Interview Daniel Woodrell – Le noir au cœur des Ozarks

Daniel Woodrell - Winter's Bone - Un hiver de glace - La Mort du petit coeur - Milieu Hostile

Nous apprenons avec tristesse la mort de Daniel Woodrell à 72 ans, le 28 novembre 2025. Nous avions eu l’occasion de l’interviewer à l’occasion de la sortie d’Un hiver de glace (Rivages), nous exhumons donc cette interview de 2007 en hommage à une des plus grandes plumes du roman noir.

Une œuvre noire et une plume

Pour faire simple, de Daniel Woodrell il faut tout lire.
L’homme se lance dans l’écriture avec Sous la lumière cruelle, premier volet de ce qu’on appellera la trilogie du bayou (avec Battement d’aile, Les Ombres du passé). Les romans sont rapidement traduits chez Rivages – à l’exception du dernier roman –, ce qui fait que nous pouvons en suivre l’évolution. Dans cette première trilogie, on sent poindre tout le talent de l’auteur, mais on le sent prisonnier de la trame « classique » de polars avec des flics, trame qui semble le contraindre.

Il faudra attendre Faites-nous la bise, dix ans plus tard, pour que, affranchi de ces histoires de flics, politique et corruptions, le talent de conteur, l’attrait aux personnages et la noirceur des romans de Daniel Woodrell apparaisse. On trouve des personnages aux caractères forts et des destins marqués par les Ozarks – et à l’époque, la série n’était pas sortie, on ne connaissait pas trop la région, et on n’avait pas idée de la noirceur qui y régnait. C’est l’incarnation même de ce qu’explique si bien Ron Rash : des personnages marqués par les lieux où ils habitent.

Après Faites-nous la bise, Daniel Woodrell va enchainer avec La Fille aux cheveux rouge tomate, La Mort du petit cœur (un chef d’œuvre à nos yeux) et Un hiver de glace. Des romans somptueux, qui oscillent entre le noir et le très, très noir, mais avec, toujours, un attachement de l’auteur aux personnages, comme vous pourrez le lire dans l’interview. Puis il faudra attendre quelques années avant Un feu d’origine inconnue, qui sera son dernier roman – l’homme s’est arrêté assez tôt d’écrire.

Daniel Woodrell c’est une plume magnifique, de la noirceur, des paysages et des histoires de famille. C’est un univers frappant, marquant, des romans qui ne laissent pas indifférents.

C’est en 2007, à l’occasion de la sortie d’Un hiver de glace, son avant-dernier roman, que nous avons eu la chance de rencontrer Daniel Woodrell, invité à Quais du polar. Depuis, ce roman a été adapté avec succès au cinéma par Debra Granik en 2010, sous son titre original, Winter’s Bone. Presque vingt ans plus tard, on se rend compte que cette interview couvre quasiment l’ensemble de sa carrière, l’auteur ayant seulement publié un roman après.

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Interview avec Daniel Woodrell

L’apprentissage de l’écriture

Daniel Woodrell, première question classique, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire?
C’est quelque chose qui m’a poussé très tôt, dès un très jeune âge. Ma mère avait des idées précises quant à l’éducation et l’une des choses auxquelles elle tenait le plus fort du monde est que nous sachions lire et écrire avant d’aller à l’école. Du coup, très jeune j’ai commencé à adorer les livres et je n’ai jamais perdu cette passion pour l’écrit. Très, très jeune, c’était en CE2 à peu près, j’avais huit ans, et lorsqu’on m’a demandé ce que je voudrais faire une fois grand j’ai répondu « écrivain », et ce n’était pas quelque chose qu’on encourageait à l’époque.

Votre premier polar publié est Sous la lumière cruelle, était-ce le premier que vous aviez écrit?
C’est le premier roman que j’ai fini. J’avais déjà commencé à écrire d’autres romans – que je n’avais jamais fini – et j’avais écrit pas mal de nouvelles. À ma grande surprise ils l’ont publié, je ne m’y attendais pas du tout, c’était plutôt une courbe d’apprentissage pour moi.

En France, je n’ai pas le souvenir d’avoir lu beaucoup de nouvelles de vous, en avez-vous publié souvent ?
J’ai énormément écrit de nouvelles mais c’était pour apprendre des choses. Il y avait parfois un élément qui marchait, mais ce n’était pas formidable comme travail, donc ce n’était pas forcément publié, c’était plus pour apprendre. Mais depuis j’ai écrit une série de nouvelles qui va être publiée, en principe.

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Bonne nouvelle… En introduction de ce roman, il y a une phrase de Joe Frazier qui se termine par « si vous avez mégoté sur l’effort dans les petits matins blêmes, c’est sous la cruelle lumière des projecteurs que ça vous retombera dessus »… Vous, vous n’aviez pas mégoté sur l’effort dans les petits matins blêmes de l’écriture, mais quel a été le retour des projecteurs cruels de la presse?
La première critique que j’ai lue disait que je ne savais même pas ce que je faisais, mais ensuite j’ai lu d’autres critiques qui étaient bien meilleures.

Au regard de vos livres ultérieurs, la trame de ce premier roman est assez classique avant que vous ne vous envoliez vers des romans beaucoup plus atypiques. C’était donc comme vous dites, un galop d’essai ?
Il y a l’écrivain écossais William McIlvaney qui a écrit Laidlaw, qui a eu beaucoup d’impact sur ce que j’ai écrit ensuite et j’ai commencé de façon classique. J’avais fait ce premier roman – que je ne pensais pas voir publié – qui n’avait pas l’air d’aboutir à quoi que ce soit, et ensuite j’ai écrit mon deuxième – qui est sur la guerre civile – quand le premier a été publié.

C’est le premier d’une trilogie consacrée à la famille Shade, se déroulant à Saint-Bruno, ville fortement marquée par l’influence française. Question bête : vous, avec un prénom comme Daniel, avez-vous un rapport avec cette immigration française de l’époque?
Ma grand-mère était totalement francophone et De Geer, en fait, c’était des gens de la Wallonie. Sur toute la vallée de la rivière Mississippi, il y a plein de villes aux noms français, aux racines françaises et on est allé habiter Saint-Louis, qui est à côté de Saint-Charles – tous des noms français – pour le boulot de mon père. Mais j’ai inventé le nom de cette ville pour pouvoir y mettre des éléments de toutes sortes d’autres villes, pour en faire ma propre ville, Saint-Bruno. Jusque après la Seconde Guerre mondiale, il y avait ce qu’on appelait le triangle français, ou le triangle francophone, c’était un coin du Missouri où les gens parlaient français. Peu d’Américains savent ça et, sauf les très, très vieux, on ne trouverait plus personne qui parle français. Je n’avais jamais visité la France mais j’aimais bien cette idée de la France, surtout celle des écrivains de polar que j’avais lu – Simenon notamment. Cela m’a influencé et je voulais donner ce ton de français à ce que j’écrivais.

On parle de trilogie, mais lorsque vous avez écrit Sous la lumière cruelle, pensiez-vous déjà aux trois volumes ?
Quand le premier livre a été publié, je me suis dit « Tiens, j’ai peut-être un avenir devant moi » et j’ai écrit les deux autres. Si j’avais su, je l’aurai structuré autrement car j’ai fini ce premier livre et ensuite décidé de faire les deux autres et lors du troisième livre je me suis rendu compte que j’avais pas mal de problèmes de cohérence et que c’était difficile de faire coïncider le tout.

Est-ce pour ça, alors que personne n’est mort, que vous avez abandonné la famille Shade?
J’ai changé car mes intérêts ont commencé à changer et surtout, il y avait un type dans un des livres de la famille Shade, qui s’appelait Shuggie ; je voulais écrire un livre sur lui mais je n’arrivais pas à m’en sortir, alors j’ai changé.

Justement, le changement arrive avec Faites-nous la bise…
J’en suis venu à écrire ce livre car suite à la publication de la trilogie, j’ai déménagé pour vivre en Californie. Là je me suis rendu compte que mon coin, cette région des Ozarks me manquait énormément et c’est là où j’ai retrouvé un point de focus pour continuer à écrire.

Les Ozarks sont plein de gens différents et de vies variées et moi, ce que je montre, c’est une seule tranche de vie, mais c’est une tranche que j’ai choisie.

Des itinéraires au cœur des Ozarks

Les Ozarks, on va en parler, car elles deviennent absolument prégnantes, on retrouve des personnages aux caractères forts, trempés, on pourrait passer tous les livres au crible, mais il nous faudrait trois jours d’interview tellement il y a de choses à comprendre… Là vous commencez la saga de la famille Redmond… Comment faites-vous pour construire ces familles, avez-vous des notes, un arbre généalogique ? Et où puisez-vous toutes ces histoires?
L’arbre généalogique Redmond reflète celui de ma famille à un petit changement près. J’avais un grand-père très décidé qui dictait quoi faire à tout le monde, il était Écossais d’origine et c’est une famille qui habitait les Ozarks depuis très longtemps et comme il a épousé ma grand-mère wallonne De Geer, à eux deux, ils ont eu des descendants très intéressants. J’avais beaucoup de ressenti – pas toujours très positif – envers ma famille à l’époque et j’ai créé un personnage d’écrivain qui, lui, pouvait donner libre cours à sa frustration envers sa famille.

Justement, Doyle, cet écrivain, se heurte à des sentences comme « J’ai jamais pu finir ce bouquin… trop violent, et ridicule ». Alors, quels ont été les retours dans les Ozarks?
C’est plutôt positif mais il y a des gens qui disent quand même que je donne mauvais réputation à la région. Je dis toujours aux gens que les Ozarks sont plein de gens différents et de vies variées et que moi ce que je montre, c’est une seule tranche de vie, mais c’est une tranche que j’ai choisie.

Alors, on se demande toujours si vous forcez le trait pour la fiction ou si, comme Doyle « Je raconte des histoires, des salades, de minuscules contes sardoniques, d’énormes mensonges stupides. Sauf que, en fin de compte, presque contre ma volonté, ces histoires tendent vers la vérité. »
Je me sens comme Doyle. Les gens et les histoires que j’écris se passent réellement, mais peut-être pas de façon aussi concentrée. Ma femme vient d’une famille du Nord, qui est plutôt aisée, et quand on a les réunions de famille chez moi et que ma mère raconte les histoires de la famille, ma femme est souvent choquée par les évènements qui se sont produits et je suis obligé de lui dire « attention, ce sont des évènements qui se sont produits sur 150 ans, ce n’est pas tout en même temps ». Pour mes écrits, c’est la même chose, je tends plutôt à concentrer les évènements et les personnages, mais ce sont des choses réelles qui se sont produites. Un des grands écrivains des Ozarks a fait une critique d’Un hiver de glace et il a dit que je me référai à beaucoup de choses de cette région du monde et que je la rendais presque plus vraie que la réalité. Je pense que c’est vrai.

Dans Faites-nous la bise, les ennemis sont les Dolly, qu’on retrouve aujourd’hui dans Un hiver de glace… vous avez encore beaucoup d’épisodes à raconter de ces différentes familles ?
Dans Un hiver de glace, il y a un personnage, Sleepy John, et je suis en train d’écrire un livre sur lui – ce n’est pas exactement sur les Dolly, mais c’est la suite de son histoire.

Du coup, vous êtes en train de faire une grande cartographie des Ozarks.
Oui, mais d’un certain niveau de la société. Il y a une famille de légende qui habite tout près de chez moi, avec des centaines de membres. Dans notre comté propre, on n’a que 20 000 personnes qui vivent et cette famille en a plus de cinq cents ! Et certains font les mêmes occupations que les Dolly, et j’ai pris très peur lorsqu’on a parlé d’eux et qu’on a utilisé leur vrai nom dans le journal [rires] mais des copains qui les connaissent me disent qu’ils n’en ont pas pris offense.

Quelqu’un a dit qu’il fallait aimer ses personnages, c’est ce que je fais et j’ai une assez grande compassion pour les âmes, pour les gens, même les Dolly.

Cette grande famille a-t-elle aussi un nombre limité de prénoms (avec des Milton, Haslam, Arthur ou Jessup) pour ne pas différencier les membres de la famille et perturber la police?
Souvent aux États-Unis, c’est vrai qu’on nomme le père comme le fils et il y a énormément de John et de Floyd. J’en ai aussi inventé d’autres que j’ai repris. On a des romanichels aux États-Unis qui s’appellent « Irish Travellers », vous les avez peut-être aussi, ce sont des Irlandais, presque gitans, voyageurs, et qui ont tous le même prénom car ils s’occupent d’affaires illicites.

En parlant d’affaires illicites, dans les Ozarks, on trafique le cannabis, la coke et autres substances…
La première activité de la région, qui gagne le plus d’argent, c’est le cannabis… mais c’est aussi pour les fins du livre. Mais de nos jours, on gagne peut-être plus d’argent avec les méta-amphétamines que l’on synthétise. J’habite toujours le même quartier, qui est un quartier un peu délabré de ma ville, ce n’est pas un très beau quartier, et mes deux voisins sont des fabricants de méta-amphétamines. J’habite par choix ce quartier et je n’ai pas de problèmes avec les cultivateurs de cannabis – j’en connais plusieurs – mais je n’aime pas du tout les méta-amphétamines et ceux qui les font.

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Vous dites que vous êtes resté dans ce quartier que vous aimez, ça fait penser à une phrase de Doyle, qui dit « Je reste un type des Ozark, quel que soit l’endroit où la vie m’entraîne ». Alors, vous êtes un mec des Ozarks ?
Oui. Dans cet environnement il y a quelque chose qui me ressource, et c’est presque un élément organique qui est nécessaire à mon écriture. Je ne pourrai pas habiter Malibu ou les quartiers riches de New York et écrire sur les Ozarks.

Et si vous habitiez Malibu, vous écrieriez-vous des histoires comme Deux flics à Miami ?
[rires] Quand j’ai déménagé pour habiter à San Francisco, je me suis dit je vais écrire des polars très sophistiqués sur le monde de San Francisco mais je me suis rendu compte que ma connaissance de ce monde-là était très superficielle…

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Alors, loin de San Francisco, on continue avec La Fille aux cheveux rouge tomate, dont les critiques s’accordent pour trouver de forts accents thompsoniens, qu’en pensez-vous?
Ce qui m’a le plus marqué avec Jim Thompson – c’est quelqu’un que j’admire beaucoup – c’est pas tant son style – que j’aime beaucoup – c’est plus qu’aucun sujet ne lui fait peur. Et donc cet humour un peu noir et amer que fait Thompson, c’est ce que j’essaie d’évoquer dans ce livre-là.

Une percée plus noire

Vous entrez aussi dans une veine plus noire (et La Mort du petit cœur le prouve), est-ce un tournant volontaire?
En fait, La Mort du petit cœur a pris un tournant que je n’avais pas envisagé, je pensais que ça irait quelque part, mais cela a pris un autre virage. Lorsque je l’écrivais, la vérité du tournant que ça devait prendre a pris le dessus et j’ai fini par prendre ce tournant. Mais à cause de l’influence et de l’exemple de Jim Thompson, j’ai eu le courage de suivre ce livre qui m’amenait ailleurs.

Justement, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la genèse de La Mort du petit cœur, un livre d’une rare puissance.
J’avais essayé d’écrire une nouvelle sur le père, c’était intéressant mais je me suis dit que l’approche à prendre pour que ça marche c’était que ce soit le fils qui parle de son père, j’ai donc abandonné la nouvelle

C’est – à mon avis – un livre extraordinaire, car conclure sur « si vous voulez mon avis, aucune aube correcte ne s’est plus jamais levée pour elle, ni pour moi », c’est superbe.
Merci.

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Et pour finir, le plus noir de tous, Un hiver de glace. On pensait avoir vu des méchants avec les Redmond, mais il y a encore plus dur (l’épisode où Ree reste plantée dans le jardin) et âpre (des maisons de famille où on vous ouvre en vous accueillant avec « petite tu as du te gourer de maison » puis « quelqu’un est mort ? ») avec les Dolly, sont-ce les « pire » ou allez-vous nous en trouver d’autres?
Elle ne savait pas Ree, mais tout la famille le savait, que son père était indic’. Ce qui peut exister comme pire chose dans ce milieu, c’est être indic’ et quand il y a un indic’, on le met à part, on l’ostracise, c’est pour ça qu’elle subit ce sort.

À un moment quelqu’un dit « Personne ici a envie d’être méchant […] C’est juste qu’ici les gens ont un peu de mal à piger les règles, alors des fois ça dérape »… Ça résume bien la vie dans les Ozark, non ?
Là il parlait d’un mariage de nécessité, qui n’était pas un mariage choisi, mais on peut l’appliquer à d’autres choses dans cette région.

Il y a une phrase de Patrick Raynal, éditeur, qui dit à propos de vous « Il les aime et fait de chacun d’eux une entité passionnante ». C’est très juste et on se demande comment faites-vous ? Car tous vos personnages sont passionnants, personne ne sert à rien.
Je ne pense jamais à l’histoire en premier c’est toujours les personnages ou une personne en particulier. Je ne suis pas un grand spécialiste des histoires ou des intrigues quelqu’un a dit qu’il fallait aimer ses personnages, c’est ce que je fais et j’ai une assez grande compassion pour les âmes, pour les gens, même les Dolly. Même si mes livres sont considérés comme très, très, très noirs – et ma femme me rappelle souvent combien moi aussi – j’ai un ressenti personnel quant à la possibilité de la rédemption de soi. Mais c’est une possibilité seulement, ce n’est pas quelque chose donné à tout le monde. Et à la fin de ce livre, il y a un tout petit peu d’espoir qui reste pour Ree Dolly. D’autres de mes romans se terminent avec moins d’espoir que celui-ci et je pense que celui sur lequel je travaille en ce moment se terminera avec beaucoup, beaucoup, beaucoup moins d’espoir [rires]. Je ne vais pas être l’auteur d’un nouveau genre « le genre rédemption », mais je pense que c’est toujours une possibilité et qui peut exister, à mon avis. Je ne suis pas sûr, c’est peut-être quelque chose qui s’applique à la région des Ozarks, mais c’est un petit peu « catholique » [rires] – mais pas un catholique qui connaît sa religion [rires]… il n’y en a pas beaucoup qui croient.

On a parlé des personnages, vous nous avez aussi dit ne pas être très porté sur les intrigues, il nous faut maintenant parler du style, comment travaillez-vous vos livres pour que le résultat soit si brillant?
Dans le sud des États-Unis – et je considère que les Ozarks en font partie – dans ce grand Sud, on a toute une tradition littéraire, mais orale. Conter des histoires faite partie de cette tradition orale et je lie ça à mon travail sur les Ozarks. Même quand j’écris à la troisième personne, comme j’ai fait dans Un hiver de glace, c’est presque comme si j’écrivais à la première personne, simplement je ne dis pas « je » ou « moi ».

Nous finirons avec un livre à part, Chevauchée avec le diable. Comment s’est-il fait ?
Je n’aime pas parler de mysticisme quand je parle de mon écriture, mais là c’est une histoire qui m’est arrivée comme dans un rêve, tout était prêt dans ma tête, je l’ai écrit très vite. C’était tout le sang de ma lignée qui était dans cette histoire et j’ai tellement été pris par cette histoire qu’à un moment le sang a failli jaillir, tellement c’était en moi.

Et pourquoi n’avez-vous pas écrit d’autres livres dans cette veine historique (même si comme le marque justement le 4e de couverture, ce livre « met en scène des passions et des émotions complètement intemporelles »).
J’ai envie de faire quelque chose qui remonte encore plus loin dans l’histoire. Mais pour l’instant je finis le livre sur lequel je suis et le suivant sera un livre qui se passe dans les années 1920 ou 1930.

Comment a-t-il été remarqué par Ang Lee, qui en a tiré un film du même nom en 1999 ? Avez-vous participé au scénario ?
James Shamus a écrit le script. Et il a eu la gentillesse et le savoir-vivre de m’appeler plusieurs fois pour me parler des choses qu’il adaptait pour le grand écran et des choses qu’il changeait dans mon livre. Hollywood n’a pas l’habitude de faire ça. Malgré le peu de recettes pour ce livre, c’est une expérience que j’ai beaucoup appréciée et Ang Lee a traité mon livre avec beaucoup de respect et je suis très content de ce qu’il en a fait.

Pensez-vous qu’un jour un autre de vos livres soit adapté au cinéma?
Un hiver de glace va être adapté au cinéma. Le script a été écrit, il manque juste les financements. La Mort du petit cœur devrait voir le jour aussi et certainement Faites-nous la bise.

Ce sont des bonnes nouvelles… un grand merci à vous
Merci beaucoup (en français).

Pour aller plus loin

Exception faite d’Un feu inconnu, paru chez Autrement, tous les romans de Daniel Woodrell sont parus chez Rivages, traduits par Franck Reichert, sauf les nouvelles de Manuel du hors-la loi, par Isabelle Maillet et Chevauchée avec le diable, par Dominique Mainard. Depuis 2024, Gallmeister a republié deux titres de Daniel Woodrell : Un hiver de glace sous le titre Winter’s bone et Sous la lumière cruelle.