceci tient au rythme, à la justesse, à la sincérité et au sens de la narration.
« Livre-moi une histoire à ta façon et prends-moi aux tripes jusqu’au bout. » Non pas parce que l’histoire est passionnante, mais parce que l’écriture est là : c’est écrit, ce n’est pas uniquement raconté. Un auteur qui se contente de raconter m’ennuie en général. Et cet ennui survient très vite. Soyons honnête : la lecture des deux premières pages d’un manuscrit suffit à révéler la teneur de l’écriture, sa consistance, et où se situent les intentions de l’auteur. Au bout de deux pages, ça prend ou ça ne prend pas.
C’est ici que je parle de grain d’écriture, comme on peut le faire en photographie. C’est ici qu’on se dit : c’est du Séverine Chevalier, c’est du Fred Gevart, c’est du Franck Bouysse, c’est du Hafed Benotman… pour ne citer que des auteurs avec qui j’ai travaillé. C’est singulier, ça vient du ventre et du cœur.Clouer l'Ouest - Séverine Chevalier
Et si en plus de ça l’histoire m’empêche de dormir, alors ça fonctionne.

Vous publiez très peu, alors que faites-vous à côté ? Seriez-vous le Cyril Herry chargé de recherche à l’INSERM qui travaille sur la Cognition normale et pathologique ?
Non, ce n’est pas moi, et il y a un troisième homonyme encore qui travaille dans le cinéma. Je suppose qu’on a tous les trois du sang breton.
Je ne fais rien « à côté », ce qui ne signifie pas qu’à côté je ne fais rien. Je fais en sorte que tout dans ma vie soit lié et cohérent, que tous les domaines que j’aborde communiquent et se nourrissent.
« A côté », j’anime des ateliers d’écriture, depuis un an dans l’école de La Croisille-sur-Briance, où je vis, avec des enfants du CP au CM2, ainsi que dans des lycées d’Aubusson et de Felletin, en Creuse, dans le cadre du festival des Nuits noires. Dans ce même cadre, je réalise un court métrage chaque année, avec les jeunes et une équipe de profs exceptionnels.
Je fais de la photo, c’est ma formation initiale. Je passe beaucoup de temps dans la nature, en particulier dans la forêt, mais je ne suis pas adepte de photos de paysages, de fleurs, d’oiseaux ou d’insectes pris en gros plan, ni de filtres et d’effets spéciaux. Ce qui m’intéresse dans la photographie, ce n’est pas ce qu’elle montre, mais sa faculté à refléter ce que j’ai pu ressentir en me trouvant dans la nature à un moment particulier. C’est la nature vécue qu’il m’importe de retranscrire, pas seulement vue. Et il arrive que des photos illustrent des couvertures de romans.

©Maryan Harrington
©Maryan Harrington

Toujours dans la nature, je construis des cabanes. La dernière en date se trouve dans une grande forêt, pas loin de chez moi, celle que les maquisards ont investie en 1943 et 1944, non loin du mont Gargan. Je m’y rends très souvent pour cogiter, pour prendre des notes, pour dessiner, pour faire des feux de camps, pour y dormir et m’y réveiller avec le chant des oiseaux et les lumières de l’aube, mais aussi pour y lire et y annoter des manuscrits. A mes yeux, il n’y a pas plus précieuse conseillère que la forêt. Cette cabane est en quelque sorte mon deuxième bureau, à la belle saison, mais c’est avant tout un lieu de ressource indispensable.
Toujours « à côté », j’écris. Même si j’ai eu tendance ces dernières années à mettre au second plan cette activité au bénéfice de l’édition, après avoir décidé au départ que je ne publierais pas mes propres romans sur Écorce. Je pèse toujours le pour et le contre, mais porter les deux casquettes en même temps est extrêmement délicat.

Comment lit-on le monde lorsque l’on vit dans une région peuplée de 5 ou 10 habitants au kilomètre carré, et non 15000, voire 20000 ? C’est une des questions que pose la collection. Elle est posée ici et maintenant.

En 2014 vous créez la collection Territori, et on se demandait « pourquoi une collection à côté de si peu de livres » (et ce sans aucunement être péjoratif)… alors quelle est sa spécificité ? Et, comme on y sent un ancrage particulier, je jumèle avec une autre question : Giorgio Todde explique que c’est la terre qui façonne les hommes et donc les histoires et face à ça, Ron Rash renchérit « Ma formule fondamentale est “le paysage est le destin“ » Qu’en pensez-vous ?
Je partage l’idée de Giorgio Todde, mais encore faut-il que « la terre » occupe un rôle déterminant dans le paysage des hommes en question. Il advient couramment que ce soient le béton et l’asphalte. Du coup, à la formule de Ron Rash, je répondrais que, étymologiquement, le paysage n’est pas nécessairement fait que de montagnes et de rivières, mais aussi d’immeubles, de parkings, d’avenues bondées aux heures de pointe et de couloirs de métro. Ce qui ne va pas du tout à l’encontre des deux idées, au contraire. Il est toujours question de contextes qui déterminent des points de vue et des représentations.
Ron Rash ajoute par ailleurs : Vous êtes la personne que vous êtes suivant le lieu où vous habitez. Si vous vivez à la montagne, avec la verticalité que ça impose, vos sentiments ne seront pas les mêmes que quelqu’un qui est face à la mer, qui va avoir une vision et une perception du monde entièrement différente.
De quelle façon perçoit-on ou déchiffre-t-on le monde lorsqu’on ne se trouve pas « au cœur de l’action », mais en retrait, à distance, en l’occurrence à l’extérieur des villes, à l’écart des milieux urbains ? Comment lit-on le monde lorsque l’on vit dans une région peuplée de 5 ou 10 habitants au kilomètre carré, et non 15000, voire 20000 ? C’est une des questions que pose la collection. Elle est posée ici et maintenant, en l’occurrence en France dans les années 2010. Un individu incarne d’une manière ou d’une autre son époque ; il est un fruit de son temps, quelle que soit la branche sur laquelle il s’est développé, depuis laquelle il dispose d’un regard sur le monde et qui détermine son propre rapport à cette époque.
Un des romans les plus emblématiques du nature writing que j’ai pu lire est le tout premier de Jim Harrison : Wolf. Le narrateur ne se rend pas seulement dans la nature pour l’observer ou pour se détacher du monde. Il consacre au contraire l’essentiel de son temps à faire le point sur sa vie, sur son rapport aux autres, sur lui-même. Ce qui rejoint par ailleurs un constat qu’établit Olaf Candau dans son court journal intitulé Un An de cabane : plus on est loin des autres, plus on en est longtemps séparé, et plus on pense à eux. J’ajouterais à ces exemples l’extraordinaire récit de John Haines : Vingt-cinq ans de solitude, traduit et paru aux éditions Gallmeister, qui nous propulse au cœur même de la nature, tout en entretenant en permanence un lien avec le monde « extérieur ».
Les auteurs de la collection Territori s’accaparent cette idée en fonction de ce qu’ils sont et de l’endroit où ils se situent. Je crois que les romans parus à ce jour donnent une idée de la variété des possibles. Il suffit, par exemple, de lire Cavalier Seul - Fred et Nat Gevartà la suite l’un de l’autre les romans Crocs, de Patrick K. Dewdney, et Cavalier Seul, de Fred et Nat Gevart, pour mesurer l’étendue de l’idée.
Territori s’inscrit dans le sillage du nature writing américain, mais cette référence possède d’évidentes limites qui surviennent très rapidement. Il suffit pour cela d’examiner les cartes géographiques. Nous n’avons ni le même rapport aux distances que les américains, ni la même histoire. Dans ces deux sens, la comparaison est impossible, mais il aurait été absurde d’inventer un autre terme et de nier cet héritage. Nous parlons donc bien de nature writing français, car il s’agit de la même intention, au fond – cette intention qui implique par ailleurs ce rapport au monde qu’exprime encore Ron Rash dans cette interview que vous avez réalisée (lien en fin d’article, ndlr) : Je vis dans les Appalaches, et les Appalaches sont la montagne la plus vieille du monde. En la voyant, et en le sachant, le sentiment que j’ai comme écrivain – et que j’essaie de rendre – c’est que la vie humaine est parfaitement insignifiante.
Je partage entièrement ce sentiment d’insignifiance lorsque je me trouve face à une mappemonde ou des photos satellites. Ces terres aux formes étranges et magnifiques qui émergent des océans et des mers qui les encerclent, ces lacs, ces fleuves, ces cycles, ces reliefs façonnés il y a des millions d’années et qui nous survivront. Nous nous sommes accaparés tout ceci, nous l’avons délimité, mais nous ne sommes rien, nous sommes seulement des êtres vivants prétentieux qui s’agitent le temps d’un clin d’œil dans le fil de l’Histoire – des êtres humains qui s’entretuent en l’occurrence.
Nous avons mis en place un immense paradoxe au cours du même siècle : nous avons à la fois inventé des moyens techniques permettant de nous élever très haut et très loin dans l’espace, et de révéler ainsi à quel point nous sommes insignifiants ; à la fois instauré des stratégies, au ras du sol, pour nous convaincre que nous avions la moindre importance.
C’est stupéfiant.

Et en 2015, cette collection se lie avec La Manufacture de Livres. Comment cela s’est-il fait ? Quel est le changement d’échelle dans votre travail et pourquoi mêler inédits et rééditions ?
Depuis 2015, je me consacre exclusivement à Territori. Les autres collections d’Écorce sont en sommeil. Quatre ou cinq romans par an voient le jour, en comptant les novelas.
Les rééditions sont des passerelles entre l’avant et l’après, c’est-à-dire entre la période où je travaillais seul et sans diffuseur, de façon confidentielle, et le moment où Écorce s’est associé à la Manufacture de Livres pour coéditer les romans de la collection Territori et leur donner une véritable visibilité. Une Franck Bouysse - Grossir le cielfaçon de redonner une vie à des romans parus dans l’ombre et de les relier au présent, aux romans qui paraissent et qui vont paraître. C’est une continuité.
Pierre Fourniaud a créé la Manufacture de Livres en 2009, la même année qu’Écorce. Il est né en Limousin, comme Franck Bouysse et moi-même. Nous avions des choses à nous dire et à partager, nous n’avons pas manqué de le faire.
J’ai rencontré Pierre le jour de la sortie de ce que les fidèles de la première heure appellent les « Territori numéros zéro » : Clouer l’Ouest de Séverine Chevalier, et Pur Sang de Franck Bouysse. C’était en juin 2014. Pierre suivait depuis plusieurs années les publications d’Écorce, mais on ne se connaissait pas. La sortie de Grossir le Ciel était programmée pour octobre et Franck avait souhaité que je réalise la couverture. La rencontre avec Pierre a eu lieu de cette façon-là.
Pierre pressentait l’intérêt d’une collection axée sur les espaces naturels situés en France, en dotant cette orientation d’un fort arôme de roman noir. Nous allions dans la même direction et il aurait été regrettable de créer deux collections séparées. Franck vient d’Écorce et il a ouvert la passerelle que Séverine Chevalier, Patrick K. Dewdney et Antonin Varenne ont empruntée lorsqu’il a été question d’inaugurer la nouvelle mouture de Territori. Encore une histoire de rencontres qui déterminent des trajectoires…

Franck Bouysse, Pierre Fourniaud et Cyril Herry ©Maryan Harrington
Franck Bouysse, Pierre Fourniaud et Cyril Herry ©Maryan Harrington

On connaît la difficulté de vendre des textes courts, qu’avez-vous à dire ?
L’édition du texte Cat 215 d’Antonin Varenne résulte d’un coup de cœur. C’est ce qu’on appelle une novela, c’est-à-dire un format situé entre la nouvelle et le roman. Antonin préfère pour l’occasion le terme « roman court ». Une sorte de moyen métrage au cinéma, en somme.
« Coup de cœur » signifie qu’il ne faut pas se demander pendant trop longtemps si ce format a des chances de bien se vendre, ou pas. Et plus il se dira que les textes courts ne se vendent pas, moins il en paraîtra.
L’envie de publier un texte ne se mesure pas à sa longueur, mais à sa qualité et à l’urgence de le faire exister, de lui permettre d’être lu et de voyager. Il en va de même pour l’auteur, lorsque l’idée d’un texte lui vient à l’esprit et qu’il s’avère qu’elle ne pourra pas donner lieu à un roman, mais à un texte court. S’il s’entête à se dire qu’aucun éditeur n’en voudra, il peut être tenté Cat 215 - Antonin Varenne - Editions Ecorced’étirer son récit, comme un élastique, et de faire en sorte que l’idée aboutisse à un roman. Seulement, le lecteur n’est pas dupe. Un roman de 300 pages qui n’en nécessitait que 100 va l’ennuyer. Il y aura des longueurs et de la graisse un peu partout. L’auteur aussi, par ailleurs, risque de s’ennuyer en écrivant, et le lecteur le sentira de même. Ce sera un roman raté. Dans ce cas, il faut écouter son idée, et c’est ce qu’Antonin a fait en écrivant Cat 215 : ce sera court, mais ce sera juste. Pas de graisse, pas de détour. Un rythme calculé, maîtrisé. Un coup de poing en vitesse réelle, pas au ralenti.
Franck Bouysse a réfléchi de la même façon quand il a écrit Vagabond, qui vient d’être réédité dans cette même collection de formats courts. C’est concis, ça sonne juste. Trente pages de plus et l’encre de Chine qui imbibe ce récit aurait été diluée.

A la naissance de votre maison d’édition, un beau site et puis, pfiou, plus rien… un peu comme en intro, à l’heure où tout le monde est sur le net, pas vous ?
J’ai mis plusieurs mois à répondre à votre interview, et figurez-vous qu’entre temps nous avons créé un site pour Territori.
Plus exactement, il s’agit d’une extension du site initial des éditions Écorce – chose logique, puisque La Manufacture de livres et Écorce travaillent en coédition. Son contenu demande à être complété, perfectionné, mais la collection y est présentée.

C’est ici : http://ecorce-edit.com/collection%20territori.html

Et pour finir, que nous prévoyez-vous de beau ?
Des romans sont en cours d’écriture et d’autres sont bouclés. Ils sortiront en 2016 et dans le courant du première semestre 2017. Outre la réédition toute récente de Vagabond, un nouveau roman d’Eric Maneval va voir le jour à laEcume - Patrick K. Dewdney mi-novembre, intitulé Inflammation, presque sept ans après Retour à la nuit dont la sortie chez 10-18 aura lieu simultanément.
Puis un nouveau Patrick K. Dewdney, intitulé Écume – un récit d’une poésie et d’une noirceur étourdissantes qui se passe sur l’océan. Cette sortie est programmée pour mars 2017 et sera suivie d’un roman de Laurence Biberfeld : Sous la neige, nos pas – écrit avec le ventre, les nerfs et la vie ; une admirable leçon d’écriture de la nature.

Ensuite, l’horizon est flou…

Pour aller plus loin

Le site des Éditions Écorce
Le site de la collection Territori
Une interview de Ron Rash sur le site d’Encore du noir !